Crise électorale, catastrophe nationale et démission des clercs
MIAMI, 19 Décembre – Les élections haïtiennes viennent seulement accentuer la catastrophe nationale, la chute libre, le gouffre sans fond vers lequel ce pays continue de se précipiter.
Les élections n'ont pas seulement été entachées d'irrégularités et de fraudes, il n'y a pas eu véritablement d'élections que deux journées de pagaille inqualifiable mais programmée et financée à coups de millions (9 août : 1er tour des législatives comme une sorte de répétition générale et le 25 octobre qui a vu les présidentielles, 2e tour des législatives et les municipales).
Un 2e tour pour les présidentielles est fixé au 27 décembre prochain mais dans des conditions potentiellement pires que ce qu'on a déjà vu.
Quiconque a couvert en effet ces deux derniers scrutins et ayant une certaine expérience du terrain, a pu voir de ses yeux vus les dimensions inimaginables de cette farce où tous ont joué leur partition quasiment à la perfection : conseil électoral provisoire, notamment dans le choix des candidats à retenir et à refuser, où tous les arguments sont bons puisque tout ayant été calculé sur mesure ; les centres de vote avec un système d'organisation mais bâti sur une désorganisation elle aussi calculée, qui permet à une foule de soi-disant mandataires et de faux observateurs de faire, dans la confusion, main basse sur les urnes, à la barbe des pauvres membres de bureaux de vote réduits à une présence symbolique, alors que c'est encore eux qui se voient condamner par le conseil électoral pour les irrégularités et fraudes dénoncées par l'opposition ...
Tout est pourri ! ...
Tout cela mis au point depuis longtemps à l'avance parce que en Haïti aujourd'hui les élections c'est une spécialisation. Au sens le plus péjoratif du mot. Comme on dit en justice, une organisation de malfaiteurs. On achète des élections, comme une propriété ou un fonds de commerce. Et comme c'est un pays où l'activité économique est au point mort depuis longtemps, par conséquent les élections sont un moment aussi important que la coupe du monde ou les jeux olympiques. C'est celui où le plus de millions se brassent sur la place publique, au vu et au su de tous. Mais non avertis, s'abstenir. Normal que le président Michel Martelly ait été le premier à vouloir mettre la main sur le pactole. Mais qu'il ait été combattu par ses adversaires, particulièrement au sénat de la république, et forcé de se rétracter pour la formation d'un conseil électoral dit de consensus, cela n'a rien modifié sur le fond. Parce que le système est déjà bien en place, et connus longtemps à l'avance les spécialistes pour le prendre en main. Les secteurs prétendument indépendants comme les associations de médias ou de défense des droits humains appelés à y désigner un représentant, n'y voient que du feu.
Conclusion : tout est pourri !
Mais tout est pourri, c'est bien entendu la conclusion d'un secteur. Mais un secteur bien déterminé (par contre sans détermination), et qui, d'élections en élections, d'année en année, de gouvernement en gouvernement, de mandat en mandat s'est réduit comme une peau de chagrin.
Tout est pourri, c'est un jugement moral !
Mais un jugement qui est devenu d'année en année vide, stérile, puisque rien n'est fait pour apporter les corrections nécessaires, et finalement aujourd'hui sans conséquence : trop tard dans un monde trop vieux.
C'est un aveu de démission ...
Tout est pourri est devenu à la fois un aveu de démission mais aussi et surtout d'impuissance.
Un secteur qui devait être aux commandes, qui avait pour mission de conduire la nation vers un meilleur destin, c'est celui-là même qui en est réduit aujourd'hui à des considérations aussi creuses qu'elles sont exprimées avec redondance. Comme des aristos déchus. C'est un aveu de démission, qu'il n'est plus possible de cacher.
Car une autre particularité de notre pays est que chacun vit comme si rien ne change jamais. Ou quand ça va mal ; c'est toujours la faute aux autres. Aux riches. Aux impérialistes, américains en tête.
Comme s'il n'y avait pas une nature immanente, un dynamisme social interne, un équilibre qui se cherche malgré nous, d'une façon ou d'une autre, selon le principe bien connu : rien ne se perd, rien ne se crée.
