PORT-AU-PRINCE, 5 Janvier – Opont ou le cave se rebiffe. C'est quelqu'un qui fait tout ce qu'on lui demande puis soudain, quand on s'y attend le moins, décide de résister : se rebiffe.
C'est en effet la première fois que le président du conseil électoral provisoire (CEP) n'est pas sur la même longueur d'ondes que le chef de l'Etat et chef du parti au pouvoir ou Pati Ayisyen Tèt Kale (PHTK), Michel Martelly.
Ce dernier a eu évidemment le choc de sa vie en recevant tard dans la journée de lundi une lettre du président du CEP, Mr Pierre-Louis Opont, lui annonçant que le second tour de la présidentielle n'est pas possible le 17 janvier prochain comme prévu.
Et alors que le président Martelly en faisait déjà son affaire, annonçant lors de son discours du 1er Janvier 2016 aux Gonaïves, 212e anniversaire de l'Indépendance nationale, qu'il se prépare à publier l'arrêté convoquant les élections pour le 17 janvier et patati et patata.
Dans sa lettre frappée du sceau du Conseil électoral, le président Opont ne mâche pas ses mots (aussi étonnamment que cela puisse paraître) :
Le Conseil ... 'a constaté qu'il serait très difficile sinon impossible de réaliser le deuxième tour ... le 17 janvier 2016.'
'En effet, n'ayant toujours pas en main le rapport de la Commission d'évaluation électorale indépendante formée par l'Exécutif d'une part, et d'autre part compte tenu de la non publication de l'arrêté convoquant le peuple en ses comices, 12 jours de préparation ne suffiront pas à compléter l'ensemble des activités préalables à ce scrutin' (ici tenez vous bien) 'même si ladite convocation serait faite en cours de journée.'
Et au cas où le président Martelly ferait semblant de ne pas comprendre, Pierre-Louis Opont renouvelle sa disponibilité pour 'compléter le processus électoral' (mais) 'avec cette évidence de ne pas avoir un président élu le 07 février 2016.' Afin que nul n'en ignore.
D'autre part, le président du CEP écrit encore pour bien se faire comprendre qu'il s'agit d'une 'nouvelle réalité.'
Michel Martelly serait donc le seul à ne point réaliser qu'il s'agit d'une 'nouvelle réalité.'
Evidemment le secrétaire général du palais national, le très martellyste ex-ministre de la justice, Jean Renel Sanon, sautait sur sa plume pour écrire au président du CEP qu'il sera reçu par le chef de l'Etat le lendemain mardi 5 janvier à 11 h am.
La surprise semble donc totale au palais de la présidence. En effet, le cave se rebiffe, au moment où l'on s'y attendrait le moins.
N'est-ce pas le même Pierre-Louis Opont qui écrivait le 31 décembre au président Martelly pour lui suggérer 'de bien vouloir convoquer le peuple en ses comices le dimanche 17 janvier 2016.'
Expliquant que c'est la limite pour tenir le second tour si l'on veut respecter la date constitutionnelle du 7 février 2016 pour l'investiture du nouveau président élu.
Quelle mouche a donc piqué le président du CEP ?
Ce n'est pas la date de présentation du rapport de la Commission d'évaluation électorale (qui a remis son rapport au président dans la nuit du 2 au 3 janvier) qui en serait la cause, puisque dans sa même lettre du 31 décembre, le président du CEP prenait note de 'la demande de délai additionnel formulé par la Commission ... pour terminer son travail.'
Outre que les porte-parole du CEP répètent à l'unisson depuis plusieurs semaines que tout est fin prêt !
C'est donc quoi le mobile qui fait soudain se cabrer un Pierre-Louis Opont jusqu'ici si docile à toutes les sollicitations du palais national ?
Revenons à sa lettre de lundi qui semble suggérer au moins deux point conflictuels :
'N'ayant toujours pas en main le rapport de la Commission d'évaluation électorale indépendante ... formée par l'Exécutif' (comme si Mr Opont voulait mettre soudain l'accent sur l'ironie de ces mots : 'indépendante ... formée par l'Exécutif.')
Deuxième point, 'd'autre part, compte tenu de la non publication de l'arrêté convoquant le peuple en ses comices'.
Ajoutant : '12 jours ne suffiront pas à compléter l'ensemble des activités (...) 'même si ladite convocation serait faite en cours de journée.'
Autrement dit, c'est désormais trop tard, même en publiant l'arrêté de convocation immédiatement.
Vous me direz, ces deux petites explications, quoique significatives, ne suffisent pas pour expliquer le volte-face si soudain du président du CEP.
Vous avez probablement raison.
Quelque chose n'a donc pas plu au président du CEP jusqu'ici tellement docile à toutes les directives du pouvoir en place (ainsi que de l'international ou Core Group).
Pourquoi Opont se retourne-t-il contre Martelly et son équipe ?
Peut-être parce que le président du CEP vient de réaliser que tout ce monde est prêt à se débarrasser de lui comme une vieille chaussette dès que l'occasion se présente.
D'abord la lettre de lundi révèle que l'équipe du palais travaille toute seule, si l'on peut dire 'comme un gang.'
Opont reproche qu'on ne lui ait point fait parvenir le rapport de la Commission ...
Tout comme il n'est pas content que l'arrêté de convocation pour le second tour n'ait point encore paru ...
En un mot, c'est le palais qui prend toutes les décisions concernant la poursuite du processus, réduisant le Conseil électoral et son président à un rôle de simple comparse.
Mais ce n'est pas fini. En même temps Opont et ses collègues du CEP sont les seuls à recevoir les baffes.
Voici que leur tombe également dessus la Commission d'évaluation indépendante (indépendante, oui mais, ajoute un peu perfidement Mr Opont, 'formée par l'Exécutif' car comment expliquer que la Commission d'évaluation soit aussi dure pour le CEP si on sert tous le même maître !) ...
Il ne reste donc rien au CEP et à son président. Abandonné par tous. Dans la fosse aux lions de l'opposition. Celle-ci dans sa dernière communication appelle au renvoi de l'actuel conseil électoral, puis à attendre le départ constitutionnel du président Martelly le 7 février prochain pour le remplacer par un gouvernement de transition qui se chargera d'organiser des élections générales. Autrement dit, de fermer la page de l'ère Martelly et son parti Tèt Kale ou 'Kale Tèt'.
Le cave se rebiffe. C'est un nouveau chapitre de la crise.
Il y en aura beaucoup d'autres, sauf qu'à partir de maintenant les séquences sont susceptibles de se dérouler plus rapidement.
Car le palais n'a probablement pas dit lui non plus son dernier mot.
La lettre de Mr Opont révélant aussi que le 'gang du palais' ne chôme pas et semble préparer, dans le secret le plus total, d'autres surprises.
Le suspense reste donc entier.
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince