PORT-AU-PRINCE, 23 Août – Un officiel du gouvernement qui a pour particularité de souvent ne pas mâcher ses mots, commentait récemment lors d'une rencontre avec les patrons de presse : la Minustah est en train de faire ses bagages ; pour certaines raisons propres à eux les Etats-Unis ne sont pas intéressés à une nouvelle occupation, que nous reste-t-il alors à nous Haïtiens sinon de prendre nos responsabilités, de trouver une entente entre nous pour sauver notre pays, d'abord arrêter cette division entre fils d'une même patrie qui nous détruit. Sinon la seule issue, c'est la guerre civile ...
Sauf que, pensons-nous, les Haïtiens ne sont disposés ni à faire la paix entre eux ... ni non plus à la guerre civile.
Depuis longtemps ce pays n'est plus capable d'une demi mesure. Il faut tout reprendre à zéro. Ou presque.
Peut-on refaire le barrage hydroélectrique de Péligre ? Peut-on nettoyer le Bois de chêne, la gigantesque ravine qui traverse la capitale, sinon reprendre complètement la construction de ces œuvres.
Le poisson commence toujours à pourrir à la tête ...
Trop tard aussi pour nos rues et nos routes, aucune réparation d'importance, aucun rafistolage. Pourquoi ? Parce qu'elles sont construites à fleur de terre, à même le sol. Sans fondation, ni compactage.
Après quelques mois, tout est à refaire. Il faut de nouveaux fonds. On recommence alors à faire le siège des organismes internationaux de financement. Nos gouvernements passent tout leur temps à cela. Aussi il ne leur en reste point pour gouverner véritablement le pays. Accomplir le plus important : établir un Etat de droit. Rétablir l'autorité de l'Etat.
Comme dit le français : le ver est dans le fruit. Et le créole : le poisson commence toujours à pourrir à la tête.
PORT-AU-PRINCE, 8 Sept. – Les files interminables de réfugiés syriens débarquant en Europe de l'Ouest, avec une préférence pour l'Allemagne de la chancelière Angela Merkel, ne peuvent ne pas nous rappeler qu'il y a un peu plus d'un siècle c'est Haïti qui était l'une de leurs destinations favorites. Plusieurs milliers d'entre eux ayant été débarqués à l'époque, fin du 19e siècle, sur les côtes de pays de la Caraïbe et de l'Amérique centrale, fuyant la misère et différents troubles dans leurs pays.
On est certain que l'Allemagne ne fait pas une mauvaise affaire en leur ouvrant plus largement, et plus généreusement que les autres, ses frontières si l'on en juge par les performances réalisées dans nos pays, témoignage à la fois de la part de cette communauté d'une grande force de travail et d'un remarquable sens d'organisation. Prête aussi à faire face à l'adversité.
Beaucoup de documents dans notre Histoire en témoignent, dont le plus connu aujourd'hui est bien sûr le film intitulé 'Bord de mer', consacré à cette communauté par le réalisateur Mario Delatour.
'Bord de mer : un siècle d'immigration en Haïti' de Mario Delatour, production Amistad Films, 2005.
Dans un compte-rendu du film par notre collaborateur Hugues Saint-Fort (Août 2012), on lit : 'Vers la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l'émigration, du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d'Haïti ...
'Un pays qui a captivé les Libanais et malgré la discrimination (rencontrée), ils s'y sont établis à partir de 1880, notamment dans le quartier du Bord de Mer, à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne ainsi que par les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains.
Plusieurs d'entre eux furent expulsés ...
'De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le pays. Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent surnommés avec mépris « Arab bwèt nan do' (errant avec une boite sur le dos). Cependant grâce à un sens inné des affaires, ils ont vite commencé à gagner de l'argent et c'est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces étrangers.' Donnant lieu à toutes sortes de moqueries, telles « Arab manje koulèv » (mangeurs de serpent).
JACMEL, 18 Octobre – La Constitution de 1987 prône la Décentralisation du pays.
Qu'est-ce que la Décentralisation ? On ne sait trop. Les pouvoirs publics semblent même la confondre avec Déconcentration, comme depuis l'administration de René Préval : ouvrir des bureaux multiservice dans toutes les villes importantes combinant tous les services publics les plus sollicités : impôts, passeports, permis, état civil etc.
Mais rien à voir avec la Décentralisation qui est le sommet du système démocratique : transmettre aux départements, communes, collectivités territoriales, tous les pouvoirs qui leur sont nécessaires pour une meilleure gestion non seulement administrative mais également économique, politique et culturelle de leur région.
Or à ce niveau Haïti a toujours été un pays Décentralisé. Oui, jusqu'à l'Occupation américaine (1915-1934) qui a cassé les pouvoirs locaux (ou plutôt dynasties locales) pour placer le pays sous la coupe du pouvoir central, c'est-à-dire Port-au-Prince.
Il est vrai aussi Décentralisé jusqu'à l'extrême : la Division. L'Eclatement. Il est même arrivé que nous ayons eu trois gouvernements : Nord, Ouest et Sud. Et conséquemment trois présidents de la République. Et aussi trois Armées.
Ce qui a été bien entendu l'une des causes (entre autres) de l'instabilité qui a débouché sur l'occupation militaire américaine.
Mais aujourd'hui les observateurs ont réalisé que pour faire renaître notre pays, il est nécessaire de faire revivre les régions.
La Constitution en vigueur le reconnaît.
Mais quoi faire ?
Les gouvernement successifs ne veulent pas lâcher prise. Aussi est-ce à dessein qu'ils font semblant de confondre la Décentralisation avec la Déconcentration. C'est pour ne pas lâcher le Pouvoir (avec un grand P). Le pouvoir central et centralisateur.
Et puis Décentraliser quoi ? La misère noire, les campagnes dénudées ?
Mais un grand malheur est arrivé. Le 12 janvier 2010 un tremblement de terre détruisit Port-au-Prince la capitale, la capitale tentaculaire, faisant pas moins de 250.000 morts et réduisant en ruines le centre-ville.
Les plus fortunés se réfugient dans les hauteurs environnantes, Pétionville, etc. Mais ne tardant pas à être rejoints par les masses abandonnées à elles-mêmes.
N'est-ce pas l'occasion idéale de refaire l'Histoire ?
La Décentralisation, pour réussir, devrait commencer, on s'en rend enfin compte, par la base. Par le social. Par l'individu et non le gouvernement. C'est la société qui est à la source de la Décentralisation, la ville est née avant la nation, l'Etat apporte les éléments indispensables : les infrastructures de base (routes, ports et aéroports, hôpitaux, éducation) ainsi que la sécurité des vies et des biens.
PORT-AU-PRINCE, 31 Octobre – Un pays qui est passé des candidats aux présidentielles de 1957, soit le sénateur entrepreneur agronome Louis Déjoie, l'économiste Clément Jumelle, le professeur Daniel Fignolé et le docteur François Duvalier ... à aujourd'hui une cohorte de 54 candidats à la présidence dont aucun n'arrive à se distinguer vraiment de l'ensemble, à sortir la tête de l'eau !
Un pays pourtant qui a inauguré en 1949 à la face du monde entier, et en moins de 4 ans de présidence Estimé, le Bicentenaire de la fondation de sa capitale ou Cité de l'exposition, portant le dictateur du pays voisin, Rafael Trujillo, à décider dès son retour chez lui de la création d'une œuvre de la même envergure, aujourd'hui le Malecón de Santo Domingo riche en hôtels de luxe ...
Qui a vu son président, le général Paul E. Magloire (1950-1956), reçu en grande pompe à la Maison Blanche, avant de faire la couverture du magazine Times, privilège hors du commun.
Qui a réalisé (1970) le barrage hydro-électrique de Péligre, dont le premier client a été notre voisine la République dominicaine ...
Et la Teleco, la première compagnie de téléphonie nationale de cette envergure dans la Caraïbe ; lors de la coupe du monde de football de 1974 à laquelle Haïti participa, c'est la station terrienne de Duvalierville, aujourd'hui de nouveau Cabaret (au nord de Port-au-Prince), qui a desservi en relais de communications toute la région.
Un pays dont le président de la République (1988) a été un professeur en Sorbonne, Leslie Manigat ... et qui finira par élire en 2011 un chanteur spécialiste de la gaudriole même la plus outrancière.
MEYER, 4 Décembre – Il a fallu la conférence de Paris sur le climat (COP21), qui se tient jusqu'à mi-décembre, pour nous apprendre que Haïti est l'un des trois pays à avoir été les plus affectés, ces vingt dernières années, par le phénomène climatique.
Selon un rapport du groupe de sensibilisation Germanwatch, basé à Bonn (Allemagne), intitulé Index sur le Risque Climatique Global 2016, montrant les nations les plus affectées par les conséquences du réchauffement extrême de la température, entre 1998 et 2014, Haïti figure en tête avec le Honduras et le Myanmar.
Viennent ensuite les Philippines, le Nicaragua, Bangladesh, Vietnam, le Pakistan, la Thaïlande et le Guatemala.
Donc en gros des pays de l'Amérique du Sud et de l'Asie du Sud-Est.
En tout, 525.000 personnes sont mortes comme résultat direct de ces cas d'élévation extrême de la température globale.
Provoquant sur le plan économique des pertes de l'ordre de quelque 2.97 trillions de dollars.
Températures extrêmes comme celles que nous avons subies cette année ...
L'analyse du groupe de conscientisation allemand démontre donc que des phénomènes comme la sécheresse prolongée (comme celle qui a sévi cette année en Haïti) sont une conséquence du réchauffement planétaire (et pas seulement comme on avait l'habitude de l'expliquer jusqu'ici du simple phénomène climatique cyclique dénommé El Niño), ainsi que conséquemment la famine qui résulte de cette sécheresse hors du commun.
Mais le rapport de Germanwatch ne s'arrête pas là, notant aussi comme autres conséquences majeures du phénomène : l'élévation du niveau des océans avec la fonte des glaciers, et la hausse de la température des mers ainsi que leur degré d'acidité.
En ce qui concerne donc notre Haïti, un nombre croissant de recherches établit une directe connexion entre le réchauffement climatique - qui fait actuellement l'objet de la conférence qui a réuni à son ouverture à Paris (France), le 30 novembre écoulé, plus de 150 chefs d'état et de gouvernement - et les températures extrêmes comme celles que nous avons subies cette année (2015) ainsi que la sécheresse persistante qui en est résultée et qui a brûlé toutes les plantations et anéanti les récoltes aux quatre coins de la république.