Herby Widmaier ou simplement Bibi !

PORT-AU-PRINCE, 28 Avril – Une personnalité effacée, s'il n'y a déjà pas contradiction entre ces deux termes, car en effet il y a tant à dire.
Qu'il a été le fondateur de Radio Métropole, l'une des principales radios de la capitale haïtienne, c'est tout ce que les nouvelles générations savent de Herby Widmaier, qui vient de s'éteindre à 84 ans, après une longue maladie cardiaque.
Mais aussi qu'il est le père de Joel Widmaier, créateur du Festival international de jazz de Port-au-Prince (PapJazz), qui a fini par imposer cette musique dans le paysage haïtien, ainsi que de Mushi (Gousse) Widmaier, également musicien de jazz ...
Et de Richard Widmaier, l'aîné, lui aussi musicien mais qui a dû y renoncer pour prendre en main les destinées de la radio.
Mais qui est Herbert Widmaier, dit Herby. Et même pour les intimes, 'Bibi'.
Nous entendons par intimes tous les employés qui se sont succédés dans les studios de 'Métropole', depuis 47 ans. Puis qui se sont dispersés aux quatre coins du monde, mais toujours portant en eux-mêmes ce sentiment d'esprit de famille que Herby a su insuffler à son entourage.
Pour cela, il lui faut (Herby) commencer par renoncer à son propre ego. Habituellement silencieux, on le croit timide, mais ses traits d'humour instantanés trahissent un esprit extrêmement vif.


C'est un artiste d'abord, un homme cultivé ensuite. Mais pas à la manière traditionnelle. Il ne parle pas de Richard Wagner, ni même de Bach tellement apprécié dans le milieu jazz.
Sa culture à lui il l'a appris sur le tas. Fils d'un des plus grands innovateurs dans le domaine de la radio en Haïti, Ricardo Widmaier, un citoyen américain d'origine allemande.
Aussi, que ce soit la musique de jazz, que ce soit la radiodiffusion, Herby a joué avec tout ça au moment où les gamins de son âge apprenaient les premières lettres de l'alphabet.
Ensuite, de par sa naissance, un père immigrant et rude travailleur, une mère d'origine simple, Herby ne se sentit jamais un membre de la bourgeoisie port-au-princienne.
Comme si son milieu social, à lui, n'allait pas au-delà de ceux qui travaillaient avec lui. On se souvient des misères qu'il faisait endurer à 'Mimi', son épouse (Micheline Widmaier, née Lafontant), pour qu'il acceptât enfin d'accomplir un voyage de loisir en Europe avec les 'Voyages Chatelain' qui ont été l'un des premiers clients de Radio Métropole (comme aujourd'hui aussi de notre radio à nous, Mélodie FM).
Herby est tout sauf un orateur. Et pourtant il s'exprime avec tant de naturel, que ce soit en français, créole et anglais, que tout orateur gagnerait à l'avoir comme 'trainer.'
Comme il a été le nôtre. Ainsi que pour Bob Lemoine, le plus grand animateur radio des années 1970, la star incontestable, la 'diva assoluta' sur Radio Métropole.
Son expérience, Herby l'a acquise dès sa prime jeunesse. Et à l'ombre des plus grands.


Et ceux-ci sont nombreux. Ricardo était technicien et non 'speaker' mais son talent et son génie en radiodiffusion attiraient les plus grands.
Tout jeune, Herby travailla avec les monstres sacrés des années 1950-60, les Lucien Lemoine et Jacqueline Scott, Denise Pétrus, Antoine Rudolph Hérard, Berthe Posy Baguidy etc.
Ainsi que Jean Sorel, qui fut personnellement notre modèle pour la valeur et la saveur de ses présentations jusqu'à ce que nous découvrîmes qu'il était aveugle et qu'il lisait de ses propres mains ses propres textes et que le résultat ne pouvait être autrement puisque au prix de tant d'effort.
Jean Sorel a été inhumé à Montréal ce samedi 28 avril.
Mais ce n'est pas tout. Le jeune Herby en a vu d'autres en termes de grands talents. En effet, Radio Haïti, de Ricardo Widmaier, a également été la première station en Haïti à réaliser des retransmissions en direct ou 'live'.
Immigré de New York, Ricardo Widmaier vivait aussi à l'heure de tout ce qui se produisait dans le 'Big Apple.'
Or c'était le temps de Radio City 'en direct' du Madison Square Garden. Voir de Woodie Allen le film 'Radio Days'.
Radio Haïti quant à elle retransmet tous les dimanches le 'Radio Théâtre', depuis le cinéma Paramount, au Champ de Mars.
