D'autres causes de la crise économique haïtienne ...
JACMEL, 15 Avril – Les arguments d'aujourd'hui ne peuvent pas pouvoir ni vouloir expliquer toutes nos erreurs d'hier. Comme une analyse économique qui ferait remonter le marasme d'aujourd'hui à 1957 sous le prétexte que c'est le régime Duvalier qui a précipité le pays dans la crise économique en installant la dictature à vie.
Certes la dictature de trente ans a constitué un frein au développement mais Papa Doc n'a rien à voir avec les millions de la dette externe qui constituent aujourd'hui plus que jamais un boulet à tout effort de développement de notre part.
Comme ce projet de rénovation de l'aéroport international de Port-au-Prince avec une banque de Pékin, auquel nous avons dû renoncer parce que le pays n'ayant pas le doit de s'engager pour plus de 1,3% avec qui que ce soit en vertu de l'accord annulant notre dette externe au lendemain du séisme de janvier 2010.
La dictature, c'est triste à dire, a du bon en ce sens que le dictateur étant seul maitre à bord, il ne peut le reprocher à personne quand quelque chose ne va pas.
Aussi est-ce Papa Doc qui, en 14 ans de règne (1957-1971), a construit le premier et jusqu'à présent le seul aéroport international du pays, celui de Port-au-Prince, ainsi que la centrale hydroélectrique de Péligre qui, elle aussi, reste la seule en son genre. Dans l'un comme dans l'autre cas, nous n'avons pas fait mieux depuis.
Tout comme le fils, Baby Doc, a construit un important réseau national de téléphonie, la Teleco, en son temps l'un des plus modernes de la Caraïbe avec la station terrienne de Cabaret (au nord de la capitale). Etc.
Nous n'avons rien inventé depuis de plus important comme instrument de développement. Hélas.
Des caisses bien pleines ! ...
Quant à la dette externe, il faut rappeler que François Duvalier, un vieux de la vieille, savait que d'une façon indirecte c'est encore elle qui peut constituer le plus grand empêchement au développement d'un pays quand celui-ci ne dispose pas des infrastructures appropriées pour transformer cette dette en instrument réel de développement.
Aussi s'arrangea-t-il pour laisser à son successeur, Jean-Claude Duvalier dit Baby Doc, un important excédent budgétaire, en un mot des caisses bien pleines, qui permirent au régime de ne pas avoir besoin de courtiser tout de suite les grandes institutions de financement.
D'autant plus que les Haïtiens s'étaient habitués depuis à se serrer la ceinture.
Et que vit-on ? Faut l'avoir vécu pour le croire. Ce sont ces dernières, lesdites grandes institutions internationales de crédit, qui se sont mises à courtiser le régime sous le prétexte que : un pays ne peut pas se développer sans emprunter, etc.
Baby Doc et sa bande finirent par se laisser prendre à l'hameçon. Comme dit la Bible : ils y goûtèrent et ils virent que c'était bon. Et depuis ils ne purent s'arrêter.
28 novembre 1980 ...
Nous lisions encore récemment que la situation actuelle remonterait à 1971, et que c'est depuis que dure la descente aux enfers. Mais avec toujours les mêmes arguments : mauvaise utilisation de l'aide ainsi que de la dette, avec de plus une instabilité politique chronique.
1971, Papa Doc meurt et, sur la base d'un accord concocté avec Washington, c'est son fils, Baby Doc, qui hérite du pouvoir à vie, qu'il gardera pendant 15 ans, jusqu'au 7 février 1986.
De 1971 jusque-là, de quelle instabilité politique peut-il s'agir ?
Le pays a continué à être dirigé d'une main de fer par une dictature ne concédant aucune liberté. Les tentatives de liberté d'expression (mouvement dit de la presse indépendante) et d'exercice de quelques droits syndicaux et politiques, tolérés le temps de l'administration du président américain promoteur des droits humains, Jimmy Carter, sont écrasés dès l'accession du Républicain Ronald Reagan. C'est le crackdown historique du 28 novembre 1980.
