MIAMI, 26 Décembre – La presse joue un rôle important dans la conjoncture politique. Mais il ne faut pas non plus qu'elle outrepasse son rôle. Or cela arrive tous les jours, c'est le moins qu'on puisse dire.
Pour la simple raison que la presse est à la fois le moteur et le carburant mais qui se croit aussi le chauffeur. Le spectacle, son organisateur ainsi que le juge. La tribune et le tribunal. Bref, l'alpha et l'omega.
Et trop souvent aussi le mal et son remède, mais qui surtout vu la délicatesse du moment, risque plutôt de le faire empirer.
On ne peut nier que sous la pression de l'analphabétisme (que, hélas, une fois au pouvoir nos hommes et femmes politiques ne font pas assez pour l'enrayer, et pour cause), nous avons glissé pas si lentement mais sûrement de la civilisation de l'écrit à celle de l'oralité ('kreyòl pale, kreyòl konprann', hélas). C'est à qui parlera le plus fort, dans le meilleur des cas qui se montrerait le plus plaisant, ou comme au temps de Molière : celui qui sait habilement mettre les rieurs de son côté. La politique devient une grosse farce, trop souvent grossière. Ce qui nous donne au bout du compte, tenez-vous bien : la civilisation Martelly. Le pouvoir au bout du ... ne soyons pas grossier.
Mieux affiner son approche ...
Cependant aujourd'hui que notre pays se trouve au vu et au su de tout le monde, du savant comme du simple mortel, au bord de l'abîme, sur fond d'une crise électorale aigue, la presse devrait pouvoir mieux affiner son approche car il y va du devenir de toute une nation.
Venons en au fait. Voici différents pièges qui peuvent rendre la communication moins adaptée aux vraies nécessités du moment, moins véritablement utile sinon dangereuse, dans une conjoncture où chaque mot, chaque virgule peut faire la différence.
C'est d'abord un traitement sans discernement des faits d'actualité. Aligner les déclarations des différents acteurs les unes à côté des autres. D'une manière purement mécanique. Sans aucune mise en contexte. Puis tirer immédiatement des conclusions, dans la lutte acharnée pour l'audimat. Ce que d'aucuns qualifient faussement d'indépendance de l'information alors que cette dernière n'est souvent qu'un masque pour cacher des intérêts personnels. En un mot, du mot-à-mot ou plutôt mot-à-maux.
Presse rien-ne-m'attache ...
Or tout cela n'est pas si innocent avec l'entrée en scène des champions en manipulation de l'information, ceux-là qui mentent comme ils respirent, mais tant qu'ils sachent adapter leur souffle à celui des grands titres du matin.
Outre que selon cette presse-là, la critique est interdite, pas de censure même pour supprimer des gros mots parce que tout le monde a le droit de s'exprimer, la liberté d'expression est sacrée, donc on peut dire ce qu'on veut. C'est ce genre de presse rien-ne-m'attache qui a aidé, par exemple aux Etats-Unis, à la montée en flèche d'un Donald Trump. Jusqu'à ce qu'il soit presque trop tard pour essayer de colmater les brèches.
Eh bien, cela se passe quotidiennement chez nous. C'est un détournement de la liberté d'expression. Tout à fait comme cela s'est passé avec les élections.
Le temps de réflexion ...
Mais le contraire est vrai aussi. Nous voulons dire : la presse peut tellement prendre position, en tout et pour tout, avant tout le monde, en passant par-dessus la tête à tous et à toutes, comme si c'était du sport mais où elle est à la fois la vedette du match et l'arbitre, où c'est à la fois elle qui fait les règlements et qui sanctionne leur application, qu'elle peut finir (notre presse) par se prendre la tête et nous conduire, la tête la première, dans un délire verbal sans aucun sens des réalités.
Des émissions à grande écoute dont les participants laissent l'impression de s'écouter parler, y compris certaines 'lignes ouvertes', peuvent facilement glisser dans ce genre de dérives.
Nous avons choisi jusqu'à présent les deux extrêmes : le soi-disant indépendant pur d'un côté, et de l'autre l'engagé qui monopolise tout le débat du haut de son engagement, alors que les deux aujourd'hui mériteraient, oui aussi bien l'un que l'autre, de prendre un petit peu le temps de réflexion vu que nous sommes en train de franchir une passe plus délicate que jamais.
Le masque de l'engagement ...
Mais il y a pire encore : c'est de jouer à la fois sur les deux tableaux précédemment cités.
Comme quand un média gouvernemental (ou un pro-gouvernemental connu et assermenté) se pique en même temps d'indépendance. Ce genre se remarque facilement par son ton prêchi-prêcha. L'appel aux grands principes. Mais creux, parce que totalement dépassés.
On peut se cacher aussi sous le masque de l'engagement, ou tout simplement d'opposition, pour régler ses comptes personnels. Elémentaire !
Surtout avec la mode des caricatures, qui disent mieux qu'un texte, mais qui déforment plus facilement aussi.
O presse, que de crimes l'on commet en ton nom !
Tout ceci pour dire que la presse qui est si indispensable - à plus forte raison dans un pays où c'est l'opinion qui l'emporte et non pas la raison - peut devenir aussi fort dangereuse, et, tenez vous bien, encore plus dangereuse qu'elle est animée de bonnes intentions car les mal intentionnés on ne tarde pas à les découvrir, on les connaît, le public haïtien est expert en la matière. Mais comme disait l'autre : les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature. Encore moins de la bonne politique qui, qu'on le veuille ou non, ne sera jamais un métier de saint. Et le malheur veut que qui veut faire l'ange ne fait pas seulement la bête, mais peut finir par devenir (lui aussi) une vraie bête.
Conclusion : que la presse donne un peu plus de champ, de liberté aux acteurs eux-mêmes et à travers eux au pays réel, pour chercher son destin. Bref évitons toute forme de dictature, y compris une des médias.
Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince