MEYER, 16 Janvier – Envisageons l'éventualité où le second tour de la présidentielle a lieu comme annoncé le dimanche 24 janvier prochain.
Le candidat opposé à celui du pouvoir en place a déclaré publiquement son retrait de la course. Intervenant sur les ondes, Jude Célestin a réaffirmé qu'il ne participe pas au scrutin du 24 janvier et qu'il a écrit au conseil électoral provisoire (CEP) pour lui demander de ne pas publier de bulletins en son nom.
Un membre du CEP, Marie Carmelle Paul Austin, a rétorqué que le candidat Célestin n'a pas adressé sa demande dans les délais fixés par le décret électoral.
A quoi le candidat a répondu que les dispositions citées par la conseillère ne concernent que le premier tour.
On en est là !
Venu augmenter les doutes au sujet du 24 janvier le départ d'un autre membre du conseil électoral. Voici celui-ci réduit désormais à 5 membres actifs au lieu de 9, avec la démission des représentants de l'église catholique (Ricardo Augustin) et de l'église protestante (Vijonet Déméro), la non participation volontaire aux prises de décision du représentant du secteur des droits humains qui conteste la 'non transparence' du processus, Jaccéus Joseph, et la mise en disponibilité de Mme Yolette Mengual pour faire face aux accusations de corruption soulevées contre elle.

Un palais national vide ...
C'est donc un organisme sérieusement bancal qui va gérer dimanche une entreprise déjà décriée pour fraudes et irrégularités multiples lors des deux tours précédents : législatives du 9 août et présidentielles, législatives et municipales du 25 octobre 2015.
Reste à tenir le second tour des présidentielles et les législatives de rattrapage, ainsi que les élections territoriales, ces dernières renvoyées aux calendes grecques.
Mais il y a un hic. Hors le 24 janvier, plus question de nouveau renvoi si l'on veut respecter l'échéance constitutionnelle du 7 février pour la passation de pouvoirs au nouveau président élu.


Si un président n'est pas élu ce dimanche 24 janvier, le 7 février prochain le président Michel Martelly devra laisser un palais national vide, c'est-à-dire avant l'élection d'un successeur.
A ce niveau, même l'international qui en convient. Du moins, jusqu'ici.
Aussi Martelly compte-il bien passer l'écharpe présidentielle à son dauphin, un jeune entrepreneur en agro-industrie, Jovenel Moïse, qui mène campagne sans répit depuis la fin du premier tour, étant certain de la complicité chaque jour plus évidente du conseil électoral, du moins de son président, Mr Pierre-Louis Opont et de ses principaux associés.

Même pas un 'dummy' ...
Mais une chose est désormais certaine : Jovenel Moïse sera le seul candidat en lice effectivement dimanche prochain.
Même pas un 'dummy' (mannequin), un faire-valoir.
Des élections à candidat unique, qui pis est celui du pouvoir.
Donc un plébiscite ou élections pour la forme ou comme le dit l'opposition en Haïti : élections-sélection. D'ailleurs même pas. Finie la comédie. C'est une grande victoire pour l'opposition haïtienne que d'avoir fait front commun pour dénoncer le subterfuge.
A présent les conséquences :
Jusqu'aux diplomates étrangers les plus actifs en faveur du scrutin du 24 janvier qui le reconnaissent dans leurs déclarations aux médias extérieurs (Miami Herald, Associated Press, Agence France Presse).

Un changement sans changement ! ...
Un élu à la présidence sans compétition, voire si c'est le candidat du pouvoir en place, est une promesse que la crise politique ne va point ralentir, bien au contraire.
Mais aussi d'une instabilité qui va empêcher tout effort dans quelque domaine que ce soit : économique, social, institutionnel et autre.
C'est un changement sans changement. Or (tenez-vous bien) n'est-ce pas ce que désirent au fond les tuteurs internationaux du pouvoir sortant.
Protéger l'héritage du président Michel Martelly qui semble leur avoir été si profitable qu'ils ont tout fait pour barrer la route à l'opposition, cela en épousant le calendrier politique du président de la république, le seul depuis l'entrée d'Haïti dans l'ère des 'élections démocratiques' à n'avoir pas tenu un seul scrutin, même pas municipal ni local, pendant tout son quinquennat.

Comme sous l'Occupation américaine ...
Et aujourd'hui encore, alors que le candidat opposé à celui du pouvoir demande une révision d'un processus électoral qui se révèle piégé dans tous ses compartiments – cela en accord avec les recommandations d'une commission qui avait été nommée par le gouvernement en place lui-même, ces pays dits 'amis' demandent de passer outre pour aller au 24 janvier, 'tèt drèt', quoi qu'il advienne !
Mais puisque l'international lui-même reconnaît les graves conséquences que peut avoir un scrutin aussi inégal, qu'a-t-il prévu pour faire face aux conséquences ?
Encore une fois, au lieu de se perdre dans de folles conjectures et des plus hyperboliques, il est meilleur et toujours plus intéressant pour un pays de se replonger dans sa propre Histoire. Aussi vrai qu'on dit que l'Histoire est un perpétuel recommencement.
Or malgré que nous en ayons eu une des plus tumultueuses, la dernière fois qu'une aventure du même genre nous est arrivée c'était sous l'Occupation américaine (1915-1934), au remplacement du président Sudre Dartiguenave par le président Louis Borno (1922-1930).
Mais il n'y avait pas de souci à se faire. Pourquoi ? Parce que chaque ministre, chaque secrétaire d'Etat et directeur général était doublé dès le premier jour ... d'un haut fonctionnaire américain.
Nous rappelons : c'était sous l'Occupation américaine d'Haïti.
Au dehors, continuait à gronder le vent de la contestation nationaliste.
Jusqu'au départ des forces occupantes en 1934.
L'Histoire sera-t-elle un perpétuel recommencement ?

Haïti en Marche, 16 Janvier 2016