Cela fait donc 15 ans (1971-1986), sans la moindre instabilité politique (proprement dite), et que le pays a été la propriété exclusive de la dictature (version Baby Doc) et de son principal support : la grande bourgeoisie d'affaires.
Le concept de salaire minimum ...
Outre que c'est aussi la dernière décennie qui aura été la plus favorable pour l'économie haïtienne avec l'avènement des industries d'assemblage communément appelées 'factories' (création du Parc industriel) suivi aussitôt d'une relance réelle du tourisme.
Précisons du tourisme, non de l'industrie touristique, car ce n'est pas la même chose. Tandis que nos voisins Dominicains eux mettaient au point une réelle industrie et qui fait aujourd'hui encore leur bonheur.
Du côté de la population, après avoir boudé le concept de salaire minimum (le mot minimum choquait le peuple de Port-au-Prince), le régime, avec le support de l'USAID, entreprit une grande campagne pour amener les paysans à se déplacer vers la capitale. On connaît la suite. Création de Cité Simone, futur Cité Soleil, aujourd'hui le plus hideux bidonville d'Haïti. Rapidement la capitale compte plus de 3 millions d'habitants sur une population haïtienne de quelque 10 millions.
La dette externe et son annulation-piège ...
Oui on connaît trop bien la suite ! Ce sont les troubles politiques qui suivent immédiatement la chute de la dictature en février 1986. Puis le coup d'état militaire de 1991. En réaction, la communauté internationale décrète un embargo international. Fuite des factories vers des cieux plus tranquilles, tandis que le touriste avait plié bagage depuis l'apparition du Sida (1982).
C'est depuis ce temps-là que nous avons perdu réellement les rênes de l'économie nationale.
Pris entre deux feux : d'un côté, oui désormais, l'instabilité politique perpétuelle (avec son corollaire : la disparition de l'autorité publique, un Etat impuissant) ; de l'autre la dette externe dont il est impossible de se défaire, sinon par la grâce d'une annulation mais qui vous lie encore davantage. Eh oui !
Aujourd'hui nos analystes (à court d'analyse ou plutôt à l'analyse un peu courte) portent même la responsabilité sur la subvention du pétrole à la pompe ...
Cette subvention a été permise grâce à l'accord Petrocaribe (2006), en vertu duquel nous achetons le pétrole vénézuélien à meilleur prix avec de plus la possibilité de garder une partie des revenus de la vente en guise de crédit au développement.
Mais comme on sait le pétrole ne fait aujourd'hui pas de prix. Comme il est arrivé aussi au fil des années à notre café. Les exportations de café ont constitué notre arme économique de choc jusqu'à la fin des années 1950.
Comptes en banque en Suisse ...
Par conséquent attention à cette mode de la globalisation qui mettrait toute l'histoire de ces 60 dernières années dans le même panier que nos plaies d'aujourd'hui, voire de la maudite instabilité politique ?
On ne peut passer à pieds joints sur la décennie dite de la révolution économique jean-claudiste ?
Où sont passés les millions créés par le dur labeur des ouvrières de factory et en l'absence de toute liberté syndicale et politique ?
Et quand survint en novembre 1980 le crackdown contre la presse indépendante et contre les premiers soubresauts politiques, contrairement à ce que le régime a pu croire : son problème n'était pas vraiment politique mais proprement d'ordre économique. Après une décennie de développement à marches forcées, la machine avait besoin d'être relancée. Or toutes les économies réalisées, au lieu d'être réinvesties dans le pays, avaient été placées dans des comptes en banque en Suisse aussi bien par Baby Doc que par tous nos millionnaires du secteur des affaires. Et bien entendu pour ne plus jamais revenir dans le pays, comme on sait.
Jusqu'à un fonctionnaire de l'Ambassade de Suisse qui nous disait que celle-ci ne sait quoi faire pour remettre à Haïti le reliquat de la fortune détournée par Baby Doc Duvalier !
Voici plutôt où il faut faire remonter la crise actuelle.
Ce n'est pas la subvention de la gazoline à la pompe qui doit porter la responsabilité de nos malheurs actuels.
Haïti en Marche, 15 Avril 2017