JACMEL, 6 Octobre – Le riz sera débarqué ce lundi. Deux cent quatre vingt huit mille (288.000) sacs, un don du Japon à Haïti, qui sera commercialisé via un organisme déconcentré du gouvernement (Conseil national de monétisation).
C’est dans ce même format que le chef du gouvernement haïtien, Laurent Salvador Lamothe, a proposé ceci : que le gouvernement se porte garant pour une commande non pas pour un chargement mais pour toute une année, de façon à pouvoir bénéficier des meilleurs cours sur le marché international où il existe une forte concurrence entre pays producteurs. En tout cas, le marché haïtien serait de cette façon alimenté sur une base constante. En conséquence : on éviterait les fortes fluctuations, qui évidemment ne jouent jamais en faveur du consommateur haïtien.
C’est cette rareté ou ces commandes insuffisantes, qui font que le prix peut grimper en Haïti alors qu’il est relativement stable à l’extérieur.
Vous avez remarqué : L’Etat haïtien n’achète pas lui-même mais il fournit une garantie au fournisseur international.
Ni il n’entend se substituer aux importateurs et distributeurs locaux. Cela suppose bien entendu une entente avec ces derniers. Quel est le volume de la consommation locale ? Quelle est la capacité en importation des acteurs locaux ?
Mais il n’est pas dit, soutient Laurent Lamothe, que l’Etat haïtien ‘doive rester les bras croisés et laisser le peuple à la merci d’une situation aussi aberrante.’
Il a pris évidemment en exemple Petrocaribe ou contrat entre Haïti et le Venezuela, ce dernier nous fournissant le carburant sur garantie de l’Etat haïtien et en accord avec les compagnies de distribution locales.
Nous échappons ainsi aux raretés, que celles-ci soient conjoncturelles ou artificielles, ainsi qu’aux augmentations brutales des prix de la gazoline.
Peut-on réaliser la même chose avec le riz ? Peut-être.
Respect des règlements du libre échange …
Lamothe assure que les autres pays du G7+ (pays ayant connu des situations de troubles : guerres civiles, catastrophes naturelles … et aux côtés desquels il participait à un sommet lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU) s’étonnent que Haïti n’ait point encore choisi une telle option.
Le prochain sommet du G7+ pourrait se tenir en Haïti.
Tout cela dans le respect des règlements du libre échange imposé par le marché international.
Le consommateur haïtien reste soumis aux mêmes prix qu’à l’extérieur. Mais échappe aux augmentations fantaisistes ou bâties de toutes pièces.
A présent place aux critiques.
- Certains accusent le gouvernement d’importer le riz au lieu d’investir dans la production locale.
- D’autres que ce n’est pas une question de riz mais de revenus. Il ne manque pas de riz mais d’argent pour en acheter. Le gouvernement a échoué à créer des emplois pour donner à la population les moyens de se nourrir.
Evidemment il est difficile de répondre à ces derniers parce qu’ils pratiquent l’amalgame comme système. La création d’emplois c’est une chose, les prix du riz c’en est une autre. Même s’il existe entre les deux une relation. Mais transversale, comme on dit aujourd’hui.
La production locale …
Revenons à la première objection qui est plus dans le sujet évoqué. Pourquoi ne pas investir en effet dans la production locale de riz au lieu d’en encourager l’importation ?
Bonne question mais en même temps vieille question. Parce qu’elle avait été posée dès que le marché haïtien a été forcé de s’ouvrir aux importations de cette denrée dont Haïti était non seulement producteur mais aussi exportateur voilà une quarantaine d’années.
Duvalier tombe en février 1986. La junte civilo-militaire ouvre le marché local aux denrées internationales. Aussi bien le riz que le ‘pèpè’ (vêtements usagés).
Les prix locaux s’écroulent. Des manifestations par les paysans de Lestère n’y peuvent rien.
Les couturiers et cordonniers locaux eux aussi sont ruinés.
Succession de troubles politiques …
Le riz de Miami est un riz subventionné par le gouvernement américain. Le riz haïtien ne peut pas tenir la concurrence. Les paysans de l’Artibonite traversent en masse la frontière pour aller offrir leur force de travail dans la République dominicaine voisine.
En échange de l’aide internationale, voici l’Etat haïtien de plus en plus sous pression d’ouvrir le marché national aux importations.
Nous ne faisons rien pour arranger les choses avec notre succession de troubles politiques.
Le retour de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir en 1994 est accompagné d’une nouvelle salve de mesures dites de libéralisation du marché avec les taxes à l’importation réduites presque à zéro. Merci Président Clinton !
Pareil dix ans plus tard (2004) sous le gouvernement provisoire du Premier ministre Gérard Latortue.
Un cercle vicieux …
Haïti de plus en plus enchainé dans le cercle vicieux qui nous condamne à tout importer et à ne rien pouvoir produire puisque ne pouvant tenir la concurrence avec les denrées d’importation.
D’autre part, un grand changement s’est également produit sur le consommateur local. L’Haïtien qui ne jurait jusque dans les années 70 (1970) que par le riz ‘Madame Gougousse’, celui qui était cultivé dans la Vallée de l’Artibonite, ne raffole désormais que du ‘grenn long’ (grain long) ou riz de Miami (en réalité exporté à Miami mais produit dans d’autres parties des Etats-Unis ou même ailleurs !).
Alors, dites-vous, l’Etat devrait investir dans la production nationale au lieu d’encourager l’importation du riz ?
Facile à dire …
Mais no# 1 : produire à perte ? Vu que le produit importé, cultivé massivement, mécaniquement et subventionné, se vend à un meilleur prix en Haïti que celui cultivé localement …
Vu ensuite que l’Etat haïtien ne peut pas (étant donné les accords internationaux qui nous lient) augmenter la taxation à l’importation qui permettrait de protéger la production locale.
Un plan économique global …
Et no# 2) que l’Haïtien a perdu le goût du ‘Madame Gougousse’ et qu’il conviendrait par ailleurs aussi de réhabiliter ce dernier.
Evidemment tout cela prendra un peu de temps … si encore nous décidons de nous y mettre.
Conclusion : la relance de la production locale doit être l’objectif final de l’initiative gouvernementale. Mais elle passe par des étapes …
Et le contrôle du marché de l’alimentation, non pas commercialement mais sur un plan économique global, est l’une de ces étapes.
Le riz est devenu un plat dominant dans la diète nationale, mais cela n’a pas toujours été le cas.
Nous devons donc convaincre l’Haïtien qu’il doit payer un peu plus cher, disons, son goût du luxe !
La veulerie …
Puis investir la différence 1) dans le riz de l’Artibonite en rapprochant de plus en plus ce dernier de la qualité reconnue par le consommateur local au riz importé. Une certaine forme de subvention, pourquoi pas ? On ne peut pas nous le reprocher puisque nous continuons à respecter les règlements du marché global.
Et 2) à encourager aussi la production des autres denrées locales.
Quand on pense que jusqu’aux patates ‘ti zòtèy’ que nous importons aujourd’hui de nos voisins.
Au fond ce n’est pas le riz américain le principal responsable (ni les règlements de l’Organisation mondiale du commerce/OMC) mais la veulerie de nos dirigeants (il est plus facile de collecter les maigres taxes restantes que d’endosser la responsabilité de la production nationale) et de notre secteur des affaires qui plus que jamais ne connaît que le fond de sa poche.
Haïti en Marche, 6 Octobre 2012