Le jeune Herby n'avait pas seulement la possibilité d'innover en radiodiffusion mais aussi comment quitter des yeux les plus grandes vedettes de la terre qui défilaient sur la scène du Paramount : Nat King Cole ; le crooner chilien Lucho Gatica ; de Cuba, Celia Cruz et la Sonora Matanzera ; le roi du Mambo Benny More.
Comme le retrace le film 'Mambo Kings', Broadway vivait en ce moment-là au rythme de cette musique latine qui échauffe corps et âmes.
Herby sort alors de son silence (comme le papillon de sa chrysalide) et ose se lancer. C'est la création de 'Herby Widmaier et les starlets.'
Succès mitigé. Le style prenait à rebours le grand public. C'était les 'Swingle Singers' avant la lettre. Dans un pays partagé entre la chanson française et la méringue latine (le Compas n'était pas encore né). On découvrit alors un compositeur non conformiste et peu porté vers la moindre concession pour plaire à la grande masse. Un élitiste, mais sans rapport avec l'élite.
Cependant il ne s'entendit pas moins avec nos meilleurs talents de cette époque : Raoul Guillaume, Guy Durosier, le pianiste Nono Lamy, Martha Jean-Claude mais surtout Issa El Saieh, notre Benny More haïtien, compositeur-arrangeur-interprète et chef d'orchestre à la manière des Duke Ellington et qui ouvrit la musique haïtienne aux nouvelles sonorités du siècle.
Puis vint 1957. L'année où tout a commencé, dirait le journaliste-historien Bernard Diederich (principal chroniqueur de l'ère Duvalier). Mais aussi l'année où tout a pris fin.
En effet, c'est dès l'année électorale maudite de 1957 (élection de Papa Doc et point de départ pour un régime totalitaire de 30 ans, fossoyeur des corps et des âmes et de tout esprit innovateur) que l'on commencera à parler du bon vieux temps. Et d'Haïti au passé.
Ricardo Widmaier finit par se retirer à New York. Avec sa seconde femme, dont il a eu un autre fils, expert également en communications.
Radio Haïti fut confiée à un administrateur. Féfé Guéry. Zélé mais plus soucieux de garantir financièrement la retraite de son patron en exil aux Etats-Unis que de poursuivre les innovations technologiques comme en rêvait Herby.
Celui-ci finit par se fâcher et laisser la radio sans exiger aucune compensation.
Radio Haïti fut alors vendue à un groupe dont Jean Dominique (le grand journaliste haïtien assassiné à Port-au-Prince le 3 avril 2000) émergera comme principal propriétaire, pour devenir Radio Haïti Inter.
Tandis que Herby entreprit sa traversée du désert. Oui, il bouffa la vache enragée. Pendant que Mimi (son épouse Micheline Widmaier) partit pour New York, comme ils disaient, 's'occuper des ti gran-moun' (en un mot faire la bonne pour de vieux retraités), Herby ouvrit un studio d'enregistrement. En face du restaurant Le Rond Point, de Max Buteau, un ancien officier de l'armée rescapé des vagues d'assassinat de Papa Doc.
Prochaine étape, création de Radio Métropole, en 1970.
Signe particulier : une sonorité tout à fait nouvelle.
C'est d'abord une petite équipe, avec à sa tête : 'Bibi', Roland Dupoux comme directeur technique et l'animateur incontournable de l'époque, lui aussi un rescapé de Radio Haïti : Bob Lemoine.
Radio Métropole prenait naissance en même temps que le petit 'radio transistor'. C'est dire qu'il était de bon ton pour les secrétaires de bureau d'écouter la Métropole sur leur transistor portatif.
En même temps qu'en souvenir du tandem Radio Théâtre-Radio Haïti des années d'antan, voici Bob Lemoine animant en direct depuis le restaurant Le Rond Point la nouvelle émission phare intitulée 'La Reine de la Semaine'.
Une belle aventure.
En face ce n'est pas le vide total. Jean Dominique vient de changer l'enseigne de Radio Haïti pour Radio Haïti Inter, où l'auteur de cet article fut engagé comme directeur des nouvelles, lui aussi après une pérégrination, comme il semblait être de règle à cette époque, qui le conduisit de Radio Haïti à la MBC puis à RNM (Radio Nouveau Monde).
Face à la concurrence Métropole, Jean Dominique créa un nouveau slogan : l'écoute intelligente.
Radio Haïti Inter met en avant les belles lettres, les arts, le cinéma. Et avec la décision de Duvalier fils, sous la pression internationale, de libéraliser quelque peu le régime : les reportages sur le vif.
