JACMEL, 25 Juin – On continue à parler de cette requête que des membres du Sénat haïtien auraient adressée au 'protocole du Ministère des Affaires Etrangères du Panama' demandant d'enlever le président provisoire haïtien Jocelerme Privert de la liste des invités à l''inauguration des travaux de restauration du canal (de) Panama' le dimanche 26 juin.
Cette démarche a fait sursauter plus d'un qui considèrent que c'est contraire à la dignité nationale. On ne lave pas son linge sale chez les autres. C'est un des principes élémentaires de la souveraineté nationale. La souveraineté commence par soi-même. Respecte toi si tu veux être respecté. Rien de plus naturel. Même les bêtes sauvages qui le savent. Or les mêmes seraient indignés si on leur disait qu'ils violent la souveraineté de leur pays, puisque (constitutionnellement) les sénateurs, que l'on sache, ne sont pas moins garants de la dignité des institutions nationales que le chef de l'Etat.
Evidemment, avec l'utilisation très large faite ces jours-ci de l'internet (y compris chez nous) pour manipuler l'opinion, il se peut que ce soit là un faux, un canular, et si c'est le cas nous nous excusons auprès des personnalités dont la signature se trouve au bas de ce message (apparemment) câblé.
Cependant pour l'édification du public nous nous permettons de citer quelques exemples qui prouveront le bien fondé de nos remarques.
L'affaire de l'arrestation de Pinochet ...
L'actuel ambassadeur du Chili à Washington s'appelle Juan Gabriel Valdez. Il était le chef de la Minustah (casques bleus de l'ONU en Haïti) lors des présidentielles haïtiennes de 2006. C'est lui qui nous a raconté. Il était ministre des affaires étrangères du Chili lorsque l'ex-dictateur chilien, le Général Augusto Pinochet, a été placé en 'état d'arrestation' lors d'un voyage à Londres, à la requête de l'avocat espagnol défenseur des droits humains Baltasar Garçon (le 16 octobre 1998) pour de nombreux crimes commis sous son régime qui, comme on le sait, n'a pas eu la main légère dans la répression.
Lire la suite : Quand des sénateurs oublient le principe de souveraineté nationale
Le Cap Haïtien ne va pas trop mal !
CAP-HAITIEN, 29 Juin – La ville de tous les projets, bien qu'elle n'en sache rien. Ou si peu. Trop occupée à gagner sa vie, la 2e ville d'Haïti, le Cap-Haïtien se trouve au centre de beaucoup d'activités ainsi que de préoccupations.
Appel d'offres lancé pour la rénovation de l'ancien port international, avec un financement de l'aide américaine (USAID), en même temps que l'on est soucieux que son emplacement ne vienne faire obstacle au projet de 'couloir touristique' envisagé avec la collaboration de la Banque mondiale.
Autre projet de nature à relancer la machine économique locale, c'est l'éventualité de la construction d'un téléphérique pour transporter les centaines de croisiéristes de Labadie (importante escale de la Royal Caribbean) vers l'attraction numéro un d'Haïti et de toute la région Caraïbe, la Citadelle Christophe.
On a compris que le projet initial par la route, même avec une voie conçue spécialement à cette fin, prendrait deux heures à l'aller et deux au retour, donc trop étant donné que le paquebot le plus grand du monde (comme l'Oasis of the Seas) ne reste jamais 24 heures au même endroit.
Cependant le temps presse car qui oserait manquer la Citadelle.
La '8e merveille du monde' ...
Un frisson vous parcourt à peine avez vous mis les pieds dans l'ensemble constitué du palais Sans Souci, de la partie boisée que l'on grimpe (plus facilement grâce à une route en pierre de taille réalisée aux bons soins de l'USAID) pour déboucher au pied de la '8e merveille du monde', la Citadelle Christophe.
A moins d'y avoir été ces derniers mois, vous découvrez pourquoi l'héritage de Henry 1er a été élevé au titre de Patrimoine de l'humanité.
D'autant plus quand on est flanqué de deux guides comme Patrick Durandis, le directeur de l'ISPAN (Institut de protection du patrimoine national) et l'archéologue et ex-ministre de la Culture, Eddy Lubin.
On ne finit pas de parcourir dans tous les sens ce 'cuirassé de pierre', pour citer Césaire ('La Tragédie du Roi Christophe'), cette multitude de bouches à feu enlevées à toutes les armées étrangères qui ont essayé de maintenir l'esclavage sur cette terre (anglais, espagnols, français etc), tourelles, meurtrières, ponts levis, les uns réhabilités (jusqu'ici $14 millions dont au moins la moitié fournie par l'Etat haïtien), les autres qui attendent de l'être. Grâce au PAST (Projet de Préservation du Patrimoine et d'Appui au Secteur Touristique) avec la coopération de la Banque mondiale et de l'UNESCO.
Et ce sera un Big one ...
Avec aujourd'hui une préoccupation principale : le sort de la Citadelle en cas d'un séisme.
CAP-HAITIEN, 30 Juin – Une visite dans le Nord historique du pays nous plonge fatalement dans une réflexion sur la geste de nos ancêtres qui ont vaincu la plus grande force militaire de l'époque, la Grande armée napoléonienne, pour nous donner notre Indépendance nationale depuis plus de deux siècles.
Comment le pays où nous vivons (que de nouvelles statistiques viennent encore de consacrer celui du continent où l'on vit avec les revenus les plus bas) a-t-il pu donner naissance à des Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henry Christophe, Capois-la-Mort etc ?
