Et qui évacue les vraies forces politiques du pays
PORT-AU-PRINCE, 15 Juillet – Aujourd'hui nous voici à un stade que l'on pourrait appeler l'auto-déstabilisation.
En 1987, pour faire échouer les premières élections démocratiques, il y avait l'armée encore d'essence duvaliériste. Ce fut facile. On massacre en plein jour, le matin même du 29 novembre 1987, et le tour est joué.
En 1991, pour abattre le premier gouvernement démocratiquement élu, après seulement six mois en fonction, il a fallu engager des mercenaires. Ce fut le major Michel François et ses commandos de trafiquants de drogue.
En 2004, l'opposition locale fut mise plus directement à profit. Le régime Aristide fit face à une levée de boucliers comprenant l'élite économique et une frange des classes moyennes, mais exceptionnellement aussi les étudiants de plusieurs facultés publiques (Sciences humaines, Droit etc).
Ces derniers ne tardèrent cependant point à réaliser qu'ils n'avaient servi eux aussi que comme hommes de main.
Tout comme il n'a pas été permis aux généraux et colonels de 1991 de garder le pouvoir (les Marines débarquèrent 3 années plus tard, en septembre 1994, pour chasser la junte militaire et réinstaller Aristide mais pour pas plus d'une année d'exercice du pouvoir), en 2004 telle ne fut pas la surprise des secteurs insurrectionnels de voir parachuter depuis la Floride un premier ministre intérimaire Gérard Latortue n'ayant de comptes à rendre qu'à ses patrons du Département d'Etat américain.
Déstabilisation sui generis ...
Aujourd'hui encore le pays se trouve dans une autre situation critique et ouverte à toutes les aventures, et avec encore une fois une nouvelle particularité.
Cette fois la déstabilisation est issue des forces en présence elles-mêmes. Déstabilisation sui generis. Il n'est pas besoin d'intervenir dans le bourbier haïtien pour que celui-ci se désintègre de lui-même. C'est une nouvelle étape dans le même processus d'occupation sans occupation !
Plus besoin de commandos pseudo militaires, ni de mobilisation des élites économiques et sociales pensant conserver ainsi leurs privilèges, mais la bataille aujourd'hui se circonscrit au seul niveau des élus politiques (spécifiquement parlement et palais national), oui après les élites, c'est le temps des élus, ceux-ci encore moins représentatifs du pays réel et de ses intérêts, les divisions et luttes claniques maintenant le blocage suffisamment longtemps pour qu'il ne soit plus possible pour le pays de tenir et quand enfin l'abcès crève, alors la seule solution doive forcément venir de l'extérieur. Et le tour est joué. L'occupation sans occupation gagne un tour de vis supplémentaire.
Débats sans débats ...
Cette formule a beaucoup d'avantages. Ce huis-clos entre les murs du parlement (où blocs minoritaires et majoritaires jouent à 'je te tiens tu me tiens par la barbichette') permet d'éviter les grands débordements dans les rues, qui non seulement peuvent provoquer des accidents ou imprévus mais aussi attirent trop l'attention de la grande presse extérieure et ses éditoriaux inquisiteurs, aussi bien qu'il permet un contrôle plus strict des acteurs, ceux-ci réduits à quelques dizaines dont les ténors se comptent sur les doigts d'une seule main qui gardent le monopole de la communication dans les médias, ces derniers jouant comme le chœur antique un rôle de simple relais des débats sans débats qui conduisent lentement le processus au bout de sa trajectoire.
Avec l'avantage encore plus extraordinaire que la démocratie est sauve ! En effet, tout au long de ces mois de crise (alimentée de main de maître), les débats parlementaires se suivent et se ressemblent pour ne jamais aboutir à aucun résultat sinon continuer, stratégiquement, à faire du surplace.
Une poignée d'acteurs actionnés par remote control ...
Qui a tort ? Qui a raison ? Le président provisoire Jocelerme Privert a signé un pacte avec le diable en promettant de remettre le pouvoir à un président légitimement élu dans 120 jours.
Ses adversaires du parlement n'ont pas besoin d'un autre argument.
Et si des secteurs de la population tentent de s'interposer, l'international (Core Group) crie à la violation des règles du jeu.
Nous voici donc prisonniers d'un système sur lequel on a encore moins de prise qu'avant, que lors de toutes les crises précédentes. Puisque aujourd'hui ... non élus s'abstenir.
Or il suffit de maintenir sous contrôle ces derniers. A peine une poignée d'acteurs. Actionnés par remote-control ou télécommande. Par des avantages ou des désavantages.
Il n'est plus besoin d'engager des déstabilisateurs locaux ou internationaux, comme lors de la crise de 2003 (les Guy Philippe et consorts), voire d'intervention directe de la CIA (comme en 1991), ni de séminaires en république voisine pour consolider soi-disant les forces d'opposition (celles-ci ne jouant finalement aucun rôle dans la nouvelle formule), la crise haïtienne fonctionne désormais d'elle-même. Tourne sur elle-même. En vase clos. C'est le degré de déchéance absolue sur le plan politique (nationale). Et le degré de participation zéro des vraies forces politiques en jeu.
La crise est prisonnière d'elle-même.
Et ce n'est pas nous en Haïti qui en avons la clé !
Donc impossible pour nous d'en prévoir la fin puisque c'est calculé justement pour que les moyens finissent par nous échapper totalement. Avant la fin.
Haïti en Marche, 15 Juillet 2016