PORT-AU-PRINCE, 9 Avril – 'Bolivar was here' (Bolivar a vécu ici), c'est le titre d'un chapitre du roman de voyage de l'écrivain anglais Ian Thomson consacré à Haïti et qui offre une approche très originale de la réalité ainsi que de l'histoire de notre pays.
Cela commence avec une citation de Gabriel Garcia Marques dans son roman 'Le Général dans son labyrinthe' : 'A trois heures de l'après-midi je m'embarque pour toujours sur un bateau à destination d'Haïti.'
Cela veut dire que Haïti était la dernière chance pour le Libertador pour accomplir son rêve.
Nous revenons vers cette tranche d'histoire alors que Haïti est prise dans la tourmente politique entre le pouvoir de Caracas, qui prône la 'révolution bolivarienne' et des pays de l'OEA (Organisation des Etats Américains) qui cherchent son renversement, dont les Etats-Unis.
A la récente assemblée de l'OEA, Haïti s'est rangée aux côtés du Venezuela.
'Il n'est pas largement connu que le Venezuela doit son indépendance à Haïti', écrit Ian Thomson.
On est le 1er janvier 1816. Simon Bolivar pose le pied dans le chef-lieu du Sud-ouest d'Haïti, les Cayes, où il va rassembler une expédition militaire pour libérer le Venezuela du joug colonial espagnol.
Un entrepreneur anglais stationné aux Cayes, Robert Sutherland, fournit à Bolivar une lettre d'introduction auprès du président d'Haïti, Alexandre Pétion.
Et dès le 2 janvier, au lendemain de l'arrivée de Bolivar, les deux hommes se rencontrent.
Pétion accepta de financer l'expédition. Cela à deux conditions : 1) que Bolivar abolisse l'esclavage dans tous les pays qu'il lui arriverait de libérer ; 2) que le futur Etat vénézuélien reconnaisse l'indépendance d'Haïti.
Ce dernier point était d'une importance capitale pour le nouvel Etat d'Haïti, première nation nègre libérée de l'esclavage par ses propres moyens (1804), et dès lors boycottée diplomatiquement dans le monde entier. Ce n'est pas avant 1862 que les Etats-Unis reconnaitront l'Etat d'Haïti.
Simon Bolivar consentit à ces deux conditions (bien que pour la seconde il cédera aux grandes puissances pour ne pas reconnaître officiellement l'indépendance d'Haïti).
Il écrivit au président Pétion : 'Je suis dépassé par tant de faveurs. En tout vous avez été magnanime et aimable.'
Et Bolivar de demander à Pétion s'il accepte que dans la déclaration d'indépendance du Venezuela et dans les premiers décrets qui seront adoptés, si Pétion daignerait accepter le titre de 'auteur de la liberté du peuple du Venezuela' ?
Mais Pétion, homme d'une grande humilité, refusa ce titre.
Tandis que l'expédition fut mise sur pied tambour battant.
Et le 10 Avril 1816, elle partit des Cayes pour l'Amérique du Sud.
Six transports de troupes et un canonnier avec à bord trois cents volontaires haïtiens et quelques milliers de membres de familles vénézuéliennes qui avaient été forcés à l'exil par le colonisateur espagnol.
Tous équipés par Pétion de fusils, de munitions et de provisions.
Simon Bolivar est assisté par le Général Louis Brion, un mulâtre originaire de Curaçao dans les Antilles Hollandaises, habillé comme un hussard anglais et avec un chapeau de maréchal de l'armée de terre orné d'une plume à la Prussienne.
Toujours est-il que c'est cette armée qui libérera le Venezuela de la colonisation espagnole. Bolivar accomplissant son rêve.
Pour la rédaction de ces lignes, l'écrivain Ian Thomson ne négligera aucun effort et aura inspecté chaque mètre carré de la Plaine des Cayes.
Cela commence par une visite à Port-au-Prince au père de l'ancien premier ministre haïtien Laurent Lamothe, Dr Louis Lamothe. On est en 1989, dans cette période tumultueuse de l'actualité haïtienne entre la chute du dictateur Jean-Claude (Baby Doc) Duvalier (février 1986) et les premières élections démocratiques de décembre 1990.