Où Toussaint a-t-il tiré le génie qui lui a permis de doubler toutes les puissances de l'époque (l'Espagne, l'Angleterre et la France) pour devenir Gouverneur général à vie de Saint-Domingue ... avant sa trahison par la France où il finira sa vie dans un geôle triste et froid ?
Où Dessalines a-t-il appris l'art du commandement sans avoir fait Saint-Cyr ou Sandhurst ou autre grande école militaire européenne ?
Où Capois a-t-il puisé cette bravoure digne seulement des héros de l'Antiquité ?
Et au pied de la Citadelle qui porte son nom, Henry Christophe, ce roi pour l'éternité, seul le silence qui convient.
Insouciance vis-à-vis des témoignages de l'histoire nationale ...
Quelle différence entre Capois-la-Mort, le 18 Novembre 1803, à la Bataille de Vertières et Achille devant les murs de Troie, sinon que Achille est un héros de légende, et non pas Capois !
Or pourquoi le jeune haïtien n'a-t-il pas pour Capois les mêmes yeux que pour Achille ?
Parce que le cinéma haïtien n'a pas encore atteint ces dimensions-là, me direz-vous.
Ces pensées vous viennent au vu de la presqu'indifférence, du manque de souci éternel de l'Haïtien vis-à-vis des témoignages de l'histoire nationale : sites abandonnés ou disparus de vue depuis longtemps, monuments profanés, jusqu'à celui de Vertières dont on a déjà cassé plus d'une fois le sabre de Capois, etc.
Et qui évacue les vraies forces politiques du pays
PORT-AU-PRINCE, 15 Juillet – Aujourd'hui nous voici à un stade que l'on pourrait appeler l'auto-déstabilisation.
En 1987, pour faire échouer les premières élections démocratiques, il y avait l'armée encore d'essence duvaliériste. Ce fut facile. On massacre en plein jour, le matin même du 29 novembre 1987, et le tour est joué.
En 1991, pour abattre le premier gouvernement démocratiquement élu, après seulement six mois en fonction, il a fallu engager des mercenaires. Ce fut le major Michel François et ses commandos de trafiquants de drogue.
En 2004, l'opposition locale fut mise plus directement à profit. Le régime Aristide fit face à une levée de boucliers comprenant l'élite économique et une frange des classes moyennes, mais exceptionnellement aussi les étudiants de plusieurs facultés publiques (Sciences humaines, Droit etc).
Ces derniers ne tardèrent cependant point à réaliser qu'ils n'avaient servi eux aussi que comme hommes de main.
Tout comme il n'a pas été permis aux généraux et colonels de 1991 de garder le pouvoir (les Marines débarquèrent 3 années plus tard, en septembre 1994, pour chasser la junte militaire et réinstaller Aristide mais pour pas plus d'une année d'exercice du pouvoir), en 2004 telle ne fut pas la surprise des secteurs insurrectionnels de voir parachuter depuis la Floride un premier ministre intérimaire Gérard Latortue n'ayant de comptes à rendre qu'à ses patrons du Département d'Etat américain.
Déstabilisation sui generis ...
Aujourd'hui encore le pays se trouve dans une autre situation critique et ouverte à toutes les aventures, et avec encore une fois une nouvelle particularité.
Cette fois la déstabilisation est issue des forces en présence elles-mêmes. Déstabilisation sui generis. Il n'est pas besoin d'intervenir dans le bourbier haïtien pour que celui-ci se désintègre de lui-même. C'est une nouvelle étape dans le même processus d'occupation sans occupation !
MEYER, 29 Juillet – Il ne suffit pas de mettre fin à la mauvaise autorité. Il faut la remplacer par une autre.
Voilà le piège dans lequel est tombée notre Haïti.
Nous avons célébré la fin de la dictature (1986). Mais nous n'avons jamais remplacé l'autorité qu'elle incarnait MAL par une autre version positive. Comme les deux facettes d'un médaillon. Nous avons laissé le terrain vide.
Mais le pire est que pour rétablir l'ordre normal des choses, il faudra revenir à l'autoritarisme.
Et que le plus longtemps on continuera d'attendre, plus dure sera la chute.
Ainsi va-t-on d'étonnement en étonnement. La semaine dernière un responsable de banque, homme de bonne foi, a déclaré qu'ils font le maximum pour protéger le client à l'intérieur de leurs locaux mais que dès que celui-ci est dans la rue c'est aux responsables de l'ordre de le prendre en charge.
Normal.
Cependant ces derniers décident-ils de mettre de l'ordre dans la circulation des taxis motos, moyen utilisé pour commettre la presque totalité des assassinats, que ces derniers se rebellent et organisent des manifestations de protestation.
Pouvoir basé sur l'intimidation et le chantage ...
Les taxi motos sont l'archétype, le modèle parfait du phénomène dont nous parlons : la disparition de l'autorité de l'Etat dans une dispersion totale, une dilution dans l'espace social, jusqu'au plus bas, en une multitude de pouvoirs plus que locaux, individuels.
Pour les taxi motos c'est le nombre qui fait la différence, une multiplication à vue d'œil et sans contrôle à travers tout le pays.
Dès lors c'est le pouvoir du nombre. Tous pour un, un pour tous. Malheur au conducteur de véhicule, ou même le simple piéton, qui entre en contravention avec un seul d'entre eux.
En un clin d'œil ils débarquent tous sur les lieux. Solidaires comme pas un. C'est un pouvoir basé donc sur l'intimidation et le chantage. Or en dehors de la capitale, la police nationale, en trop petit nombre, ne peut pas faire face.