Le Bâtonnier Monferrier Dorval tué
MIAMI, 29 Août – Nous entrons dans une autre catégorie d’assassinats. Celle des meurtres dits ciblés. Dont les victimes sont pour la plupart des personnalités connues et qui sont abattues on dirait sans raison apparente.
Dans le même temps qu’on rapporte au contraire une diminution au niveau des holdups ou vols à main armée souvent accompagnés aussi de meurtre mais ici davantage par accident, survenus plus par hasard.
En effet tous rapportent une certaine accalmie aux points traditionnellement chauds de la capitale (Martissant, Grand-Ravine, Village de Dieu, zone commerciale de Port-au-Prince etc) … et ce serait, dit-on, le résultat de l’alliance des gangs sous une même ombrelle, le fameux ‘G-9’.
Dès lors, de quoi ces derniers vivent-ils désormais ? Allez savoir.
MIAMI, 21 Août – C’est la première fois que tant de gens auront disparu presqu’en même temps sans qu’on en garde, sans qu’on puisse en garder le moindre souvenir. Dans tous les sens. Trop c’est trop.
Même si le Coronavirus n’a pas fait autant de millions de morts que toutes les guerres mondiales qu’on considérait jusqu’à présent comme la pire catastrophe pouvant survenir à notre humanité, mais on a déjà dépassé le chiffre de 800.000 morts et en à peine quelques mois.
Le premier cas aurait été signalé en Chine, ce qu’on appelle le patient zéro, dans un marché aux poissons, à Wuhan, en décembre 2019. On sait même son nom, Wei Guixian, 57 ans, vendeuse de poissons. Elle est la première qui se serait plainte de symptômes qu’elle prend alors pour ceux d’une grippe.
Quelques jours plus tard elle se trouvera … en détresse respiratoire.
Détresse respiratoire. Comme la peste dans la fable, voici le nouveau mal qui répand partout la terreur.
Notre cher Bernard Fils-Aimé qui vient de nous laisser à Miami : détresse respiratoire.
Konpè Filo, détresse respiratoire !
Bernard Fils-Aimé, militant pour la cause du réfugié haïtien lors des manifs mémorables devant le camp de Krome Ave à Miami (années 1976-1986) - nom de guerre Patrick Baussan (notre Pat !), puis ayant réussi là où tant d’autres ont échoué : accomplir le rêve du retour au pays natal, métamorphosé en investisseur modèle et un exemple pour les nouvelles générations, mais pour le samedi 8 août 2020, nous laisser sans un adieu. Diagnostic : détresse respiratoire.
Anthony Pascal, notre Filo national, une épithète que ses funérailles viennent encore de confirmer, lui aussi n’est plus. Disparu dans l’ambulance même qui l’emmenait à l’hôpital. Avec sur son acte de décès, fatalement : détresse respiratoire.
Et personne n’en est exempt. Ni vous, ni moi. Qu’on soit prince ou premier ministre, ou président, comme on sait. Tous et chacun on le sait et comment. On essaie de faire avec.
Une guerre pire que toutes les autres et qui est en train de faire place nette autour de nous, de chacun de nous. Une guerre qui nous rattrape, qui vous rattrape partout, qui que l’on soit, où que l’on soit. Dans nos familles. Dans notre quartier. Au pays comme en diaspora. Parfois jusqu’au fond du confinement des confinements. Comme ironiquement notre Bernard !
MIAMI, 14 Août – Les médias au service de l’éducation. En ces temps d’épidémie (Covid-19), pas un pays qui n’ait recours au ‘on line’ comme substitut autant que possible aux cours dispensés en classe. Cela à tous les niveaux, de la maternelle aux terminales universitaires. C’est une véritable révolution, de plus accomplie sur le tas. Chapeau !
Par contre, il y a une révolution qui se fait attendre dans notre pays, Haïti. Celle qui doit faire entrer le peuple haïtien véritablement dans l’ère démocratique. Jusqu’à présent la démocratie en Haïti c’est quoi ?
Rien d’autre et rien de plus que les élections, hélas. Tous les quatre ans pour les parlementaires. Et tous les 5 ans pour les présidentielles.
