Querelle de langues : Mais aujourd'hui pas seulement entre le créole et le français

MIAMI, 1er Avril – Dès qu'il s'agit de langue en Haïti, certains reviennent immanquablement au débat Créole-Français. Déjà vieux, bien entendu, au moins de deux siècles, nos aïeux ayant été contraints de choisir dès l'Indépendance (1er Janvier 1804) dans quelle langue seront proclamés les documents officiels du pays, dont pour commencer, l'Acte d'indépendance. Ce fut dans celle, hélas, de leur ancien colonisateur. Donc rédigé en français et, soulignons-le, sans traduction créole !

Pour commencer, qui comme aujourd'hui dénoncerait pour inconstitutionnel ou irrecevable notre Acte d'indépendance parce que présenté sans la version en Créole !

Pendant un siècle et demi, le Français a été la langue officielle.

Mais dans les années 1970, face à la baisse du niveau de l'enseignement, elle-même conséquences de la surpopulation jointe à l'extension de l'analphabétisme que les élites francophones avaient négligé de combattre, l'Etat prit la décision de remanier le système d'enseignement en introduisant la langue créole au niveau des classes élémentaires.

Puis le mouvement va s'accélérer. Après la chute de la dictature Duvalier (7 février 1986), la nouvelle Constitution (1987) établit deux langues nationales : le Créole et le Français.

Mais dans la vie courante, on finit par proclamer le Créole première langue officielle, et le Français la seconde.

Sur ce a été créée il y a deux ans (loi du 7 avril 2014) l'Académie du Créole Haïtien.

Comme par hasard, au même moment où un écrivain haïtien (ou plutôt canado ou québéco-haïtien), notre confrère Dany Laferrière, devenait membre de la vénérable Académie française.

'Imay' pour email ...

Ainsi va la vie quand le débat Créole-Français vient de rebondir avec la prestation peu brillante, semble-t-il, de parlementaires des deux chambres lors des séances de ratification, le mois dernier, du programme politique du nouveau Premier ministre, Jack Guy Lafontant.

Les réseaux sociaux s'empressent de dresser une collection des plus extravagantes perles langagières prononcées à cette occasion. Comme

'imay' pour email ; ou 'humilité' pour immunité parlementaire etc.

Aussitôt la vieille querelle des années 1970 entre partisans du Créole et du Français de rebondir, chacun des deux camps étalant ses arguments dans des colonnes entières sur la Toile (internet), quotidiens et hebdomadaires se refusant davantage aujourd'hui à s'engager dans un débat qui semble ne jamais avoir de fin. Et pour cause, parce que la réalité semble de plus en plus échapper aux uns comme aux autres.

Alors que le Créole a acquis ses droits de noblesse par la grâce de la culture (littérature, chansons etc) mais d'abord du système démocratique qui entend que la Nation tout entière soit renseignée en tout et pour tout dans la langue qui lui est la plus familière ; mais d'un autre côté le jeune citoyen haïtien est de plus en plus forcé à laisser la terre natale pour aller gagner sa vie ailleurs. Et aujourd'hui aucun de ces pays d'accueil qui ait le Créole comme langue principale.

'Immigration choisie' ...

Ni le Français d'ailleurs, en dehors du Canada (Montréal, Québec) puisque la France refoule

quant à elle nos sans-papiers sans aucune considération.

Restons un instant au Canada qui place la langue tout au sommet de ses exigences dans l'application de son concept d''immigration choisie'.

Nos candidats à l'émigration au Canada, même munis d'un diplôme universitaire, se heurtent quotidiennement à un refus, même temporaire, à cause d'une maitrise insuffisante de la langue française.

Et si, comme il menace de le faire, le président Donald Tump se mettait à appliquer comme le Canada l'exigence de la langue du pays d'accueil, autrement dit l'anglais ...

D'ailleurs n'est-ce pas l'école Union School, une entité de la mission diplomatique américaine, qui offre des bourses en anglais pour jeunes filles.

Cela en même temps que l'Université de Technologie du Massachussetts (MIT) met au point un programme pour élargir la place du Créole dans l'enseignement public en Haïti.

La guerre des langues n'a donc pas un seul aspect !

Le Mandarin ...

Depuis le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 qui a fait plus de 200.000 morts et détruit le centre-ville de la capitale haïtienne, un nouveau mouvement d'émigration s'est déclenché. En direction d'abord du Brésil. Puis à cause de la baisse de la croissance enregistrée en ce moment dans ce pays, de plus en plus vers le Chili.

Au point que cela a constitué un chapitre des accords signés la semaine dernière lors de la visite en Haïti de la présidente chilienne Michelle Bachelet. Selon le communiqué de la Présidence d'Haïti, les deux chefs d'Etat se sont engagés pour 'la comparabilité ou l'équivalence et la reconnaissance d'études des cycles de l'Enseignement de base ou fondamental ou de l'Enseignement moyen ou secondaire.'

En un mot, offrant à de jeunes Haïtiens et Haïtiennes la possibilité d'aller poursuivre des études au Chili.

Mais bien entendu pas en créole. Ni en français.

Donc à quoi ça sert de nous comporter comme il y a deux siècles quand notre monde était limité par ces deux idiomes.

Nous avons le Créole comme langue maternelle et première langue nationale. Celle dans laquelle nous nous exprimons aussi le mieux pour exprimer notre identité culturelle.

D'autre part le Français n'est plus la seule langue pour notre ouverture sur le monde.

Après 2 années d'études à Taiwan, nos compatriotes s'expriment parfaitement bien ... en Mandarin. 'Procès de singe' ...

L'Haïtien semble avoir la bosse des langues.

Et notre paysan, même analphabète quand il débarque, se fait parfaitement bien comprendre en français.

Il est vrai à Paris, pas en Haïti où aujourd'hui encore l'on en fait toute une affaire comme le montrent ces 'procès de singe' qui se déroulent actuellement sur les réseaux sociaux haïtiens.

Mais pourquoi se battre ? Lors d'une réunion du PTA (association parents, élèves, professeurs) à Miami, organisée par le School Board (ou département local de l'enseignement) avec pour sujet : quelle deuxième langue enseigner aux petits haïtiens venus d'Haïti, les professeurs se sont tout de suite prononcés pour le Créole, mais une bonne partie des parents n'ont pas démordu. Ils veulent qu'on apprenne le Français à leurs enfants.

Donc comme dit le québécois : il y a toujours moyen de moyenner !

Evidemment c'est plus près du québécois que du français de France !

Haïti en Marche, 1er Avril 2017