Cela marcha si bien que Haïti Inter commença à gagner du terrain sur la concurrence (recettes publicitaires à l'appui) ...
Mais les politiciens, jusqu'à présent dans l'ombre, commencèrent à pointer le bout de leur nez.
Ils firent une cour si assidue à Jean Dominique, en même temps PDG et éditorialiste, que le personnel de la radio finit par le ressentir comme un changement de direction dans les plans initiaux.
Herby Widmaier ne perdit pas le nord. Malgré le succès de Métropole, il comprit que le vent avait tourné et que la presse dite indépendante prenait le pas sur le divertissement.
Il nous contacta sans hésiter. Ce fut le début d'une nouvelle aventure. J'arrivai à Radio Métropole, comme directeur de l'information en 1974. J'y travaillai jour et nuit, comme un forçat (aimait à dire mon épouse Josseline). Jusqu'au 28 novembre 1980 quand Baby Doc, six mois après son mariage avec une divorcée, Michèle Bennett Pasquet, décida de mettre fin à l'expérience et expédia en exil tous les militants de la démocratie naissante (journalistes, syndicalistes et quelques leaders politiques comme Grégoire Eugène, Jean Jacques Honorat etc), tandis que Sylvio Claude était déjà enfermé avec les fous, sous prétexte que seul un fou pouvait avoir osé crier : A bas Duvalier !
J'atterris sans un sou dans le New York resplendissant des fêtes de fin d'année, ainsi que ma camarade de micro Elsie Ethéart. Jean Dominique a pu gagner l'ambassade mais tout le reste de Radio Haïti Inter était soit sur un vol sans billet retour (Michèle Montas, Richard Brisson), soit encore en prison en attendant d'obtenir un visa de sortie (Konpè Filo, Lliane Pierre Paul, Harold Isaac), soit sur le pavé de Port-au-Prince, Marvel et Sony. Tandis que Haïti Inter était fermée, point barre. Elle le restera jusqu'à la chute de Duvalier, le 7 février 1986. Et que Métropole mit fin, en guise de protestation, aux émissions de nouvelles nationales.
Herby Widmaier a-t-il été un bon patron ?
Oui. Et meilleur que tous ceux que j'avais eus auparavant.
Il tint sa parole quand il me disait lors de nos négociations chez Dominique Levanti, correspondant de l'Agence France Presse (AFP), que j'aurai carte blanche dans mes responsabilités de chef des informations.
Métropole me fournira aussi tous les moyens pour bien accomplir ma tâche. Moi ainsi que mes collaborateurs. Et nos 'freelances', reporters payés à la tâche. Comme notre Académicien français, le romancier Dany Laferrière.
Pourtant il y a eu des moments-choc, où un patron devait faire un choix. Comme après l'assassinat de Gasner Raymond, jeune reporter à l'hebdomadaire Le Petit Soir et également attaché par moi-même à la salle des nouvelles de Radio Métropole ; ou encore après le 'vendredi noir' de novembre 1979 quand des hordes envoyées par la police politique jetèrent le chaos dans une conférence sur les droits humains prononcée par Me Gérard Gourgue.
Notre reporter Georges Michel faillit y laisser la vie.
A ce stade certains auraient conseillé à Herby de changer l'indicatif de notre éditorial quotidien pour 'l'éditorial de Marcus' au lieu de l'éditorial de Radio Métropole.
Il refusa. Et il alla jusqu'à me dire qu'il préférait perdre la radio que de faire marche arrière.
Même lorsque le patron du Rond Point, Max Buteau, nous invita tous les deux pour nous raconter que les ministres de Duvalier ont tenu dans son restaurant une rencontre sur le dos de Marcus. C'était Théodore Achille, Jean-Marie Chanoine et Roger Lafontant.
Leur argument : le président Jean-Claude Duvalier a tout offert à Marcus. Une radio, la direction de la Télé nationale, et autres. Mais il a tout refusé. Conclusion : que veut-il alors ? Il veut le pouvoir !
Je frissonnai. Qui ne l'aurait pas. J'offris alors à Herby de ne plus faire d'éditorial et de donner un ton plus neutre à l'information de Métropole.
Il me répondit : Jamais ! Et il ajouta : c'est ça que j'ai toujours voulu faire et que je n'ai jamais eu le courage d'entreprendre.
Marco, si tu es d'accord, on ne bougera pas !
La dictature elle ne pouvait attendre. Poussée par le secteur patronal qui était effrayé par l'ampleur des revendications syndicales, elle considérait que la presse indépendante une fois écartée, il serait facile de mettre fin à tout le reste : syndicats, partis politiques naissants, etc.
