A nos morts sans sépulture !
MIAMI, 21 Août – C’est la première fois que tant de gens auront disparu presqu’en même temps sans qu’on en garde, sans qu’on puisse en garder le moindre souvenir. Dans tous les sens. Trop c’est trop.
Même si le Coronavirus n’a pas fait autant de millions de morts que toutes les guerres mondiales qu’on considérait jusqu’à présent comme la pire catastrophe pouvant survenir à notre humanité, mais on a déjà dépassé le chiffre de 800.000 morts et en à peine quelques mois.
Le premier cas aurait été signalé en Chine, ce qu’on appelle le patient zéro, dans un marché aux poissons, à Wuhan, en décembre 2019. On sait même son nom, Wei Guixian, 57 ans, vendeuse de poissons. Elle est la première qui se serait plainte de symptômes qu’elle prend alors pour ceux d’une grippe.
Quelques jours plus tard elle se trouvera … en détresse respiratoire.
Détresse respiratoire. Comme la peste dans la fable, voici le nouveau mal qui répand partout la terreur.
Notre cher Bernard Fils-Aimé qui vient de nous laisser à Miami : détresse respiratoire.
Konpè Filo, détresse respiratoire !
Bernard Fils-Aimé, militant pour la cause du réfugié haïtien lors des manifs mémorables devant le camp de Krome Ave à Miami (années 1976-1986) - nom de guerre Patrick Baussan (notre Pat !), puis ayant réussi là où tant d’autres ont échoué : accomplir le rêve du retour au pays natal, métamorphosé en investisseur modèle et un exemple pour les nouvelles générations, mais pour le samedi 8 août 2020, nous laisser sans un adieu. Diagnostic : détresse respiratoire.
Anthony Pascal, notre Filo national, une épithète que ses funérailles viennent encore de confirmer, lui aussi n’est plus. Disparu dans l’ambulance même qui l’emmenait à l’hôpital. Avec sur son acte de décès, fatalement : détresse respiratoire.
Et personne n’en est exempt. Ni vous, ni moi. Qu’on soit prince ou premier ministre, ou président, comme on sait. Tous et chacun on le sait et comment. On essaie de faire avec.
Une guerre pire que toutes les autres et qui est en train de faire place nette autour de nous, de chacun de nous. Une guerre qui nous rattrape, qui vous rattrape partout, qui que l’on soit, où que l’on soit. Dans nos familles. Dans notre quartier. Au pays comme en diaspora. Parfois jusqu’au fond du confinement des confinements. Comme ironiquement notre Bernard !
Ni sur le front Atlantique comme les deux première et deuxième Guerres mondiales, ni au fond du Pacifique comme au Japon, et plus tard en Indochine, puis au Vietnam. Mais une autre, la vraie guerre mondiale cette fois. Puisque transportée jusque dans notre foyer même, à tous et partout. A Port-au-Prince, à Berlin, à Miami, Montréal, Sidney, Tokyo, Sant Marc, Léogane, Jacmel ou Paris, New York partout.
Et contre un ennemi invisible. Plus invisible que ça tu meurs. C’est le cas de dire. On en meurt partout et chaque minute. L’ennemi a le même nom, eh oui : détresse respiratoire.
Tous les laboratoires les plus avancés du monde se triturent, se torturent les méninges mais ne sont point encore arrivés plus loin que ces deux mots : Détresse respiratoire !
Qui pis est, plus ça continue, plus ça recommence. Deuxième vague. Non ? Oui ? Allez savoir.
Au grand dam des politiques. Le pays le plus développé et le plus riche de la terre est le plus frappé de tous. Les Etats-Unis ne sont pas seulement en tête pour le nombre de victimes, plus de 170.000 morts à date, mais aussi l’un des plus désarmés devant le sinistre. Les deux candidats à la présidentielle du 3 novembre prochain, que ce soit le président républicain Donald Trump qui risque d’être puni pour avoir joué au docteur-feuilles armé de sa fiole d’hydroxychloroquine, ou le démocrate Joe Biden qui parle beaucoup plus de l’après-Covid-19 comme s’il pouvait en savoir quelque chose … tous n’ayant donc pas plus à offrir que leurs slogans rapidement relookés pour la circonstance.
Or c’est la première catastrophe de cette ampleur qui n’aura pas encore connu non plus son Hérodote, considéré comme le père de l’Histoire (à l’occidentale) ni, puisque nous vivons au siècle de l’image, son Francis Ford Coppola, le réalisateur d’Apocalypse Now sur la guerre du Vietnam …
Du temps où une autre épidémie faisait un malheur comme aujourd’hui sur toute la planète, au point qu’on aurait pu l’appeler pandémie si le mot existait déjà : la tuberculose, pour l’appeler par son nom, ou encore dans les milieux aristocratiques : la phtisie (combien de familles de chez nous qui n’y ont pas laissé un parent ou deux jusque dans les années soixante), il s’est trouvé un Alexandre Dumas fils pour l’immortaliser dans son roman ‘La Dame aux camélias’ et l’un des plus grands compositeurs d’opéra, Verdi, pour en faire l’immortelle Traviata.
Mais voici aujourd’hui la première guerre mondiale sans un front d’où les plus grands reporters nous livrent un reportage toujours exemplaire au journal télévisé du soir !
Comme si c’était hier : ‘Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Igor Barrère présentent : Cinq Colonnes à la une.’
Le président Lyndon Johnson aurait dit qu’il ne croira pas que l’intervention américaine au Vietnam était un échec, s’il n’entendait le grand reporter de CBS-News, Walter Cronkite, le lui dire depuis les rizières mêmes du Vietnam.
Or déjà il existe peu d’œuvres même quelconques sur la tragédie du VIH-Sida.
Voire la Covid-19. L’ennemi invisible, qui frappe de manière aveugle mais toujours là où ça (vous) fait le plus mal. Disparaitrait-il, miraculeusement, comme on se prend à l’espérer car ne pouvant en faire autrement pour le moment – qu’il nous faudrait craindre qu’il ne revienne, comme avant, sans crier gare, toujours plus violemment. La fin du monde … en version ralentie !
On aimait à dire que les plus grands romans sont des reportages de guerre. Dont ‘Guerre et Paix’ de Tolstoï bien sûr. Ou pour les moins formalistes, Homère (La Guerre de Troie). Ou Malraux sur la Révolution chinoise : ‘Les Conquérants’, ‘La Condition Humaine’ ; ou Hemingway sur la Guerre d’Espagne : ‘Pour qui sonne le Glas’, ou Jean Lacouture (série ‘Dans les maquis vietcong’) mais aussi d’autres tragédies, différentes mais tout aussi gigantesques, comme la misère atroce qui fut le lot des masses aux Etats-Unis pendant la grande Dépression des années 1930 et que l’on redoute aujourd’hui comme une éventuelle retombée économique de la Covid (prenons ‘Les Raisins de la Colère’ de John Steinbeck) … enfin, oui, peut-on espérer un Jacques Stephen Alexis qui, comme pour le massacre des braceros haïtiens par le dictateur dominicain Trujillo (‘Compère Général Soleil’), viendrait fixer à jamais aussi pour nous et pour l’éternité, et pour la terre entière, les disparitions tragiques de parents et amis les plus chers par le virus ‘baka’ (diabolique).
Qui sait !
Haïti, qui ne finira jamais d’étonner, semble déjà jouer un rôle particulier, alors qu’on la croyait vouée à la disparition totale, corps et âmes, dans cette nouvelle mais plus véritable que jamais … ‘Apocalypse Now’.
Marcus - Haïti en Marche, 21 Août 2020