Mais où vont tous ces fous ?

JACMEL, 30 Juillet – La misère peut aussi se mesurer à la quantité de fous qu'on voit dans les rues.
Bizarrement aujourd'hui de loin plus d'hommes que de femmes. Et partout dans le pays.
Il est vrai qu'il y a cette jeune dame émigrée renvoyée par ses parents en Haïti parce que ayant perdu la tête, circulant presque nue et qui a été engrossée par un inconnu.
Récemment un Haïtien a été appréhendé à l'aéroport de Miami au moment où il allait prendre l'avion pour Haïti.
Il y a deux ans, il avait rendu enceinte une jeune fille plus ou moins handicapée mentale. Celle-ci a perdu l'enfant mais on a procédé à une analyse ADN sur le fœtus et il s'est révélé que notre homme actuellement sous les verrous, a été le concepteur.
Par contre il n'y aura rien de semblable concernant l'individu qui a commis le même crime sur cette pauvre émigrée rapatriée à Port-au-Prince.
Nous disions que la folie est actuellement le signe le plus évident, la mesure la plus fiable de l'ampleur de la pauvreté.
Demander la charité dans les rues c'est le dernier degré de déchéance. Voire quand c'est un homme. Est-ce pourquoi ces derniers semblent le vivre avec plus de difficulté que les femmes.
Inimaginable est le nombre de fous que l'on croise dans les rues.
Et ils sont de plus en plus d'une grande violence.
Soit contre eux-mêmes, en déambulant nus comme un ver.
Exhibitionniste malgré soi.
Soit en s'attaquant à leur prochain. On se fait casser facilement ses essuie glace avant de pouvoir se tirer de là.
Entre les taxi motos et les fous, il y a de quoi vous rendre fou !


Pourquoi les hommes sont-ils aujourd'hui plus remarqués que les femmes sous cet aspect, sans être forcément plus nombreux ?
Elémentaire. Dans un pays à tradition machiste, la pauvreté masculine se double d'une honte contre soi-même.
Mais dans le même ordre d'idées, la femme peut trouver plus facilement occasion à masquer son problème.
Il y a plus de petits emplois de misère pour elle : bonne à tout faire, petite marchande allez savoir de quoi ...
Et bien entendu, la prostitution.
Jacques Stephen Alexis dans son roman best seller Compère Général Soleil, dépeignant la misère atroce sous le gouvernement de Sténio Vincent, juste au lendemain de la fin de l'occupation américaine (1915-1934), raconte que des jeunes filles du peuple couchaient au Champ de Mars, principale place publique de la capitale, pour une moitié de biscuit (pain minuscule de fabrication locale).
Comme quoi aussi on semble pouvoir garder une image inoubliable de chacune de ces époques de grande désespérance économique.
Lors de la grande sécheresse dans le Nord-Ouest du pays, Anse Rouge, surnommé depuis le Far-west d'Haïti, dans les années 1970 sous la dictature de Baby Doc, on retient que des mères venaient vendre leur bébé pour une bouchée de pain au Boulevard Jean-Jacques Dessalines, principale artère commerciale du pays.
Avant la chute de la même dictature, en février 1986, la presse rapportait que le peuple se nourrissait de bonbons en terre cuite.
Aujourd'hui, alors même qu'on vit sous le régime de respect des libertés, les hommes réagissent à leur misère noire non en criant leur désespoir à la face du monde, mais en perdant la tête.
C'est donc que au-delà de notre blabla démocratique, le contact n'est pas passé.
Heureux le pouvoir en Haïti : au lieu de prendre la Bastille, les victimes du système se prennent on ne sait pour qui ? Robespierre, Toussaint, Dessalines ...
Comme ce jeune homme bien habillé dans un hôtel-restaurant à Jacmel qui parle à tout vent et à tout-va, et tout seul, mélangeant Trump, Poutine, Papa Doc, et empêchant les clients de communiquer entre eux.
Renseignement pris, encore un timbré, mais d'un autre genre.
Lui aussi vivait aux Etats-Unis avec ses parents mais ça va pas la tête et ceux-ci ont dû le rapatrier.
Il vit dans cet hôtel comme un client non ordinaire.
Impossible l'Haïtien. Vous le sortez de la misère, il trouve le moyen d'y revenir, mais fou.
Quelle plus grande preuve d'amour ? Aimer jusqu'à la folie. Serait-ce son pays.
A moins que les pouvoirs aient trouvé ce nouveau système : pour prévenir le soulèvement général, rien de tel comme la folie !

Haïti en Marche, 30 Juillet 2017