Pas étonnant que le peuple finisse par en être blasé. D’autant plus que peu de changements ont eu lieu dans sa vie réelle. Lentement et sûrement, il s’est par conséquent détourné des élections aussi.
Ces dernières sont alors devenues automatiquement la proie, le monopole des professionnels de la chose politique, leur chose, point barre.
Et nous avons abouti à la situation actuelle. Messieurs-dames les politiciens-politiciennes jouant avec les élections comme bon leur semble. Justement comme au casino !
Situation sans précédent où les élections sont renvoyées tout simplement aux calendes grecques par un exécutif que cela dérange dans ses plans maléfiques (ceci parce que n’ayant apparemment aucun autre but que faire du mal autour de lui, à tout ce qui ne se courbe pas ventre à terre devant ses élucubrations qui se révèlent plus que fantaisistes, mais de plus en plus inspirées par on ne sait quel diable …).
Vous semblez penser (et avec raison) qu’Haïti n’est pas un cas unique et qu’il y a d’autres pays où des dirigeants peuvent être tentés également de jouer avec le processus électoral à leur seul profit …
Y compris de grands pays. Et des pays à système démocratique bien établi.
Mais vous avez dit système démocratique bien établi. Justement dont le citoyen en connait et reconnait l’importance, toute l’importance et les avantages qu’il revêt (et revêt pour lui comme pour tous ses concitoyens, chacun d’eux et chacune d’elles), cela par rapport aux autres systèmes.
MIAMI, 31 Juillet – Très peu connaissent Antony Pascal, pourtant un joli nom, mais tous sans exception, aussi bien en Haïti qu’en diaspora, connaissent Konpè Filo, le journaliste le plus célèbre d’Haïti, et de tout temps. Comme dit l’américain ‘the one and only’, unique en son genre ; Konpè Filo : hier, aujourd’hui et demain !
Il était une fois un petit gars, sans nom ni bagages, débarqué un beau jour sur les ondes de Radio Haïti Inter, la radio que venait d’acquérir Jean Dominique, anciennement Radio Haïti de Ricardo Widmaier qui fut la radio la plus moderne d’Haïti dans les années 1940-1960 mais dont le propriétaire gagna un exil volontaire après l’avènement du dictateur François Duvalier dit Papa Doc.
Les fils du peuple, sauf avec un bagage intellectuel impressionnant, n’avaient pas accès sur les ondes en ce temps-là.
Mais le premier exemple fut un certain Marcus. Marcus qui ?
De son vrai nom Marc Aurèle Garcia. Grâce à une sorte de révolution musicale qui faisait appel particulièrement à la jeunesse : en France le ‘yéyé’, aux Etats-Unis le ‘twist’ et en Haïti … le mini-jazz, voici que le micro s’ouvrit aux jeunes.
De fil en aiguille, Baby Doc succéda à son ‘Papy’ en 1971, et sous pression des Etats-Unis s’ouvrit une période dite de ‘libéralisation’ dont le fer de lance fut une nouvelle presse, surnommée très vite mais pas sans hésitation : la presse ‘indépendante’.
Le même Marcus est aux côtés de Jean Dominique sur la ‘rebaptisée’ Radio Haïti Inter, cependant les rivalités politiques (pas entre eux deux, soulignons) mais à l’actif d’une opposition politique intérieure qui soudain se réveille, sortie on ne sait d’où, voici nos deux lascars se retrouvant assez vite dos à dos, Marcus devant partir naturellement mais pour trouver refuge sur une autre nouvelle station qui monte : Radio Métropole de Herby Widmaier, fils de Ricardo mentionné plus haut.
C’est la grande rivalité des années 1970 entre Haïti Inter et Métropole dont ceux et celles de cette génération gardent le souvenir d’une sorte de compétition à la Hollywood mais à coups d’éditoriaux qu’on dirait signés comme des films de Sergio Leone, tellement devait couler le sang, bref faire mal le plus possible à l’adversaire.
C’était une distraction majeure pour le tout Port-au-Prince – mais inconsciemment c’était aussi une façon de laisser souffler un peu la critique contre le pouvoir en place, bref on se querelle pour sa propre survie - qu’est-ce qu’il fallait pas inventer pour éviter d’être entrainé un matin à la prison mouroir de Fort-Dimanche comme notre jeune confrère Ezéchiel Abélard attrapé un matin dans l’escalier même de Radio Métropole et jamais revu depuis.