Le Dr Louis G. Lamothe, diplômé en littérature espagnole à la fois des universités de Santiago et de Madrid, est consul honoraire de Bolivie en Haïti.
Il a écrit un ouvrage (en espagnol) intitulé 'L'aide d'Alexandre Pétion au Libérateur Simon Bolivar.'
Selon Dr Lamothe, c'est Pétion qui le premier, bien avant Abraham Lincoln, a 'proclamé l'application des principes de liberté et d'égalité à tous les hommes sans distinction de race' et que pour les peuples du Nouveau Monde, Pétion et Bolivar symbolisent le principe de 'fraternité humaine'. Bien avant tous les abolitionnistes européens.
Dr Louis Lamothe fournit à Ian Thomson toutes les adresses qu'il devrait consulter une fois arrivé aux Cayes.
Particulièrement celle d'un certain Victor Bonostro.
La rue Toussaint Louverture des Cayes débouche éventuellement dans les eaux boueuses du warf.
C'est à cet endroit que l'expédition de Bolivar avait mis le cap vers le Venezuela.
Hélas, un monument commémorant l'événement a été détruit par l'un des cyclones qui frappent régulièrement cette partie du pays (dernier en date, Matthew en octobre 2016).
Bien entendu, son point de chute est l'Auberge Bolivar, chez Condé Marimon, pas bavard mais qui connaît tout le monde en ville.
A présent cap sur la résidence de Mr Victor Bonostro.
'Mr Bonostro, excusez moi de vous déranger, votre nom m'a été donné par le consul haïtien de Bolivie, Dr Louis Lamothe ...'.
Victor Bonostro : 'asseyez vous, asseyez-vous, vous venez pour parler de mon ancêtre Simon Bolivar, n'est-ce pas.'
Aussitôt il ouvre une bouteille de Barbancourt. 'C'est le meilleur rhum, vous savez.'
Un excentrique s'il en est, que ce Victor Bonostro.
Agé de 76 ans au moment de cette rencontre, jouant de l'harmonium le dimanche à la cathédrale des Cayes, il se vante d'avoir composé une pièce musicale intitulée 'Bolivar et Bonostro, l'histoire d'une grande amitié.'
Histoire dont Victor Bonostro se considère, tenez-vous bien, le produit directement incarné. Oui, en chair et en os.
Vous allez comprendre. Les Bonostro sont originaires du Venezuela, où ils s'appelaient Buenostro , transformé plus tard en Bonostro par la prononciation française.
En 1813, ses ancêtres ont fui eux aussi la colonisation espagnole au Venezuela. Pour se réfugier en Haïti, bien sûr, unique territorio libre au-dessous du Rio Grande.
Et quand Simon Bolivar débarqua aux Cayes en 1816, tout normalement il fut recueilli dans la famille Bonostro. Adresse : aujourd'hui Rue Simon Bolivar, bien sûr.
Et alors ?
Eh bien, le Libertador qui n'avait aucune femme ni maitresse avec lui, n'en était pas moins un chaud lapin. C'est ainsi qu'il laissa en souvenir de son passage un 'baby boy' à l'une des filles Bonostro.
'Ce petit garçon, ce fils naturel est mon ancêtre' s'écrie joyeusement Victor Bonostro.
Ian Thomson dit avoir essayé en vain d'obtenir confirmation de cette partie si peu connue de la vie de Bolivar.
Pour conclure que s'il en croit le bilan de ses nombreux déplacements à travers Haïti, c'est typique de ce pays que l'histoire et la fiction se mélangent à un point tel qu'il devient impossible de les séparer.
La dernière lettre qu'il a reçue de Victor Bonostro, cette sorte de 'l'être le plus extraordinaire que j'aie jamais rencontré', est d'ailleurs signée : Victor Bonostro-Bolivar.
A l'heure où l'actualité Pétion-Bolivar refait à nouveau surface à la faveur de cette sorte de guerre froide qui se livre dans les couloirs de l'Organisation des Etats Américains (OEA), nous vous invitons à vous procurer ce charmant roman-reportage sur Haïti intitulé 'Bonjour Blanc, un voyage à travers Haïti' par l'auteur britannique Ian Thomson.
Marcus, Haïti en Marche, 9 Avril 2017