JACMEL, 25 Août – Il y a un demi-siècle (25 juin 1960), le futur dictateur François Duvalier lançait dans cette même ville de Jacmel, où nous nous trouvons, une phrase qui a marqué l'histoire des relations d'Haïti avec notre grand voisin les Etats-Unis, laissant comprendre que 'aujourd'hui dans le monde, il n'y a pas qu'un seul pôle et que si la situation l'exigeait, nous n'hésiterions pas à changer de camp.'
Prononcée quelques mois après la victoire de la Révolution cubaine, cette déclaration a fait son effet à Washington.
Qu'elle ait été interprétée comme du chantage de la part (lors) de l'apprenti dictateur de Port-au-Prince, l'administration américaine comprit que c'était une demande formelle d'aide économique, et que ne pas y répondre pouvait créer des emmerdements évitables.
Et l'on ouvrit les vannes au futur Papa Doc. A charge par lui de faire barrage à toutes velléités d'implantation du communisme en Haïti.
Aujourd'hui on est un peu dans une situation similaire.
Haïti recevait récemment une mission commerciale chinoise (Pékin).


En partant celle-ci a fait miroiter des perspectives intéressantes (plusieurs milliards dans la reconstruction du centre ville de la capitale, Port-au-Prince, détruite par le séisme du 12 janvier 2010, électrification de tout le pays au solaire, 20.000 emplois au départ ...).
Notre pays traverse actuellement l'une des pires crises économiques de son Histoire récente.
La Guerre froide est terminée (1947-1991). Mais les milliards d'aide consentis aux Duvalier (Papa et Baby Doc), ainsi qu'à leurs successeurs, n'ont apporté aucune solution. Haïti reste le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental.


Et Pékin ne pouvait frapper à un meilleur moment.
Mais les rapports de force sont-ils toujours les mêmes qu'au temps du Cri de Jacmel par un certain nouveau président nommé François Duvalier ?
Ou plus précisément : Washington accorde-t-il la même importance aux initiatives diplomatiques, ou même velléités d'indépendance de la part d'une mini-république comme Haïti alors que le communisme est devenu une relique du passé non seulement avec la fin de la Guerre froide mais aussi et surtout le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba par l'ex-président Barak Obama.
Mais ce n'est pas tout. Le président Donald Trump a montré les couleurs. Sa devise America First veut dire aussi, du moins en principe : si vous ne nous créez pas de problème, nous ne vous voyons même pas !
C'est bien l'impression qu'on a aujourd'hui. Le gouvernement haïtien est à sec mais cela ne semble faire ni chaud ni froid, contrairement à autrefois, aux grandes institutions internationales de crédit.
C'est le réalisme à la Trump. Chacun pour soi !
Notre actuel président de la République, Jovenel Moïse, lancerait-il des centaines de 'cri' si ce n'est de Jacmel, de sa ville natale, Trou du Nord (Nord-Est), que Washington continuerait à faire la sourde oreille.
Comme, par exemple, ces milliers de compatriotes haïtiens, réfugiés aux Etats-Unis après le séisme de 2010, et qui fuient aujourd'hui les Etats-Unis pour le Canada parce qu'ils craignent que l'administration Trump ne renouvelle pas leur statut de résidence temporaire (TPS).
Malgré les grands titres que cela crée, Washington n'a pas un regard.
Démerdez-vous !
C'est comme nous disons en créole francisé : 'moins de chiens, moins de puces.'
Cependant il y a le poids de l'Histoire.
Haïti est-elle capable de s'affranchir de sa dépendance légendaire ?
Ou pour employer un autre dicton créole : 'se ak blan an mwen vini.'
Toute la république est donc suspendue à cette nouvelle actualité.
Est-ce que l'indifférence de l'administration Trump à nos problèmes n'est pas une invitation à nous démener nous-mêmes pour les résoudre ? A faire, nous dit encore le créole : 'comme Maitre Jean-Jacques.'
Ou est-on éternellement condamné au chantage à la Papa Doc ? Même sans le prétexte de la menace communiste.
Honte à toute la nation !
Haïti est par ailleurs classée comme l'un des pays les plus 'safe' au monde. Dieu merci, le terrorisme n'est pas dans nos pratiques.
Mais voilà, n'est-ce pas aussi trop demandé à un gouvernement haïtien, quel qu'il soit, qui n'a pas été élu sur de pareils objectifs ?
En un mot, nous nous trouvons totalement devant ce qu'on appelle aujourd'hui un changement de paradigme, c'est-à-dire une perspective totalement nouvelle ...
Et qui exige une autre approche. Une autre légitimité.
Plus large.
Comme la Constitution en vigueur n'a pas prévu de referendum dans un cas pareil, c'est donc par une autre voie qu'il faut y parvenir.
La société civile ? Nous entendons par là toutes les catégories de la population. Qui n'est pas intéressé en effet par (enfin) un démarrage économique en Haïti ?
Y compris les peuples étrangers, aux crochets desquels nous vivons bon an mal an depuis si longtemps.
Mais le temps presse. Et la décision ne peut venir que des Haïtiens.
Trump, comme dit le créole, a déjà montré que nous ne sommes pas parmi ses priorités.
'Msye Trump pa sou bò nou.'

Haïti en Marche, 25 Août 2017