MIAMI, 26 Décembre – La presse joue un rôle important dans la conjoncture politique. Mais il ne faut pas non plus qu'elle outrepasse son rôle. Or cela arrive tous les jours, c'est le moins qu'on puisse dire.
Pour la simple raison que la presse est à la fois le moteur et le carburant mais qui se croit aussi le chauffeur. Le spectacle, son organisateur ainsi que le juge. La tribune et le tribunal. Bref, l'alpha et l'omega.
Et trop souvent aussi le mal et son remède, mais qui surtout vu la délicatesse du moment, risque plutôt de le faire empirer.
On ne peut nier que sous la pression de l'analphabétisme (que, hélas, une fois au pouvoir nos hommes et femmes politiques ne font pas assez pour l'enrayer, et pour cause), nous avons glissé pas si lentement mais sûrement de la civilisation de l'écrit à celle de l'oralité ('kreyòl pale, kreyòl konprann', hélas). C'est à qui parlera le plus fort, dans le meilleur des cas qui se montrerait le plus plaisant, ou comme au temps de Molière : celui qui sait habilement mettre les rieurs de son côté. La politique devient une grosse farce, trop souvent grossière. Ce qui nous donne au bout du compte, tenez-vous bien : la civilisation Martelly. Le pouvoir au bout du ... ne soyons pas grossier.
Mieux affiner son approche ...
Cependant aujourd'hui que notre pays se trouve au vu et au su de tout le monde, du savant comme du simple mortel, au bord de l'abîme, sur fond d'une crise électorale aigue, la presse devrait pouvoir mieux affiner son approche car il y va du devenir de toute une nation.
Venons en au fait. Voici différents pièges qui peuvent rendre la communication moins adaptée aux vraies nécessités du moment, moins véritablement utile sinon dangereuse, dans une conjoncture où chaque mot, chaque virgule peut faire la différence.
PORT-AU-PRINCE, 5 Janvier – Opont ou le cave se rebiffe. C'est quelqu'un qui fait tout ce qu'on lui demande puis soudain, quand on s'y attend le moins, décide de résister : se rebiffe.
C'est en effet la première fois que le président du conseil électoral provisoire (CEP) n'est pas sur la même longueur d'ondes que le chef de l'Etat et chef du parti au pouvoir ou Pati Ayisyen Tèt Kale (PHTK), Michel Martelly.
Ce dernier a eu évidemment le choc de sa vie en recevant tard dans la journée de lundi une lettre du président du CEP, Mr Pierre-Louis Opont, lui annonçant que le second tour de la présidentielle n'est pas possible le 17 janvier prochain comme prévu.
Et alors que le président Martelly en faisait déjà son affaire, annonçant lors de son discours du 1er Janvier 2016 aux Gonaïves, 212e anniversaire de l'Indépendance nationale, qu'il se prépare à publier l'arrêté convoquant les élections pour le 17 janvier et patati et patata.
Dans sa lettre frappée du sceau du Conseil électoral, le président Opont ne mâche pas ses mots (aussi étonnamment que cela puisse paraître) :
Le Conseil ... 'a constaté qu'il serait très difficile sinon impossible de réaliser le deuxième tour ... le 17 janvier 2016.'
'En effet, n'ayant toujours pas en main le rapport de la Commission d'évaluation électorale indépendante formée par l'Exécutif d'une part, et d'autre part compte tenu de la non publication de l'arrêté convoquant le peuple en ses comices, 12 jours de préparation ne suffiront pas à compléter l'ensemble des activités préalables à ce scrutin' (ici tenez vous bien) 'même si ladite convocation serait faite en cours de journée.'
Et au cas où le président Martelly ferait semblant de ne pas comprendre, Pierre-Louis Opont renouvelle sa disponibilité pour 'compléter le processus électoral' (mais) 'avec cette évidence de ne pas avoir un président élu le 07 février 2016.' Afin que nul n'en ignore.
Mais une victoire pour l'opposition
JACMEL, 9 Janvier – Le 11 janvier 2016 est un jour J. Michel Martelly tentera ce jour-là de faire le coup de Papa Doc en 1961. S'emparer de tout le pouvoir sous un faux semblant légaliste. Pour un peu plus tard, et à la première occasion (1963), se déclarer président à vie de la république.
Tel est ce que notre actuel chef de l'Etat, et à moins d'un mois de la fin de son mandat constitutionnel (7 février 2016), est en train de concocter.
A travers des élections taillées sur mesure, et utilisant l'opposition que comme simple figurant, s'emparer de tous les pouvoirs.
Exécutif, législatif, judiciaire. Et autres.
Ce lundi 11 janvier 2016, s'ouvre au parlement de Port-au-Prince la 50e législature.
En vertu des résultats officiels proclamés par un conseil électoral provisoire (CEP) qui se sera montré suffisamment aux ordres du régime, le parti au pouvoir (PHTK ou Pati Ayisyen Tèt Kale) espère une majorité des sièges au Sénat, comme à la Chambre des députés.
Et que Michel Martelly compte bien utiliser pour gagner ce qui lui a manqué ces cinq dernières années : le contrôle du pouvoir législatif. A commencer par la présidence de l'Assemblée nationale.
D'où il peut, fort de la ratification du parlement, s'assurer la nomination d'un gouvernement, mais surtout d'un nouveau Premier ministre, plus à sa dévotion que celui actuellement en fonction, Mr Evans Paul, qui lui a été imposé par les circonstances nées de la crise politique.
