Basquiat ou une Haïti qui s'ignore
MIAMI, 14 Août – Se tient en ce moment à Miami une exposition consacrée au peintre Jean-Michel Basquiat.
Une de plus, direz vous, Basquiat étant devenu le nom le plus célébré de la peinture moderne. A New York, Paris comme Miami.
Et dans les ateliers d'art dans une ville haïtienne comme Jacmel, où on essaie souvent d'identifier sa parenté avec les artistes locaux.
Normal. Jean-Michel Basquiat est le fils d'un Haïtien, Gérard Basquiat, et d'une mère d'ascendance portoricaine mais disparue son futur génie de fils avait à peine 8 ans.
Ce dernier disparaitra de son côté à 27 ans. En pleine gloire. Comme d'autres météores célèbres. Et croit-on, d'une overdose.
Mais à peine si l'exposition rappelle l'état civil de l'artiste.
Gotham ...
Jean-Michel Basquiat est un gamin de New York. La mégapole américaine, le Gotham des bandes dessinées de la série Batman, est la source de son œuvre, dont il tire la matière partout, dans les rues des quartiers prolétaires où a vécu la diaspora haïtienne des années 1960-1970, dans les affiches publicitaires et les néons (parenté avec le seigneur du pop art, Andy Warhol, celui qui a porté les boites de soupe Campbell à la hauteur de l'art et qui deviendra un mécène incontournable pour le jeune créateur) etc.
L'exposition de Miami a pour particularité de montrer Jean-Michel Basquiat au travail grâce à des vidéos-montage réalisés du vivant de l'artiste. Sans accréditer la thèse qui veut qu'il ait été surpris par la police en train de commettre une action qui avait été interdite en ce temps-là à cause des abus commis par les talents en herbe de la ville : recouvrir de graffiti le métro de New York, puis le public, à qui étaient destinées ces créations d'auteurs inconnus, identifia un jour l'oiseau rare, l'enfant prodige. Ainsi serait né Jean-Michel Basquiat. En tout cas, on le voit en effet au travail. Il arrive comme par hasard, armé de son crayon feutre, et surtout de son spray, et comme dit la chanson : ni vu ni connu, à peine venu, la tâche est finie. Offerte gratuitement à qui le veut. A toute la ville immense et à chacun. C'est l'artiste moderne version Basquiat. Loin de Michel-Ange qui ne peignait que sous les ordres du pape Jules 2, ou même de Picasso qui discutait âprement le prix de ses tableaux. Avec Basquiat l'art n'appartient à personne qu'à la ville et tous ceux qui l'habitent, en Haïti on le classerait aussi aujourd'hui dans le domaine des droits humains, n'est-ce pas.
Aucune trace d'Haïti ...
Mais justement quid d'Haïti, dans l'œuvre de ce fils d'Haïtien ?
Rien.
Dans ces œuvres les plus sophistiquées, les seules références au pays de son père sont des citations qui s'inscrivent comme ça, pas tout à fait cheveu sur la soupe mais comme des bribes laissées dans la mémoire de ce beau gosse, visage plein de charme, habillé punk mais avec classe, en un mot bien élevé dans son enfance, comme un haïtien qui se respecte se doit d'élever son unique fils (la famille compte aussi deux sœurs), bref en lui gonflant la tête des épopées européennes (Versailles, Louis XVI, Rochambeau et Lafayette dans la guerre de l'indépendance des Etats-Unis. Mais pas un mot du futur roi Christophe d'Haïti, qui fut le tambour major à la bataille de Savannah ...).
Baron Samedi ...
Jean-Michel Basquiat n'a aucune trace d'Haïti dans son œuvre pourtant si abondante. Il est évident qu'il n'est jamais venu en Haïti. Il serait allé une fois en Afrique, qu'on note rapidement, pour un séjour apparemment sans lendemain.
Or, et c'est là le miracle : aucune peinture ne saurait être aussi haïtienne que celle de Basquiat.
L'artiste ne signe pas de son nom. Il est sûr d'être reconnu par une image qui hante tous ses tableaux, toutes ses affiches, une sorte de gueule cassée, ravagée, avec des dents blanches bien en évidence, toujours en avant-scène, regard mort (d'un mort) et bien vivant en même temps, observateur sévère et même menaçant mais inévitable de notre chienne de vie, que Basquiat se dépeigne lui-même ou adresse un coup de chapeau à son éternel héros : l'homme noir, dit-il, comme les grands noms du sport aux Etats-Unis auxquels, à son avis, on ne rend pas tout l'hommage qui leur est dû. Etc.
Or cette tête, grimaçante et invitante tout à la fois, tout Haïtien a vite fait de l'identifier, c'est Baron Samedi, c'est le roi des Guédés. Celui qui dans le panthéon vodou, ouvre toutes les barrières.
Y compris celles du génie et de la gloire.
Perez Museum, Downtown Miami ...
Comment un jeune homme même né d'un père haïtien, mais celui-ci peu porté à lui transmette ce genre d'héritage comme notre bonne bourgeoisie d'autrefois, qui a grandi à l'étranger, sans avoir reçu apparemment un grand apport en socio-culture réellement haïtienne, sans aucune autre référence dans son œuvre en rapport avec Haïti et avec les Haïtiens, peut-il devenir l'archétype de la pensée haïtienne la plus profonde. Natif-natal.
La plupart diront que c'est un miracle. Les freudiens répondront qu'il n'y a rien là d'étonnant.
Mais c'est donné à un seul de le traduire ainsi, c'est Jean-Michel Basquiat.
En exposition actuellement au Perez Museum, Downtown Miami, sur le magnifique port des bateaux de croisière.
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Perez Art Museum Miami (PAMM), 1103 Biscayne Blvd, Miami.
Haïti en Marche, Marcus, 14 Août 2016