Pleins pouvoirs pour Martelly
Mais une victoire pour l'opposition
JACMEL, 9 Janvier – Le 11 janvier 2016 est un jour J. Michel Martelly tentera ce jour-là de faire le coup de Papa Doc en 1961. S'emparer de tout le pouvoir sous un faux semblant légaliste. Pour un peu plus tard, et à la première occasion (1963), se déclarer président à vie de la république.
Tel est ce que notre actuel chef de l'Etat, et à moins d'un mois de la fin de son mandat constitutionnel (7 février 2016), est en train de concocter.
A travers des élections taillées sur mesure, et utilisant l'opposition que comme simple figurant, s'emparer de tous les pouvoirs.
Exécutif, législatif, judiciaire. Et autres.
Ce lundi 11 janvier 2016, s'ouvre au parlement de Port-au-Prince la 50e législature.
En vertu des résultats officiels proclamés par un conseil électoral provisoire (CEP) qui se sera montré suffisamment aux ordres du régime, le parti au pouvoir (PHTK ou Pati Ayisyen Tèt Kale) espère une majorité des sièges au Sénat, comme à la Chambre des députés.
Et que Michel Martelly compte bien utiliser pour gagner ce qui lui a manqué ces cinq dernières années : le contrôle du pouvoir législatif. A commencer par la présidence de l'Assemblée nationale.
D'où il peut, fort de la ratification du parlement, s'assurer la nomination d'un gouvernement, mais surtout d'un nouveau Premier ministre, plus à sa dévotion que celui actuellement en fonction, Mr Evans Paul, qui lui a été imposé par les circonstances nées de la crise politique.
J'y suis, j'y reste ! ...
Le vrai problème de Mr. Martelly s'appelle le 7 février 2016, soit dans moins d'un mois. Son mandat de président de la république prend fin. Or de toute évidence il ne veut pas laisser le pouvoir. A la limite il n'entend pas partir entièrement. Soit il fait un coup d'état direct (carrément !) et ne part pas. J'y suis, j'y reste ! Soit il met en place un système totalement à sa dévotion : gouvernement, parlement, justice. Et autres. C'est-à-dire les forces de sécurité, la police nationale et les unités spécialisées, dont les fameux BOID, qui semblent destinés à être ce que les Léopards étaient pour Jean-Claude Duvalier, une sorte de garde prétorienne, en service commandé pour et par le prince.
N'oublions pas que le président a récemment placé aussi des proches à la tête des deux grandes banques d'Etat (BRH et BNC).
Cela lui donne un contrôle absolu du système à tous les niveaux : politique, administratif, juridique et bancaire. C'est le même parcours d'un Papa Doc mais réussi en beaucoup moins de temps.
Le seul hic est que Michel Martelly ne semble pas avoir la permission de ses protecteurs internationaux pour rester en place au-delà du 7 février 2016.
En tout cas, pas encore !
Car reste le second tour de la présidentielle fixé au 24 janvier prochain. Juste 15 jours avant le 7 février.
'Punching ball' pour Michel Martelly ...
Michel Martelly est sûr d'avoir tout mis en place pour assurer la victoire de son poulain, Mr. Jovenel Moïse, lui assurant ainsi un parcours complet comme dictateur mais aussi couplé d'un faiseur de président.
Mieux que Papa Doc, c'est une prouesse à la Trujillo qui a su utiliser des comparses pour mieux garder le pouvoir à vie (dont un Joaquin Balaguer).
Mais il y a un grain de sable dans la machine. Il s'appelle : Jude Célestin. Celui-ci refuse de jouer le jeu et d'aller au second tour face au candidat de Martelly.
Jude Célestin a écrit vendredi au conseil électoral provisoire (CEP) pour annoncer officiellement son refus.
Jude Célestin refuse de jouer le 'punching ball' pour Michel Martelly (c'est-à-dire la momie utilisée par le boxeur pour préparer son match) vu que ce dernier ne cesse de démontrer lui-même qu'il a tout déjà bien en place pour compléter sa victoire.
Le dilemme de la transition (???) ...
Que se passera-t-il le 24 janvier ? Des élections avec seulement un candidat ? Celui du pouvoir ?
Car le CEP ne pourra pas utiliser un candidat fictif nommé Jude Célestin (comme il semblait vouloir le faire) puisque celui-ci lui a écrit officiellement pour retirer sa candidature.
D'où l'importance des événements de cette semaine qui doivent ouvrir la voie à ceux qui vont suivre ces prochaines semaines.
Au cas où les élections du 24 janvier aient lieu avec le seul candidat du pouvoir, donc victoire assurée de celui-ci, quelles réactions dans le pays ?
Secundo, seront-elles acceptées par la communauté internationale malgré toute la concordance de vues entre cette dernière et le pouvoir Martelly ?
Cependant au cas où le scénario du 24 janvier ne marchait pas, et que le 7 février 2016 nous trouve sans un nouveau président élu, alors se pose la question (le dilemme) de la transition ( ???) jusqu'à la tenue d'un nouveau second tour ou de nouvelles présidentielles, on ne sait trop pour l'instant.
Un nouveau Premier ministre plus aux ordres que Mr Evans Paul ...
Sera-t-il permis à Martelly de rester au-delà de la fin de son mandat constitutionnel ?
Aujourd'hui les observateurs pensent que ce sera plus probablement la mission d'un 'caretaker' (un officiel désigné spécialement à cette tâche) plus que le 'gouvernement de transition' à la manière dont l'espère une bonne partie de l'opposition (sans offenser cette dernière cependant il importe d'avoir les moyens de sa politique !).
Pourquoi donc Martelly doit prendre dès ce lundi même les commandes de l'Assemblée nationale (sénat et chambre des députés) afin d'obtenir rapidement la ratification d'un nouveau Premier ministre plus à ses ordres que Mr Evans Paul et qui soit déjà en place pour garantir que les prochaines élections resteront favorables à son candidat actuel et à son équipe. Et ad vitam eternam.
Dictature mais c'est pour l'opposition la victoire ...
Martelly peut donc se frotter les mains. Il a réalisé un parcours sans faute. Tous les pouvoirs lui sont acquis : gouvernement, législatif, judiciaire (ce dernier n'est pas sorti de son rôle pratiquement de zombie), mais aussi forces de sécurité, système bancaire, milieux d'affaires (du moins ceux qui sont concernés par leurs seuls intérêts personnels et point par l'intérêt national) ...
En un mot, c'est la DICTATURE. Un seul homme détenant tous les pouvoirs. Bravo.
Mais c'est aussi le piège dans lequel l'opposition a, dès le début, cherché à l'enfermer.
Et avec le refus de Jude Célestin d'aller au second tour le 24 janvier, c'est victoire totale pour l'opposition. Bravissimo !
Car comment peut-on vaincre un pouvoir mis en place et entretenu par la plus grande puissance économique et militaire du monde quand on est un tout petit pays et classé le seul PMA (pays moins avancé) du continent, un euphémisme pour ne pas dire le pays le plus misérable de l'hémisphère.
Ce n'est sûrement point par la force mais par la ténacité et surtout la solidarité.
Martelly a désormais les pouvoirs d'un dictateur. Et il peut s'en réjouir dans une 'sarabande' de son cru pour le prochain carnaval.
Mais l'opposition a remporté la victoire. Non contre Michel Martelly qui n'est qu'une mécanique momentanément sans contrôle, mais contre la communauté internationale qui croit qu'on peut faire tout ce qu'on veut de l'Haïtien pourvu qu'on y mette le prix.
Et encore si peu avec une gourde si totalement dévaluée.
Haïti en Marche, 9 Janvier 2016