La chute de la gourde soulève tous les cauchemars
JACMEL, 17 Mars – Les nouveaux dirigeants se gardent de l'évoquer dans leurs promesses à la population. Mais dans le grand public, l'inquiétude commence à faire place à l'angoisse. Tout le monde est désormais persuadé que la dégringolade de la gourde (monnaie nationale) va atteindre avant longtemps le point zéro, c'est-à-dire quand il faudra 100 gourdes pour 1 dollar américain (ce dernier nous sert de monnaie d'échange internationale).
Aujourd'hui il faut compter 70 gourdes pour 1 dollar. Et rien ne peut en arrêter la chute.
Mais pour une raison ou une autre, l'haïtien a fait du chiffre 100 une limite au-delà de laquelle on ne peut et on ne doit aller. Alors que, logiquement, si cela continue on peut passer allègrement au-delà des 100 gourdes pour 1 dollar jusqu'à, disons X.
Mais pour le peuple, trop c'est trop. C'est comme un sentiment de perte de notre souveraineté nationale qui pointe à l'horizon. Et d'ailleurs le mot est déjà dans tous les commentaires.
Aussi les responsables feraient bien d'y réfléchir. Cette crise de la gourde peut aller bien plus loin en effet que ces derniers ne semblent le penser.
Ou quand on évoque le problème c'est par la tangente.
Le président Jovenel Moïse promet de réconcilier la terre, l'eau et l'homme haïtien (bien sûr l'agriculteur, et encore celui-ci un espèce en voie de disparition, émigration oblige).
Son premier ministre, Jack Guy Lafontant, lui emboite le pas dans sa déclaration de politique générale qui a obtenu mercredi l'approbation du Sénat, avant de prendre la direction de la chambre des députés pour le même exercice.
Non nos dirigeants ne semblent pas ignorer le problème. Mais ils ne veulent pas effrayer. On n'en est pas à ce degré de franchise du discours politique. Le parler vrai.
Pourtant dans la rue le peuple semble aller plus loin qu'eux. Et les questions commencent à se poser sans aucune fioriture.
Si le discours officiel pose les problèmes : nécessité de relance de la production nationale d'un côté, et de l'autre d'attirer dans le pays des investissements créateurs d'emplois, il ne s'aventure pas à considérer les solutions.
MIAMI, 25 Mars – Un article du New York Times (19 Mars 2017) intitulé : 'Après avoir introduit le cholera en Haïti, l'ONU ne peut pas rassembler l'argent pour le combattre.'
La maladie a déjà tué près de 10.000 personnes depuis qu'elle a été introduite en l'année 2000 par un bataillon de la force onusienne appelée Minustah (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti).
En décembre dernier, le Secrétaire général de l'ONU a reconnu (enfin) la responsabilité de l'organisation internationale dans l'épidémie de cholera en Haïti. Il annonçait aussi un fonds de US$400 millions pour la combattre. Et en même temps fournir une assistance aux victimes.
Cependant le Secrétaire général Ban Ki-moon était à la veille de céder la place à son successeur.
Ce dernier, le portugais António Gutteres, ne semble pas autant considérer la question comme une responsabilité personnelle.
Selon le Times, comme les cotisations ne viennent pas comme on l'espérait, le nouveau Secrétaire général avait annoncé une décision pour inscrire les fonds promis, directement dans le budget annuel de l'ONU. Mais le délai du 6 Mars, qui avait été annoncé, est passé sans aucune décision à ce sujet.
Et le quotidien new-yorkais de poursuivre : les officiels onusiens se sentent obligés de remettre leur promesse au placard devant les difficultés financières auxquelles est confrontée l'organisation, face aux réticences de ses membres les plus puissants à payer leur cotisation, à commencer par les Etats-Unis d'Amérique avec une nouvelle administration qui a annoncé des coupes sombres (près de 25%) dans le budget diplomatique et de l'assistance internationale.
D'autres pays peuvent être réticents parce que ne sachant pas si l'argent sera utilisé effectivement pour l'objectif fixé.
On a l'expérience des milliards récoltés pour Haïti après le séisme du 12 janvier 2010 qui a détruit la capitale haïtienne et fait plus de 200.000 morts. Mais Port-au-Prince reste aujourd'hui pratiquement dans le même état.
Querelle de langues : Mais aujourd'hui pas seulement entre le créole et le français
MIAMI, 1er Avril – Dès qu'il s'agit de langue en Haïti, certains reviennent immanquablement au débat Créole-Français. Déjà vieux, bien entendu, au moins de deux siècles, nos aïeux ayant été contraints de choisir dès l'Indépendance (1er Janvier 1804) dans quelle langue seront proclamés les documents officiels du pays, dont pour commencer, l'Acte d'indépendance. Ce fut dans celle, hélas, de leur ancien colonisateur. Donc rédigé en français et, soulignons-le, sans traduction créole !
Pour commencer, qui comme aujourd'hui dénoncerait pour inconstitutionnel ou irrecevable notre Acte d'indépendance parce que présenté sans la version en Créole !
Pendant un siècle et demi, le Français a été la langue officielle.
Mais dans les années 1970, face à la baisse du niveau de l'enseignement, elle-même conséquences de la surpopulation jointe à l'extension de l'analphabétisme que les élites francophones avaient négligé de combattre, l'Etat prit la décision de remanier le système d'enseignement en introduisant la langue créole au niveau des classes élémentaires.
Puis le mouvement va s'accélérer. Après la chute de la dictature Duvalier (7 février 1986), la nouvelle Constitution (1987) établit deux langues nationales : le Créole et le Français.
Mais dans la vie courante, on finit par proclamer le Créole première langue officielle, et le Français la seconde.
Sur ce a été créée il y a deux ans (loi du 7 avril 2014) l'Académie du Créole Haïtien.
Comme par hasard, au même moment où un écrivain haïtien (ou plutôt canado ou québéco-haïtien), notre confrère Dany Laferrière, devenait membre de la vénérable Académie française.
PORT-AU-PRINCE, 9 Avril – 'Bolivar was here' (Bolivar a vécu ici), c'est le titre d'un chapitre du roman de voyage de l'écrivain anglais Ian Thomson consacré à Haïti et qui offre une approche très originale de la réalité ainsi que de l'histoire de notre pays.
Cela commence avec une citation de Gabriel Garcia Marques dans son roman 'Le Général dans son labyrinthe' : 'A trois heures de l'après-midi je m'embarque pour toujours sur un bateau à destination d'Haïti.'
Cela veut dire que Haïti était la dernière chance pour le Libertador pour accomplir son rêve.
Nous revenons vers cette tranche d'histoire alors que Haïti est prise dans la tourmente politique entre le pouvoir de Caracas, qui prône la 'révolution bolivarienne' et des pays de l'OEA (Organisation des Etats Américains) qui cherchent son renversement, dont les Etats-Unis.
A la récente assemblée de l'OEA, Haïti s'est rangée aux côtés du Venezuela.
'Il n'est pas largement connu que le Venezuela doit son indépendance à Haïti', écrit Ian Thomson.
On est le 1er janvier 1816. Simon Bolivar pose le pied dans le chef-lieu du Sud-ouest d'Haïti, les Cayes, où il va rassembler une expédition militaire pour libérer le Venezuela du joug colonial espagnol.
Un entrepreneur anglais stationné aux Cayes, Robert Sutherland, fournit à Bolivar une lettre d'introduction auprès du président d'Haïti, Alexandre Pétion.
Et dès le 2 janvier, au lendemain de l'arrivée de Bolivar, les deux hommes se rencontrent.
Pétion accepta de financer l'expédition. Cela à deux conditions : 1) que Bolivar abolisse l'esclavage dans tous les pays qu'il lui arriverait de libérer ; 2) que le futur Etat vénézuélien reconnaisse l'indépendance d'Haïti.
Ce dernier point était d'une importance capitale pour le nouvel Etat d'Haïti, première nation nègre libérée de l'esclavage par ses propres moyens (1804), et dès lors boycottée diplomatiquement dans le monde entier. Ce n'est pas avant 1862 que les Etats-Unis reconnaitront l'Etat d'Haïti.
Lire la suite : OEA-VENEZUELA : Haïti depuis toujours tient tête aux grandes puissances !
JACMEL, 15 Avril – Les arguments d'aujourd'hui ne peuvent pas pouvoir ni vouloir expliquer toutes nos erreurs d'hier. Comme une analyse économique qui ferait remonter le marasme d'aujourd'hui à 1957 sous le prétexte que c'est le régime Duvalier qui a précipité le pays dans la crise économique en installant la dictature à vie.
Certes la dictature de trente ans a constitué un frein au développement mais Papa Doc n'a rien à voir avec les millions de la dette externe qui constituent aujourd'hui plus que jamais un boulet à tout effort de développement de notre part.
Comme ce projet de rénovation de l'aéroport international de Port-au-Prince avec une banque de Pékin, auquel nous avons dû renoncer parce que le pays n'ayant pas le doit de s'engager pour plus de 1,3% avec qui que ce soit en vertu de l'accord annulant notre dette externe au lendemain du séisme de janvier 2010.
La dictature, c'est triste à dire, a du bon en ce sens que le dictateur étant seul maitre à bord, il ne peut le reprocher à personne quand quelque chose ne va pas.
Aussi est-ce Papa Doc qui, en 14 ans de règne (1957-1971), a construit le premier et jusqu'à présent le seul aéroport international du pays, celui de Port-au-Prince, ainsi que la centrale hydroélectrique de Péligre qui, elle aussi, reste la seule en son genre. Dans l'un comme dans l'autre cas, nous n'avons pas fait mieux depuis.
Tout comme le fils, Baby Doc, a construit un important réseau national de téléphonie, la Teleco, en son temps l'un des plus modernes de la Caraïbe avec la station terrienne de Cabaret (au nord de la capitale). Etc.
Nous n'avons rien inventé depuis de plus important comme instrument de développement. Hélas.
Des caisses bien pleines ! ...
Quant à la dette externe, il faut rappeler que François Duvalier, un vieux de la vieille, savait que d'une façon indirecte c'est encore elle qui peut constituer le plus grand empêchement au développement d'un pays quand celui-ci ne dispose pas des infrastructures appropriées pour transformer cette dette en instrument réel de développement.