Lutte contre le blanchiment et un ultimatum pour Haïti

PORT-AU-PRINCE, 31 Août – Toute la presse en parle. Des titres de plus en plus alarmants. 'Haïti, une fois de plus, sur le point d'être victime de nouvelles mesures prises par l'administration américaine ...' ; 'Haïti a pratiquement 10 semaines pour éviter la catastrophe économique' ; 'Le secteur privé attend des actions concrètes (... 'face au spectre du « de-risking »') etc. C'est le nom anglais de ce phénomène si redoutable.
Le gouvernement haïtien a adopté mardi (30 août) en conseil des ministres deux projets de loi pour renforcer la législation déjà existante en matière de lutte contre le blanchiment des avoirs et le financement du terrorisme.
Le parlement s'est engagé à les ratifier toutes affaires cessantes.
Il y a comme on dit, péril en la demeure.
Pourquoi ? Selon le gouverneur de la banque centrale (Banque de la république d'Haïti/BRH), Jean Baden Dubois, dont l'installation officielle à la tête du nouveau conseil d'administration de la banque a eu lieu ce mercredi, les nouvelles mesures affecteraient considérablement 93% de nos exportations, 75% des transferts reçus et 72% des transferts vers l'étranger (AHP).
De plus, a dit Mr Dubois, cela menace aussi les plus de 2 milliards de dollars américains en transferts l'an de notre diaspora, soit 21% du produit intérieur brut, qui alimentent les revenus des couches les plus défavorisées.
Haïti n'est pas seule en cause. Les nouvelles dispositions de Washington concernent tous les pays qui ont des relations bancaires avec les Etats-Unis. Certains sont déjà touchés sévèrement. Comme Bélize, dont aucune banque commerciale ne commerce désormais avec le grand voisin du nord.

'Nou an danje' ...
Cela fonctionne ainsi. Les banques américaines sont elles-mêmes sous pression de la part de l'administration fédérale américaine pour purger les fonds qui transitent par leurs coffres de toute trace d'argent sale ou de fonds pouvant être utilisés pour financer des activités douteuses, entre autres le terrorisme.
Les banques américaines sont menacées de sanctions très lourdes, pouvant aller jusqu'à la suppression de leur licence de fonctionnement.


Automatiquement les banques américaines se retournent vers leurs correspondants dans les autres pays. Elles veulent êtres sûres que les fonds reçus de ces pays, soient 'clean.'
Car les banques américaines ne veulent pas courir de risques pour vous. Surtout quand le volume d'affaires entretenu avec vous, reste plutôt faible.
C'est particulièrement le cas avec Haïti. Aussi nos nationalistes n'ont point besoin de se préparer à sortir leur drapeau rouge. Comme disait l'autre, 'it's the economy, stupid.'
Nous sommes l'économie la plus faible du continent, c'est connu.
Donc, 'nou an danje'.

Comment éviter la catastrophe annoncée ...
Le gouvernement n'a donc pas perdu de temps pour faire les premiers pas. Renforcer la législation contre le blanchiment et tout ce qui peut faciliter dans notre pays le financement d'activités liées au terrorisme international.
Le parlement se mobilise également pour que ces nouvelles dispositions soient immédiatement ratifiées.
En même temps qu'un grand mouvement de sensibilisation a lieu auprès des principaux acteurs concernés : banques commerciales, entreprises de transfert de capitaux etc.
Vendredi dernier se tenait au sein de la banque centrale (BRH), sous l'égide de celle-ci et du Ministère de la justice et de la sécurité publique, une rencontre-débat sous le titre : 'Enjeux économiques et financiers liés à la lutte contre le blanchiment des avoirs et le financement du terrorisme.'
On souhaite que tous les secteurs du pays se mobilisent également autour de la question parce qu'elle nous concerne tous et met de toute évidence en question notre survie économique. Ou en tout cas ce qu'il en reste.
Un des nouveaux projets de loi vient renforcer aussi les marges de manœuvre de l'institution désignée pour l'investigation, la poursuite et la répression des activités susmentionnées. C'est l'UCREF (Unité centrale de renseignements financiers) qui est chargée de conduire les recherches afin de traduire les suspects devant les juridictions pénales appropriées, cela pour garantir la conformité des opérations financières dans notre pays avec les normes internationales et les conventions ratifiées par Haïti.
Et, en dernier lieu, nous éviter la catastrophe annoncée.

Que signifie 'argent sale' en Haïti ? ...
Evidemment personne n'est dupe. Est-ce que cela suffit ?
Nous présentons, qu'on le veuille ou non, un cas spécial.
Par exemple, que signifie pour nous 'argent sale.'
Pour le commun des mortels, il s'agit de l'argent de la drogue. Ou du kidnapping. Et rien d'autre.
Or c'est faux.
L'argent sale c'est tout ce qui n'est pas gagné par les filières régulières. Toute somme dont le propriétaire ne peut pas en justifier la provenance légale, c'est-à-dire qu'elle est le produit d'une activité normale et non suspecte.
Or que d'activités apparemment normales en Haïti mais qui ne sont pas déclarées (déclarables) officiellement. Comme les jeux de hasard. La 'borlette' privée. On est étonné d'apprendre qu'il y a plus d'une soixantaine de casinos opérant en Haïti.
Mais ce n'est pas tout. La prostitution qui paraît si naturelle. Les enfants en domesticité et pouvant donner lieu à des réseaux organisés.
Les nouveaux projets de loi couvrent tous ces domaines.
Donc d'abord identifier le crime de blanchiment, qui couvre un domaine très très large.

L'Etat de droit ? ...
Secundo, la justice haïtienne va-t-elle vraiment mettre les nouvelles législations en application ?
L'Etat de droit, ce n'est pas encore notre fort.
Donc ce n'est pas tout de voter des lois, faut-il une justice qui puisse les appliquer ?
On ne peut pas dire que c'est encore le cas.
On peut même dire que ratifier les projets de loi et les voter au parlement c'est le plus facile. Mais comment concrétiser leur application ?
Sinon c'est peine perdue, si les suspects devaient arriver à toujours pouvoir tourner la justice en dérision.
Outre que la menace contre l'économie nationale ne serait pas écartée.
Donc avant même de rechercher les suspects pour les inculper, faut-il d'abord identifier le crime pour le grand public. Et éduquer notre société à ce sujet.
Et comme on dit que le poisson pourrit toujours à la tête, commencer avec les gros poissons. Pour donner l'exemple.
C'est donc plus qu'une affaire de loi mais un problème de société.
Les pouvoirs exécutif et législatif font ce qui leur revient. Mais le problème reste entier.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince