'Yo, si puedo', oui en Haïti aussi c'est possible
PORT-AU-PRINCE, 8 Septembre – Il n'y a pas plus grande hypocrisie que la célébration en Haïti de la Journée de l'Alphabétisation (8 septembre), le seul pays du monde occidental avec un taux d'analphabètes aussi élevé. Malgré tous les efforts qui ont été consentis. Mais sans aucun enthousiasme. Pas plus de la part de la population que des responsables publics.
Les derniers à y avoir cru sont les coopérants envoyés par le gouvernement de La Havane pour développer en Haïti un programme 'Yo, si puedo ' (en créole 'Wi mwen kapab') qui a fait ses preuves dans tous les coins du monde (Venezuela, Nicaragua, Bolivie et en Afrique). Mais en Haïti qui, après plusieurs années, ne peut se prévaloir d'aucun résultat probant.
C'est une longue histoire.
D'abord à chaque fois qu'une volonté nationale s'est manifestée pour l'alphabétisation des masses (or c'est la seule solution), elle a été écrasée par le pouvoir politique. L'autoritarisme assis sur des siècles de traditions archi archaïques : le paysan n'a que faire de savoir lire et écrire ! Comme au Moyen Age ...
D'abord Papa Doc ...
Ce fut le cas au début des années 1960 lorsque Papa Doc fit face à la fronde estudiantine.
Des cours d'alphabétisation avaient lieu dans chaque quartier, chaque rue, mobilisant lycéens et universitaires. A l'époque, avec pour toute arme l'enthousiasme, le patriotisme.
Papa Doc ferma l'université, clôtura l'année scolaire en plein milieu. Les jeunes s'adonnant à ce genre d'initiatives furent pourchassés sans relâche, sous l'accusation de préparer la révolution communiste.
Rappelons que la Révolution venait de triompher à Cuba le 1er janvier 1959.
Il fallut attendre la fin de la dictature Duvalier (7 février 1986) pour voir une nouvelle initiative du genre.
'Mission Alfa et Comités de quartier' ...
Sous la houlette de l'église catholique, considérée comme l'un des tombeurs de cette dictature, naquit en 1986 la 'Mission Alfa'. Objectif : alphabétiser les masses du pays.
Cela démarra d'abord comme sur des chapeaux de roues.
A nouveau les jeunes sont enthousiastes, et le mouvement semble bien parti. Des groupes de moniteurs et monitrices se constituèrent spontanément. Avec l'église catholique coordonnant par en haut avec la Mission Alfa, qui déploya ses antennes dans tous les départements et moindres recoins du pays.
En même temps que se développa, et c'est important, le concept de 'Comité de quartier' dans toutes les grandes villes, à commencer par la capitale, Port-au-Prince.
On entend par 'comité de quartier' une prise de conscience chez les jeunes que leur avenir et celui de leur environnement est d'abord entre leurs mains.
En ce temps-là inimaginables seraient les montagnes d'immondices qui s'offrent partout à notre vue en ville.
Mais surtout une telle impunité qui permet aux criminels, de tout âge, de tuer en plein jour, sous nos yeux.
Mais encore une fois le pouvoir politique va tout faire échouer.
Reagan-Bush redoutait la tentation du communisme ...
Lorsque Baby Doc prit la fuite le 7 février 1986, le pouvoir politique fut assumé officiellement par l'armée et l'église.
Or avant même toute autre considération, ces deux institutions étaient minées toutes les deux par la division et la discorde.
Comme toute institution émanant d'une dictature de trente ans que fut celle des Duvalier.
Les 'comités de quartier' furent l'une des premières victimes du nouveau contexte.
L'armée les ressentit tout de suite comme un défi à son autorité, bien sûr, absolue.
Washington, dont une administration Reagan-Bush (père) redoutait que l'Haïti démocratique ne glisse plutôt dans l'escarcelle du communisme cubain, poussa les militaires haïtiens à l'action.
Mot du général-président Henry Namphy rentrant de sa visite officielle à Washington : 'Banbòch la fini' (finie la fête démocratique).
Enfin l'éclatement du clergé catholique haïtien entre l'église dite officielle ('gwo chabrak') et les 'ti-legliz', une variété de la théologie de la libération (fort en vogue à l'époque), eut raison de la campagne d'alphabétisation officielle (ou Mission Alfa) qui disparaitra comme elle était venue.
Place à la bureaucratie et au poids des siècles ...
Ainsi l'archaïsme, le vieux démon, datant d'avant l'indépendance (1804), avait eu à nouveau raison d'une des rares expériences avec pour seules armes le volontariat, la solidarité et l'enthousiasme en faveur de l'alphabétisation de tous les Haïtiens, de toute catégorie sociale, de tout âge.
A deux reprises en trente ans : 1960-1986.
Depuis c'est laissé au domaine, creux et cynique, de la bureaucratie. Au pire, une arme de propagande électorale comme cette semaine pour certains des 27 candidats aux présidentielles du 9 octobre prochain ; au mieux une affiche publicitaire pour ONG ainsi que pour l'assistance internationale, celle-ci avec ses constantes commémorations 'journées X ou Y', décennies ceci ou cela', mais que Haïti n'a aucune chance de satisfaire ...
Parce que le cœur n'y est point. Et on a vu pourquoi.
Mais aussi parce que au poids des méthodes politiques rétrogrades, il faut ajouter aussi celui des siècles. Haïti, deuxième république indépendante du Nouveau monde après les USA, mais pour continuer à être gouvernée pour une bonne part suivant les mêmes méthodes en usage sous la colonie (esclavagiste) de Saint Domingue. C'est seulement en 1990, à l'élection d'un jeune prêtre, Jean-Bertrand Aristide, un ex-adepte des 'ti-legliz', que l'on cessa d'écrire sur l'acte de naissance de tous ceux et toutes celles qui n'étaient pas nés en pleine ville, la mention discriminante de 'paysan'.
Enfin le facteur économique ...
Ensuite comptent aussi les conditions économiques. Une fois l'Haïtien, quelle que soit son origine sociale, débarqué aux Etats-Unis, il s'empresse de s'inscrire à un cours pour apprendre à lire et d'abord à compter et signer son nom.
Aucun peuple n'est donc condamné à l'analphabétisme, pas plus l'Haïtien qu'un autre.
Il suffit de lui en donner les moyens. Or il est clair que l'humanitaire, expression servie aujourd'hui à toutes les sauces, ne peut pas remplacer le véritable enthousiasme de la jeunesse.
Comme on l'a vu en 1960 et 1986 !
Haïti en Marche, 8 Septembre 2016