PORT-AU-PRINCE, 20 Septembre – Personne n'est dupe, si l'ouragan Irma avait foncé droit sur nous comme sur la Floride, à l'heure qu'il est il n'y aurait plus d'Haïti.
Parce que plus que jamais nous ne sommes pas un pays menacé de disparition, nous sommes au bord de disparaître.
Et comme on dit d'un navire qui a coulé à pic. Avec armes et bagages. Tout.
Irma a détruit à 95 pour cent les îles Saint Martin, Saint Barthélémy, Barbuda et fait en Floride plus de 50 morts, du jamais vu dans cet Etat américain depuis les années 1930-1940.
Ernest Hemingway a laissé un reportage unique, remontant depuis Key West où il avait sa résidence jusqu'à Miami, avec la horde des résidents des Keys fuyant un ouragan comme Irma.
Après Irma, venant tout de suite dans presque le même parcours, et à peine une semaine après, c'est Maria.
Ce jeudi (21 septembre), celui-ci débouche sur l'île d'Haïti (République dominicaine et République d'Haïti) après avoir détruit totalement l'île de la Dominique et causé d'importants dommages à la Guadeloupe et à Porto-Rico.
16 morts dans la Caraïbe, et 1 à Porto-Rico. Il faudra plusieurs mois pour rétablir l'électricité dans ce territoire associé aux Etats-Unis.
Cependant l'ouragan Maria semble devoir nous épargner lui aussi sa vraie force de frappe.
Comme avant lui Irma, Maria avait été prévu pour passer très au large et au nord d'Haïti, nous épargnant sa gigantesque force de frappe.
Même si on a dû évacuer rapidement Punta Cana, la principale station touristique chez nos voisins dominicains tandis que nos populations de la côte Nord (Nord-Est, Nord et Nord-Ouest) sont, comme la semaine précédente, avec Irma, soumis à la force des vents, des inondations et des ras de marée accompagnant le monstre.
MEYER, 30 Septembre – Nous devinons chez l'actuel président de la république, Jovenel Moïse, une certaine forme d'autoritarisme par nature. En un mot, culturel.
C'est l'autorité quasi naturelle et sans partage du grand Don, le chef de la plantation, celui qui a reçu son pouvoir de la tradition. Une tradition non par la grâce de Dieu, comme chez les anciens rois, mais censée reposer sur l'expérience, la force de survie d'une communauté.
Y a-t-il aussi une certaine influence vodou ? Probablement.
Celui qu'on appelle Papa dans le monde paysan haïtien, voici donc le personnage que l'on perçoit dans l'expression du pouvoir par notre actuel chef de l'Etat, élu aux dernières présidentielles en décembre 2016, quand bien même l'opposition continue à maintenir que ce n'était pas des élections vraiment honnêtes.
En tout cas, tout y conjugue.
Comment le pays a sursauté en entendant les premiers mots du nouveau chef de l'Etat, annonçant que le carnaval cette année aurait lieu aux Cayes (chef-lieu du Sud du pays) et non à la capitale où cette fête populaire nationale traditionnellement se tenait : 'le président a parlé, point barre !'
Ce fameux 'point barre' qui va devenir un leitmotiv dans la bouche de l'opposition pour signaler l'aspect autoritaire de notre nouveau numéro 1, qui donc n'admet aucune objection à ses décisions : 'le président a parlé, point barre !'
Ou le pouvoir sans partage, point final.
Or n'ayant eu jusque-là aucune expérience de la chose publique (Jovenel Moïse n'ayant exercé aucune fonction publique officielle jusqu'à son élection), de tels mots de sa part c'est soit de l'arrogance ... soit une certaine conception qu'il était destiné ... à prendre la tête. Comme le Papa dans la communauté rurale traditionnelle. Le grand Don. Ou dans le vodou, le Papa Loa.
Nous pencherons pour cette seconde hypothèse, Jovenel Moïse ne nous semblant pas plus arrogant qu'un autre.
PORT-AU-PRINCE, 5 Octobre – Le jeudi 5 octobre écoulé c'était la soirée anniversaire de la République de Chine (Taiwan) que nos amis de l'Ambassade de Taiwan ont choisi de célébrer cette année dans la grande salle de fêtes de l'hôtel El Rancho à Pétionville, banlieue huppée de la capitale haïtienne.
On avait l'impression de retrouver les mêmes têtes tellement ces retrouvailles sont empreintes d'un sentiment de fidélité.
Taiwan est l'un des meilleurs supporters économiques pour Haïti parce que son aide ne se conçoit pas seulement en termes monétaires mais en mettant aussi la main à la pâte : projets agricoles en maints endroits, particulièrement dans les rizières de l'Artibonite, introduction et traitement industriel du bambou (Marmelade, dans le Nord, montagnes du Sud-Est etc) ; c'est aussi Taiwan qui attaquera la reconstruction des grands édifices publics de la capitale après le séisme destructeur du 12 janvier 2010 (palais de justice, ministère de l'intérieur etc). Et uniquement des dons.
Jeudi l'ambassadeur Cheng-hao Hu a annoncé que Taiwan va entreprendre un projet de fourniture de courant électrique pour la capitale haïtienne. Cela pour commencer ...
Les applaudissements ont été nourris.
Cependant chacun des invités (y compris probablement la Première dame, Martine Moïse, représentant le président de la République qui lui, était pris à la cérémonie de clôture de la mission des Casques bleus onusiens ou Minustah se déroulant au même moment), oui chacun avait une même idée de derrière la tête, c'est la compétition ouverte aujourd'hui par l'autre Chine, la République populaire de Chine (Pékin) dont une délégation économico-commerciale visitait récemment notre pays, faisant aussi des ouvertures au plan développement.
