PORT-AU-PRINCE, 19 Février – Jude et Jovnel, Jovnel et Jude, cela commence à la limite à devenir du pareil au même.
L'un, Jovnel Moïse, est le candidat que l'ex-président Michel Martelly a tout essayé pour installer comme son successeur afin d'assurer sa permanence au pouvoir et si possible son retour à la tête du pays au bout des 5 prochaines années.
L'autre, Jude Célestin, est celui qui devait, selon les résultats proclamés par le conseil électoral provisoire, présidé par Pierre-Louis Opont, affronter en seconde place le candidat de Martelly.
Cependant devant la condamnation presque unanime de ces résultats comme entachés de fraudes et d'irrégularités, et surtout les manifestations de protestations quotidiennes auxquelles cela a donné lieu, et plus encore la menace d'une possible guerre civile à l'horizon, le second tour a finalement été renvoyé sine die.
Entre-temps un Président provisoire de la république a été 'élu' par l'Assemblée nationale (Parlement) en la personne du sénateur Jocelerme Privert (département des Nippes, Sud-ouest) et installé.
Actuellement ce dernier s'active à la nomination d'un Premier ministre de consensus, issu de la classe politique, ainsi qu'à la formation d'un nouveau conseil électoral provisoire (CEP) pour reprendre le processus électoral.
Tout ceci dans le cadre d'un accord paraphé par le président Martelly avant son départ du pouvoir (7 Février 2016) et les deux présidents du Parlement (Sénat et chambre des Députés).
Le même accord (dit du 5 Février) mentionne la reprise du second tour des présidentielles, éventuellement avec les mêmes candidats : Jovnel Moïse et Jude Célestin.
Or cela, disons-le tout de suite, ne répond à aucune logique.

Retourner à la case départ ...
C'est la contestation des résultats du premier tour de la présidentielle qui a été à l'origine de la crise. Et maintenant on aurait été aussi loin dans les efforts pour résorber cette dernière, mais uniquement pour retourner à la case départ : Jovnel Moïse versus Jude Célestin. Et dans le même ordre qu'avant.


Stupido !
Maintenant aux protagonistes du 5 Février (y compris la communauté internationale représentée par une mission de médiation de l'Organisation des Etats américains/OEA) de faire 'comme Maître Jean Jacques' pour démêler cet écheveau, résoudre l'énigme. Mais aux yeux de l'opinion même la plus élémentaire, cela n'a aucun sens.
On aurait frôlé la guerre civile pour 4 mois plus tard, courir le même danger.
Les protagonistes du 5 Février ont pu avoir considéré cette porte de sortie comme le plus court chemin pour éviter que le pays ne sombre dans le vide total de gouvernance, alors que l'autorité de l'Etat est déjà réduite à zéro (outre les civils, ce sont deux agents de police qui ont été tués cette semaine en plein jour), mais ce serait nous ridiculiser que de retourner aux élections comme si de rien n'était avec les mêmes têtes d'affiche, comme s'il ne s'était rien passé. Comme si on n'avait pas entre-temps réalisé que le pouvoir Martelly a mis le pays sur le grabat (pour répéter le Président provisoire lors de sa première conférence de presse le vendredi écoulé pour décrire l'état des finances publiques).
Cependant comment faire face à ce casse-tête s'il en est ?

Pouvoirs sans pouvoir ? ...
La Constitution en vigueur impose tous les 5 ans l'élection d'un président de la République, comme le répètent à l'envi communiqués et notes de presse des acteurs internationaux (USA, Union européenne, Canada, ONU, OEA) et le Président est le chef du pouvoir exécutif. Non une simple fonction honorifique,
C'eut été si facile si Messieurs Jovenel et Jude avaient le même statut que les derniers princes régnants en Europe, c'est-à-dire des pouvoirs sans pouvoir.
Car leur situation actuelle sur l'échiquier ne ressemble pas à autre chose.
Malgré la seconde Guerre mondiale, l'empereur japonais Hirohito a été gardé à la tête du pays.
Malgré que nous ayons frôlé la guerre civile, que le prochain président soit Jude ou Jovnel, Jovnel ou Jude qu'importe tant qu'il n'exercerait aucun pouvoir.
Une potiche. Une photocopie.

Le bourreau et la victime ...
Oui, voilà ce qu'il nous faudrait.
Et tout le monde (surtout l'international) serait satisfait.
Bien entendu, loin de nous l'idée de mettre dans le même panier le bourreau et la victime.
Le candidat du pouvoir qui a bénéficié sans la moindre pudeur des tricheries exécutées par des conseillers électoraux servilement aux ordre du palais national.
Et le candidat de l'opposition qui a su relever la tête et refuser de jouer cette comédie. Surtout forçant la plus grande puissance du monde, Washington, qui avait jusqu'ici prêté son concours à ce jeu funeste, à faire marche arrière.
Oui, Jude Célestin a bien mérité de la patrie.
Mais le 27 décembre est déjà loin, et même très loin, en termes électoraux où les choses avancent en progression géométrique.
Peut-il se représenter aux urnes le 24 Avril prochain (date fixée dans le fameux Accord) comme si de rien n'était. Sans avoir mené campagne. Sans s'être mesuré aux autres forces en présence qui ont pu depuis avoir gagné davantage en importance et popularité.
Ne parlons pas de l'ex-candidat de l'ex-pouvoir qui ne bénéficie plus de la machine gouvernementale ...
Ce n'est pas seulement ridicule comme situation, c'est rigolo !
Bien entendu, les principales forces d'opposition comptent sur un facteur : ils exigent une réévaluation totale et en profondeur des résultats proclamés jusqu'ici.
Le pouvoir de transition sera probablement forcé d'y arriver.

Négocier un nouveau consensus ...
Oui mais est-ce que cela fait réellement une différence après tant de mois ? Alors que tant d'eau aura coulé sous les ponts.
En démocratie véritable, c'est chaque jour que l'arithmétique électorale change. Regardez comment cela se passe en ce moment dans les primaires américaines.
Non, le mieux aurait été de négocier un nouveau consensus entre tous les secteurs politiques pour mettre en place un pouvoir intérimaire d'une durée raisonnable jusqu'à une reprise totale des présidentielles.
Un peu comme on l'a vu en République dominicaine lors de la fameuse crise issue des présidentielles entre Joaquin Balaguer et Francisco Peña Gomez (1994) et où l'OEA finira par convaincre Balaguer de rester seulement 2 années et non 4 au pouvoir avant la convocation de nouvelles présidentielles.
On peut tout négocier, si c'est pour le bien de son pays.
Les étrangers ne peuvent s'y opposer. Ils n'y ont aucun droit.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince