PORT-AU-PRINCE, 14 Février – C'est le sénateur Jocelerme Privert qui est élu Président provisoire. D'après l'Accord du 6 Février 2016, son mandat est officiellement de 120 jours ou 4 mois.
Il doit immédiatement procéder au choix d'un Premier ministre sur recommandations aussi bien de partis et groupements politiques représentés au Parlement que non représentés, ainsi que d'entités du secteur dit populaire.
L'élu du département des Nippes est plus connu comme un technicien des finances publiques que comme un politicien de carrière. Aujourd'hui on peut dire qu'il combine les deux.
Pendant les 5 années écoulées de mandat du Président Michel Martelly, le sénateur Privert n'a pas figuré parmi les adversaires les plus résolus du pouvoir. Vocalement. Par contre ses analyses des projets de budget ont bloqué le vote de ce dernier pour cause de gonflement inconsidéré des ministères 'politiques' au détriment de ceux destinés à la production nationale (agriculture) et au développement humain (santé, éducation), essayant de limiter autant que faire se peut les extravagances du Palais national.

Donner une chance à la compétence ...
Le fiscaliste Jocelerme Privert connaît donc mieux que quiconque les causes de la débâcle économique dans laquelle nous laisse le pouvoir 'Tèt Kale', nom du parti Martellyste : fermeture des petites et moyennes entreprises produisant pour le marché local et autres entités commerciales (restaurants, artisans, salons de coiffure, y compris les médias etc) à cause de la chute du pouvoir d'achat et de l'impossibilité de commander les matières premières due à la décote sans précédent de la monnaie nationale qui est passée sous le pouvoir sortant de 40 gourdes à plus de 60 gourdes pour 1 dollar américain.


Il n'est peut-être pas mauvais de donner une chance à la compétence face au bourbier dans lequel on patauge jusqu'au cou.
Bourbier politique, soit.
Bourbier économique aussi, et celui-ci faisant empirer le premier bien entendu chaque jour un peu plus. C'est l'une des faiblesses de notre formation politique que nous ne faisons pas assez le rapprochement entre le politique et l'économique, et que nous tardons à comprendre que le second conditionne encore plus le premier. Plus l'économie va mal, plus la politique n'a presque plus de sens. Comme aujourd'hui.

1,5 million d'Haïtiens livrés à la famine ...
Bourbier on ne peut plus menaçant surtout avec l'avertissement lancé par le Programme alimentaire mondial d'un nombre de 1,5 million d'Haïtiens livrés à la famine à cause (entre autres) de trois années de sécheresse qui ont bousillé les récoltes quand 50% de la main d'œuvre haïtienne est censée vivre de l'agriculture. Et que 75% de la population (oui, 75%) survit avec moins de 2 dollars américains, soit donc 120 gourdes par jour.
Le Président provisoire et sénateur Jocelerme Privert, espérons-nous, même si quatre mois c'est plutôt court, pourrait jeter un coup d'œil aussi sur les multiples contrats de concession accordés par le Président Martelly et Co., sur le territoire national, profitant de l'absence de Parlement - à cause des retards mis par le régime lui-même pour organiser les élections - afin de pouvoir régner à coups de décret et accorder des portions du territoire national à ses supporters locaux et internationaux (Côte des Arcadins, Ile à vaches, La Tortue, La Gonave etc).

Dresser un état des lieux économique ...
Oui, avant toute chose, on a besoin de dresser un état des lieux économique de l'héritage du régime Martelly. Cela au moins peut se faire en 4 mois, et on espère pouvoir compter sur le technicien en finances publiques qu'est Jocelerme Privert.
Bien entendu, bien que élu avec un vote confortable devant l'Assemblée nationale (77 voix contre 33 pour Edgar Leblanc et 3 pour Déjean Bélizaire – les 2 autres finalistes), dans la nuit de samedi au dimanche 14 février, le Président Provisoire doit diriger avec un Premier ministre qui sera choisi instamment sur des recommandations provenant de toute la classe politique (selon l'Accord du 6 février).
On veut espérer que nos leaders de tous les secteurs ont saisi le véritable enjeu du moment et que, à côté du bourbier politico-électoral, dont il faut sortir sans tarder par la reprise du processus électoral mais pas sans avoir procédé auparavant à une évaluation approfondie de ce qui a déjà été fait, face aux soupçons de graves irrégularités et de fraudes pratiquement caractérisées et massives, eh bien comme autre urgence : on veut croire que nos responsables et leaders n'ignorent pas non plus le bourbier économique, ce pour permettre à la population (et nous insistons, toutes catégories sociales confondues) de reprendre un peu son souffle car on n'en peut plus !
Espérons que le choix du Premier ministre viendra en complément de celui du Président provisoire, et non le contraire. Donnons une chance à la politique positive – différente de celle que nous avons connue ces 5 dernières années.
Dont le principal résultat est sous nos yeux : un peuple encore plus pauvre que 5 ans auparavant. Qui peut nous prouver le contraire ?

Haïti en Marche, 14 Février 2016