La campagne massacrée ...
CAYES-JACMEL, 15 Juillet – C'est la Mont-Carmelle, fête patronale de la ville de Cayes-Jacmel, moins d'une heure en voiture de Jacmel, chef-lieu du département du Sud-est.
Beau parcours entre la montagne d'un côté, étonnamment verte au pays du déboisement intensif, et de l'autre la mer aux tons multiples chatoyants.
Mais ce n'est qu'une apparence parce que c'est dans tout le pays qu'est en train de s'opérer une mise en coupe réglée et à marches forcées des terres agricoles, pour les transformer en complexe-appartements, chassant agriculteurs et éleveurs, dans le cri désespéré des jeunes veaux ne retrouvant plus leur mère dans ce désordre, les animaux d'élevage attachés pêle-mêle sur les bords de la route tandis que leurs maitres sont partis on ne sait où.
Alors même qu'une nouvelle administration haïtienne se donne pour objectif principal refaire la production agricole nationale, mais sur quelles terres ?
En effet, celles-ci sont en train de disparaître rapidement.
De Marigot à Cavaillon, de Camp Perrin à la Vallée de Jacmel, et partout ailleurs c'est un rush vers l'intérieur du pays où l'on peut se procurer des propriétés beaucoup plus vastes qu'en ville, et probablement aussi à meilleur prix, voire à Port-au-Prince la capitale qui a non seulement été détruite par le séisme de janvier 2010 mais qui n'offre aucune garantie non plus quant à l'authenticité des titres de propriété.
Alors qu'il y a quelques décennies c'est la campagne qui dégringolait vers la ville, pour créer les immenses bidonvilles que nous connaissons aujourd'hui, que ce soit à la capitale que dans les grandes villes de l'intérieur (Gonaïves, Cayes, Cap-Haïtien), occupant tout ce qui existait d'espaces vides, aussi bien le bord de mer (adieu la plage individuelle) que la montagne qui abritait l'alimentation naturelle en eau de la ville en contrebas ...
Même cauchemar ...
Eh bien, voici que nous assistons au même phénomène mais en sens contraire, c'est la ville qui déboule aujourd'hui sur la campagne mais dans une promesse aussi cauchemardesque que ce que nous venons de voir.
C'est un massacre de tout ce qui peut exister comme espace vide, mais particulièrement les terres agricoles. Pourquoi ? Parce que le même phénomène s'accompagne d'un ras le bol chez le paysan qui ne tire plus rien d'une agriculture chiche (oui, quelques pois chiches et quelques tomates minuscules) et ne pense qu'à tout liquider pour payer éventuellement le billet d'avion pour un fils attiré par le grand mouvement d'émigration ... actuellement 'Al Chili'.
Cimetières de murailles ...
Tout cela ne serait pas si grave, s'il existait une administration publique, départementale ou centrale ; mais l'Etat en Haïti il n'en est plus question, dans aucun domaine.
Aussi une promenade à travers le pays, pour peu qu'on y prête un peu attention, vous fait découvrir, oui en plein champ, ce qui semble être de véritables cimetières de murailles, fondations et piles de matériaux de construction, mais plus de 80 pour cent de ces constructions restent inachevées.
A quel niveau intervient l'administration communale dans ce massacre ? Apparemment nulle part, sinon pour percevoir quelques taxes sur la vente des terres et pour l'identification des titres de propriété.
Mais le reste est laissé à l'anarchie qui semble le trait principal chez l'Haïtien aujourd'hui plus que jamais.
Les propriétés ne laissent aucune place entre elles pour l'aménagement de la route. Ou quand elle existe, celle-ci va dans tous les sens sans que personne ne semble penser qu'il faudra bien laisser passer les moyens d'alimentation en électricité, eau, téléphone, assainissement etc.
Mais le plus dur c'est le sacrifice des terres agricoles qui sont dépecées au beau milieu, parce que ce n'est pas, comme cela se passe dans tout autre pays, une décision municipale de créer un centre d'habitation à un endroit bien déterminé. Non c'est une décision totalement individuelle. Donc la propriété vendue se trouve en plein champ. Dès lors jetant dans la panique les autres petits agriculteurs, étant donné que le canal qui achemine l'eau d'arrosage se trouve bloqué, détourné ou simplement détruit.
Quant aux animaux d'élevage (bœufs, chèvres, porcs), les voici attachés pêle-mêle le long du chemin (nous avons dit chemin et non pas route), les petits veaux bêlant désespérément pour avoir perdu leur maman. Etc.
Panoramas des plus extraordinaires, oui mais ...
Pareil le littoral lui aussi envahi jusqu'à ras bord. Il ne faut laisser le moindre pouce inoccupé. Jamais entendu parler du couloir public, même large de trois pas, imposé par la Constitution le long du rivage. De fait non, puisque l'Etat n'existe sous aucune forme. Du moins dans son rôle de force contraignante positive.
D'autres se croyant plus malins viennent installer leur baraquement au pied d'une entreprise touristique déjà existante, lui bouchant le regard. Ce serait bête de ne pas profiter du désordre général. Mais le pouvoir continue, comme si de rien n'était, à faire appel aux investissements extérieurs et à leur promettre toute la protection nécssaire.
C'est ainsi que disparaissent des départements entiers du pays, les uns après les autres. Notons-le, au fur et à mesure que sont construites les routes nationales qui permettent au citadin (bon nombre vivant en terre étrangère ou diaspora) de prendre contact avec le pays profond. Pays neuf.
Rien que de plus normal. Le citoyen est libre de choisir le meilleur endroit où s'établir. Mais c'est l'Etat qui a la responsabilité de désigner là où cela convient le mieux. Aussi bien pour l'intérêt individuel que collectif.
On n'a pas fini, par exemple, alors que de nouveaux départements sont désenclavés (les Nippes, la Grande Anse etc), ouvrant des panoramas des plus extraordinaires, de recommander que l'Etat crée de grands parcs nationaux qui seraient une richesse à tous les points de vue (environnemental, touristique, éducationnel etc). Mais rien. C'est le cadet des soucis de nos dirigeants.
Bien faire mais rien faire ...
Mais le plus étonnant est que tout cela continue de se passer sous une nouvelle administration qui ne jure que par la production agricole, comme disait l'autre : 'la seule, la vraie.'
Mais sur quelles terres ?
Faut-il rappeler à nos dirigeants ces fondamentaux élémentaires que sont (1) la protection des terres cultivables, d'abord sur le plan légal ...
Mais 2) protection aussi de cette production nationale, éventuellement, si elle doit survivre. Alors que nous pratiquons la taxation zéro tandis que nos voisins, profitant de nos faiblesses et surtout de nos négligences, ont érigé le maximum pour nous barrer la route.
Et quand on annonce un futur budget de la république (2017-2018) reposant essentiellement sur les taxes. Oui, sur le dos du pauvre entrepreneur local, parce que c'est entrée libre pour, disons, le riz de Miami !
Gouverner donc aujourd'hui c'est ne pas toucher aux choses essentielles mais tout en faisant semblant de bien faire. Bien faire mais rien faire ! Tout le secret est là.
Comme les temps ont changé. Autrefois aussi, on donnait 'barrière libre' au stade de football Sylvio Cator mais c'était quand on avait vendu tous les tickets d'admission !
Haïti en Marche, 15 Juillet 2017