Ainsi ceux qui se contentent de se boucher le nez ('tout est pourri') ont-ils été depuis longtemps remplacés. Sous leur nez.
On parle de disparition des classes moyennes comme si elles avaient été victimes d'une catastrophe naturelle qui n'aurait frappé qu'elles.
Alors que, comme dans la fable, ils n'en mourraient pas tous mais tous étaient frappés.
Puis, comme après le 12 janvier 2010, la terre a repris sa place. Mais gare aux after shocks. Dont la fameuse disparition des classes moyennes. Mais celles-ci ne sont pas victimes du régime Martelly, elles ont au contraire facilité l'avènement d'un Michel Martelly et ses semblables. Par leur disparition. Prématurée.
Car les semblables de Martelly sont également nombreux dans l'opposition actuelle.
Une implosion ...
Parce qu'il s'agit d'un vrai mouvement sismique social qui s'est produit, où les cadres naturels ont été remplacés ... par défaut. Par d'autres, moins qualifiés, moins expérimentés, mais plus impliqués, plus actifs. Plus dans le siècle.
Un vrai brutal changement de génération. Non à la verticale, mais en parallèle, à l'interne. Une implosion.
Et c'est l'une des explications les plus importantes de la catastrophe nationale, et surtout qu'elle soit devenue aussi irrémédiable.
Le remplacement non naturel des cadres politiques et administratifs.
On se retrouve avec aujourd'hui d'un côté de soi-disant qualifiés mais qui se sont retirés du jeu parce que le considérant vicié à la base.
Mais où en même temps ils ne sont plus capables non plus de beaucoup d'influence parce que ayant perdu les rouages, les commandes. Ayant perdu le secret.
Et de l'autre côté les nouveaux maîtres du jeu, certainement moins savants, mais qui se fondent comme un poisson dans l'eau dans les nouvelles conditions établies, entre autres la pagaille, l'abandon des grands principes et la corruption si répandue qu'on pourrait presque la dire démocratique.
Le règne des ONG ...
Outre certaines dispositions internationales venues accélérer, mine de rien, ce processus de décomposition. Par exemple, le règne des organisations non gouvernementales (ONG). A l'origine destinées à contrebalancer la pagaille et la corruption qui étaient plutôt jusque-là l'apanage des gouvernements en place, les ONG aboutissent non seulement à éloigner les meilleurs cadres de l'administration publique mais finalement au processus de vidange ( !) que nous constatons. Contrairement à autrefois où l'on se battait au sens propre (à mains nues, sous la dictature Duvalier) contre la pagaille et la corruption étatiques, aujourd'hui on le fait aussi mais plutôt après s'être mis à l'abri. Puis c'est plus fort que soi, on finit par baisser les bras.
Est-ce que c'était là aussi un piège de l'international ? En tout cas, là aussi nous sommes perdants. Les ONG se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une seule main. Contribuant aussi à la fameuse disparition des classes moyennes.
Quelle solution ?
On en entend de plus en plus qui proposent un gouvernement de transition ?
Objectifs : remettre de l'ordre. A fond. Jusqu'au niveau de la Constitution. Avant de remettre le navire à flot. Elections générales etc.
Le pays de Dessalines ! ...
Mais de quels moyens dispose-t-on ?
Car si on reconnaît la profondeur du mal, on ne va pas jusqu'en profondeur, on ne parle point du tout du médicament.
Comment faire du neuf avec du vieux sans changer l'instrument.
Un étranger dirait : il faut un plan Marshall.
Le plan qui a aidé des pays comme l'Allemagne et le Japon, les deux principaux vaincus de la Seconde guerre, à se relever. Pour pouvoir reprendre peu après leur destin en main.
Mais pour commencer l'Haïtien n'est naturellement pas disposé à céder de gaieté de cœur la souveraineté de son pays. Le pays de Dessalines !
Alors quoi faire ?
Pendant combien de temps peut-on encore tenir ?
Quand est-ce que trop c'est trop pour l'Haïtien ?
Haïti en Marche 19 Décembre 2015