Je fus arrêté chez moi le soir du vendredi 28 novembre 1980 et conduit à la police politique (SD) où après un bref interrogatoire sans queue ni tête conduit spécialement par le bourreau de l'époque, le fameux colonel Albert Pierre, dit Ti-Boulé, je fus jeté dans une cellule.
Le mardi suivant, embarquement pour l'exil. Mais de même que la dictature avait fait son choix, moi aussi j'étais libre désormais de passer dans le camp de l'anti-duvaliérisme. Comme on dit avec armes et bagages. Pas beaucoup de bagages au départ car on n'avait amassé aucune économie pendant toutes ces années de passion journalistique. C'était là aussi le bon vieux temps !
Nous prendrons aussi une certaine distance avec Radio Métropole pour qu'on ne l'accuse de financer nos activités à l'extérieur comme cela arrivait souvent sous le régime maudit.
Herby a-t-il été un bon père de famille ?
Pour ses collaborateurs peut-être davantage que pour ses propres fils que nous avons entendus se plaindre que leur père arrivait mal à communiquer son affection.
L'avait-il connue lui-même ?
Lors du décès de son père, Ricardo, à New York, je réalisai un 'spécial' mais je n'arrivai pas à lui faire dire ses sentiments alors qu'il se démena pour me faire trouver les vieux amis de son père, Antoine Hérard et autres, ainsi que des anciennes bandes d'enregistrement du 'Radio Théâtre' au cinéma Paramount.
A-t-il été un bon époux ? Non plus. Micheline Widmaier n'a pas été une épouse heureuse, c'est le moins qu'on puisse dire pour ne pas sortir des secrets de famille.
Elle trouvait trop son refuge ... dans la nicotine. Elle mourra d'un cancer notre Mimi adorée.
Après avoir dû endurer aussi la mort de son troisième fils, Tito, victime de la maladie de l'époque, le Sida.
Le meilleur souvenir que laisse Herby Widmaier est-ce Radio-Tele Métropole ?
Peut-être même pas. Métropole ou autre, la radio d'aujourd'hui ne correspond plus à l'idéal qu'il recherchait dans tout ce qu'il entreprenait, quitte à laisser tomber plutôt que se compromettre. Cela depuis 'Herby Widmaier et les starlets'.
Ou alors le Festival international de jazz de Port-au-Prince que portent à bout de bras Joel et son épouse Milena ? Avec le support de Mushi, qui a établi sa résidence à Miami.
Remarquez que nous n'avons jamais rencontré 'Bibi' dans aucun des concerts dans le cadre du PapJazz, alors que nous y allons depuis plusieurs années.
Il lui reste quoi encore ?
D'avoir vécu pas loin de son entreprise. En effet la radio se trouve sur la même propriété que la résidence de Herby. Et sous les décombres de laquelle il restera prisonnier de longues heures après le séisme du 12 janvier 2010.
Quoi encore ?
Il perdait aussi il y a quelques années la 'seconde' femme de sa vie (au sens strict de qui lui a donné un enfant mais ne cherchez pas plus), Madeleine Gousse, la mère de Mushi, et une ex de 'Herby Widmaier et les starlets'.
Malade du cœur depuis plusieurs années, la médecine l'avait finalement condamné au retrait total.
Nous lui avons rendu visite il y a quelques mois, mais à notre grand regret c'était déjà une personne dont sa vie était derrière elle, loin derrière.
Les messages de sympathie des autorités gouvernementales doivent le faire bien sourire dans son 'lieu où la vérité et le mensonge ne peuvent plus se confondre', comme dit un proverbe haïtien.
Herby s'en alla comme il était venu, pour paraphraser La Fontaine. Il n'a rien eu, il n'a rien demandé, il n'a rien reçu qu'il n'ait voulu. Artiste, compositeur et interprète de talent, courageux jusqu'à renoncer à l'héritage d'un père pour recommencer à zéro, non conformiste dans ses relations avec la bourgeoisie locale mais sans en tirer la moindre gloriole - politique ou idéologique, modeste mais sensible et aux réparties comme lui seul, tel a été 'Bibi' comme l'appellent tous ses anciens collaborateurs et employés (les Elsie Ethéart, Lucien Anduze, Ketty et Martial Jean-Louis, Tutu, Philippe, Legouaze, Loucas, Raphael Féquière, les deux Raymond etc) dont nous avons essayé de traduire ici les sentiments.

Marcus (Haïti en Marche et Mélodie FM)