L’exil, quelques années plus tard, viendra mettre tout le monde d’accord …
Mais soudain un jeune garçon venu on ne sait d’où devait venir jouer un rôle de tampon entre les deux camps, une sorte de cupidon mais sans malignité ni parti pris, et cette sorte de négociateur né, tout sourire, c’est Konpè Filo.
PORT-AU-PRINCE, 12 Novembre – Les sénateurs haïtiens n'ont pas voté le projet de budget public depuis deux années.
L'une de leurs revendications est le trop fort pourcentage dévolu aux secteurs politiques du gouvernement (palais national, primature, ministère de l'intérieur …).
Or c'est le même reproche qu'on pourrait adresser à l'aide américaine à Haïti. Trop peu au secteur de développement et le gros morceau à la bureaucratie politique (gouvernement et société civile).
Dans les dernières statistiques de l'USAID (Agence américaine de développement international) remontant à l'année 2012, le secteur 'Gouvernement et société civile' totalise 21.5% de cette assistance, tandis que 26.2% vont aux 'Programmes de Politique de Population / Santé Reproductive' etc. Soit donc la moitié de cette assistance de US 561 millions de dollars, votée par le Congrès pour Haïti en 2012 qui est consacrée principalement à la bureaucratie.
Alors que la santé de base récolte 6.4%, l'éducation seulement 2.2%, mais qui pis est, le secteur Energie seulement 1.5% alors qu'on parle de développement et de parcs industriels et autres ; la prévention des désastres : 1.0 % (alors que Haïti est l'un des pays les plus vulnérables aux catastrophes naturelles et surtout deux ans seulement après le séisme de janvier 2010 qui a fait près de 300.000 morts et détruit 150% du PIB du pays), tandis que les problèmes socio-politiques se voient encore attribuer 3.9% pour la Prévention et Résolution de conflits, Paix et Sécurité etc …
En un mot, ce sont les problèmes politiques qui consument le gros du budget public, aussi bien le budget national (comme le dénoncent nos sénateurs, mais tout en étant eux aussi partie du problème), que le budget de l'aide internationale, car il doit être de même avec l'assistance de l'Union Européenne.
Pouvoirs et société civile toujours prioritaires. De plus la présence de celle-ci, la société civile, dont nous ne contestons évidemment pas l'importance étant donné justement les proportions gigantesques prises par le secteur politique, mais il pourrait paraître plus normal, comme c'est le cas ailleurs, que la société civile soit soutenue plutôt par des institutions civiques et non gouvernementales comme les fondations Ford, Bill Gates etc.
Voilà donc un aspect de notre réalité qui passe trop inaperçu. Le poids des problèmes politiques est le principal handicap au développement du pays, à la création d'emplois, à une meilleure éducation et une meilleure santé pour la population, bref à une amélioration de nos conditions de vie à tous, à quelque catégorie sociale que nous appartenons.
Ce sont nos problèmes, et nos appétits politiques, qui continuent d'enfoncer Haïti dans le néant.
C'est bien connu que la politique dans notre pays consiste à se servir avant de servir.
Les sénateurs accusent le pouvoir exécutif de gonfler les postes gouvernementaux et de négliger le social …
Mais ce que les sénateurs négligent de mettre en relief (parce qu'ils participent aussi du problème) c'est comment cette crise politique perpétuelle, constante, éternelle monopolise tout le budget public, aussi bien national que l'assistance étrangère, les priorités continuant d'être portées sur les tentatives de résolution de cette satanée crise aux dépens non seulement des nécessités du social mais aussi du développement car seul le développement véritable (énergie, ouverture d'entreprises, agricoles ou industrielles, création d'emplois etc) est de nature à créer le véritable changement, un bond en avant qualitatif … à nous faire sortir du cercle infernal du chômage, de la misère et des malheurs, y compris, comme on l'expérimente encore cette semaine, les conséquences des désastres naturels toujours beaucoup plus graves qu'ailleurs.