J'y suis, j'y reste ! ...
Le vrai problème de Mr. Martelly s'appelle le 7 février 2016, soit dans moins d'un mois. Son mandat de président de la république prend fin. Or de toute évidence il ne veut pas laisser le pouvoir. A la limite il n'entend pas partir entièrement. Soit il fait un coup d'état direct (carrément !) et ne part pas. J'y suis, j'y reste ! Soit il met en place un système totalement à sa dévotion : gouvernement, parlement, justice. Et autres. C'est-à-dire les forces de sécurité, la police nationale et les unités spécialisées, dont les fameux BOID, qui semblent destinés à être ce que les Léopards étaient pour Jean-Claude Duvalier, une sorte de garde prétorienne, en service commandé pour et par le prince.
MEYER, 16 Janvier – Envisageons l'éventualité où le second tour de la présidentielle a lieu comme annoncé le dimanche 24 janvier prochain.
Le candidat opposé à celui du pouvoir en place a déclaré publiquement son retrait de la course. Intervenant sur les ondes, Jude Célestin a réaffirmé qu'il ne participe pas au scrutin du 24 janvier et qu'il a écrit au conseil électoral provisoire (CEP) pour lui demander de ne pas publier de bulletins en son nom.
Un membre du CEP, Marie Carmelle Paul Austin, a rétorqué que le candidat Célestin n'a pas adressé sa demande dans les délais fixés par le décret électoral.
A quoi le candidat a répondu que les dispositions citées par la conseillère ne concernent que le premier tour.
On en est là !
Venu augmenter les doutes au sujet du 24 janvier le départ d'un autre membre du conseil électoral. Voici celui-ci réduit désormais à 5 membres actifs au lieu de 9, avec la démission des représentants de l'église catholique (Ricardo Augustin) et de l'église protestante (Vijonet Déméro), la non participation volontaire aux prises de décision du représentant du secteur des droits humains qui conteste la 'non transparence' du processus, Jaccéus Joseph, et la mise en disponibilité de Mme Yolette Mengual pour faire face aux accusations de corruption soulevées contre elle.
Un palais national vide ...
C'est donc un organisme sérieusement bancal qui va gérer dimanche une entreprise déjà décriée pour fraudes et irrégularités multiples lors des deux tours précédents : législatives du 9 août et présidentielles, législatives et municipales du 25 octobre 2015.
Reste à tenir le second tour des présidentielles et les législatives de rattrapage, ainsi que les élections territoriales, ces dernières renvoyées aux calendes grecques.
Mais il y a un hic. Hors le 24 janvier, plus question de nouveau renvoi si l'on veut respecter l'échéance constitutionnelle du 7 février pour la passation de pouvoirs au nouveau président élu.
JACMEL, 24 Janvier – L'opposition a pu provoquer le renvoi des élections du 24 janvier 2016 en isolant le candidat du pouvoir, comme un rat pris au piège, tout en parvenant à convaincre la communauté internationale du bien fondé de sa position : des élections à un seul candidat c'est un déni de démocratie.
C'est une importante victoire. Et qui montre surtout que, malgré nos faiblesses structurelles, il nous reste suffisamment de caractère pour dire NON quand la cause est évidente. Et qu'on arrive à en convaincre, pour commencer, la communauté nationale. Quand c'est vécu par tous sans exception, au-delà de toutes autres divergences, comme une cause nationale.
Mais par-dessus tout quand on arrive à parler d'une seule et même voix.
Mine de rien, le 24 janvier 2016 devrait être inscrit comme une date importante dans l'Histoire de nos 30 dernières années (1986-2016).
Que va-t-il se passer maintenant ?
La partie n'est pas encore jouée. Loin de là. Du moins concernant l'opposition. En effet c'est elle qui devrait être considérée comme le héros du 24 janvier, mais c'est aussi elle qui peut tout faire échouer.
Sa principale formation actuelle, du moins la plus représentative, le Groupe des 8 (candidats formant le peloton de tête dans les résultats proclamés après le premier tour de la présidentielle qui a eu lieu le 25 octobre 2015, moins la candidate de Fanmi Lavalas, Dr. Maryse Narcisse, qui fait bande à part), le G-8 a publié un communiqué tout de suite après l'annonce vendredi (22 janvier) par le président du Conseil électoral provisoire (CEP), Pierre-Louis Opont, renonçant à la date (contestée) du 24 janvier pour le second tour :
« Le G-8 invite le peuple haïtien à ne pas se complaire dans le triomphalisme et à rester vigilant et mobilisé jusqu'à la satisfaction de ses principales revendications dont : 1) la démission de ce qui reste du CEP et les poursuites judiciaires à engager contre les corrompus ; 2) le départ du président Michel Martelly et la mise en place d'un gouvernement provisoire de consensus ayant principalement pour attributions : mettre en place une commission d'enquête indépendante (...) pour approfondir l'évaluation réalisée par la Commission d'Evaluation Electorale Indépendante (CEEI) et épurer le processus de vote (...) ; identifier et recommander l'exclusion du processus des bénéficiaires avérés des cas de fraudes ; réévaluer les décisions des BCED et du BCEN ; recommander au gouvernement provisoire de consensus toutes mesures jugées utiles et susceptibles de rétablir la confiance.