Comme par hasard il est aussi question dans le plan des Pékinois d'électrification de la capitale haïtienne.
Construction de logements sociaux ainsi que des édifices détruits par le séisme, dont la Mairie de Port-au-Prince.
L'entrée en scène de la Grande Chine (il est vrai par la petite porte puisque Haïti garde des relations diplomatiques avec Taiwan et que c'est inacceptable pour Pékin, du moins jusqu'à nouvel ordre), l'événement a eu cependant un grand effet médiatique auprès de l'opinion publique haïtienne à un moment où le pays traverse une double crise économique majeure et de confiance en soi, c'est chaque jour que des centaines de jeunes compatriotes prennent l'avion pour d'autres cieux, aujourd'hui plutôt des pays d'Amérique latine (Chili, Brésil, Mexique ...).
PORT-AU-PRINCE, 12 Octobre – Ce sont des centaines de jeunes gens qui laissent le pays tous les jours pour aller chercher un avenir sous d'autres cieux.
Aujourd'hui c'est le Chili. Dans ce grand pays du Sud-Amérique, ils ont la promesse de trouver un emploi. Et même si possible de continuer leurs études.
D'autant que le Chili pour le moment n'impose pas l'obligation d'un visa d'entrée.
Le déplacement n'est pas sans risque. Différence de langue et de culture. Et de climat. Mais l'effet du nombre, l'esprit communautaire l'emporte. C'est tous pour un et un pour tous.
Cela ne peut ne pas nous rappeler le grand mouvement d'émigration des années 1960. Des milliers d'universitaires haïtiens, jeunes et moins jeunes, d'un seul coup partant sans demander leur reste ... pour le Congo.
Ce ne fut pas chose aisée. D'abord notre pays était moins ouvert sur le monde qu'aujourd'hui. Ensuite, le Congo ce n'est tout de même pas la porte à côté.
Et pourtant, comme dit le poème : combien de marins, combien de capitaines qui sont partis joyeux pour des terres lointaines.
D'abord l'emploi était assuré. Ce sont les Nations Unies qui recrutaient des enseignants pour ces nouvelles nations indépendantes d'Afrique.
Ensuite, toute la famille était prise en charge.
Mais encore plus, et pardessus tout, il fallait fuir à tout prix cet enfer qu'était devenu Haïti sous la dictature impitoyable d'un nommé Papa Doc.
Ce dernier avait montré de quoi il était capable pour garder éternellement le pouvoir. Tuer jusqu'au dernier.
De plus il avait les Etats-Unis de son côté dans la lutte contre le communisme ou Guerre froide.
Votre seule chance, pourvu que vous ne fussiez pas disposé à baisser les bras ou à courber la tête, était donc dans la fuite. Ou finir votre vie dans les bayahondes derrière le sinistre Fort Dimanche, la Bastille du régime.
Pourquoi, contrairement à aujourd'hui, on en trouvera de toutes les catégories sociales à prendre le chemin du Congo.
LILLE, 19 Octobre – Il n'est plus un secret que la France - et même la Francophonie (officielle) – a tout fait pour récupérer l'image de Toussaint Louverture, en même temps que le fondateur de notre indépendance, le Général Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de la force expéditionnaire dépêchée par Napoléon Bonaparte (victoire du 18 novembre 1803), reste honni par l'Occident.
Le boucher, c'est le surnom qui est prêté à Dessalines pour avoir ordonné le massacre de tous les colons restés dans la désormais ex-partie française de Saint Domingue, devenue la République d'Haïti, mais après qu'elle aura été au lendemain du 1er Janvier 1804 d'abord un empire (celui de Dessalines) puis divisée entre un royaume du Nord (Roi Christophe) et une république au Sud (avec Alexandre Pétion).
Quoique, lors du débat qui avait lieu au Gymnase de Lille (France), le mardi 17 octobre 2017, à l'invitation de la Communauté Haïtienne du Nord de la France, l'éditeur (CIDIHCA) et homme de lettres Frantz (Fanfan) Voltaire n'a eu de cesse de rappeler que tous les Français de profession libérale (médecins, enseignants et autres) ont été soigneusement épargnés (ainsi que d'autres européens tels les membres du régiment Polonais qui avaient déserté la force française) ... ainsi que les prêtres. Il est vrai que ces derniers n'étaient pas plus de 6 ou 7, souligne encore Fanfan, de plus c'était des prêtres 'assermentés', c'est-à-dire non reconnus par le Vatican pour avoir agréé avec la Révolution française alors que celle-ci a nationalisé les biens de l'Eglise, les plus importants après ceux de la Noblesse.
Deux siècles avant la visite d'un président français ...
N'empêche, vous ne trouverez aucune référence à notre Libérateur, l'Empereur Jean-Jacques Dessalines, dans les écrits en France. D'ailleurs jusqu'au nom d'Haïti qui n'y a point paru pendant longtemps, pour être remplacé par 'l'ex-partie française de Saint Domingue.'
C'est dire combien la France n'a pas digéré l'indépendance d'Haïti. Deux siècles s'écouleront avant la visite d'un président français dans notre pays.
Et on dit que lors de leur passage de quelques heures à peine à Port-au-Prince, les présidents Nicolas Sarkozy (2010), au lendemain du terrible séisme qui a détruit la capitale haïtienne, et François Hollande (12 mai 2015) ont évité soigneusement de passer devant la statue équestre de Dessalines, sabre au clair, au Champ de Mars, principale place publique de la capitale.
Alors que Toussaint Louverture a sa place aujourd'hui au Panthéon (à Paris), aux côtés des plus grands de l'Histoire de France.
Et qu'on continue de lui élever bustes et statues dans toute la Francophonie.