MIAMI, 25 Juillet – Le terme Classe moyenne il y a quelque temps nous faisait peur.
Parce que ayant servi à la dictature Duvalier comme prétexte idéologique.
Aujourd’hui on se demande si le méchant Papa Doc ne s’en est pas servi au contraire pour handicaper toute évolution future du pays et continuer à imposer sa dictature à vie, oui é-ter-nel-le-ment !
En effet où en est aujourd’hui la Classe moyenne ?
Qu’est-ce que c’est ?
Qui est-ce ?
Qui sait !
Pourtant elle existe. Par la force des choses. Moyenne parce que ne se distinguant pas par la richesse matérielle mais sans être réduite à la pauvreté de la grande masse.
Mais surtout parce que, supposément, ayant fait des études, ce qui la distingue aussi bien des rentiers traditionnels que du peuple proprement dit.
D’où la conclusion de Papa Doc : la Classe moyenne a pour vocation de diriger ce pays !
Or où est passée aujourd’hui la Classe moyenne ?
A-t-elle été enterrée avec le Duvaliérisme dont nous sommes censés nous être débarrassés le 7 février 1986 avec le départ en exil de Bébé Doc ?
La Classe moyenne est-elle pour cela rayée depuis de la carte ?
Par qui ou par quoi a-t-elle été remplacée ?
Par une nouvelle révolution qui a porté au pouvoir de nouvelles catégories plus proches de la masse ?
En tout cas aujourd’hui rien ne marche.
Mais deuxième constatation, appelons un chat un chat ce ne sont pas les mieux formés qui semblent non plus en ce moment à la tête du pays.
Force est donc de s’interroger sur la disparition quasi totale de ces derniers ou, en un mot, de … la Classe moyenne ?
Est-ce l’échec des catégories qui ont pris les commandes au lendemain du 7 février 1986 ?
Mais victimes de leurs propres erreurs ou pour s’être au contraire fait damer le pion, comme on l’entend de plus en plus dire aujourd’hui, par d’autres catégories, comme les détenteurs de capitaux à la fois nationaux et étrangers qui seraient arrivés à créer leurs propres alter ego politiques, dominant donc désormais les deux piliers majeurs que sont l’économique et le politique.
MIAMI, 31 Juillet – Le nouveau premier ministre nommé et son gouvernement ne semblent même pas pouvoir atteindre le stade de la tentative de ratification parlementaire qu’ils ont disparu dans les oubliettes de l’histoire.
Aussi la question : pourquoi cette initiative ?
Au moins le dernier premier ministre nommé sortant Mr. Jean Michel Lapin a fait 3 mois à exécuter les affaires courantes, dont un effort de calmer le mécontentement dans les quartiers populaires par quelques initiatives d’apaisement social ; présider le conseil supérieur de la police nationale (CSPN) en encourageant le corps de police à ne pas baisser pavillon devant les gangs, c’est pendant l’intermède Lapin que sont maitrisés les deux plus puissants chefs de gang : Tije et Anel.
Cependant Jean Michel Lapin s’est vu refuser la ratification par les deux branches du parlement. Point !
Il y a une semaine le président Jovenel Moïse annonce le choix d’un nouveau premier ministre, son quatrième en un peu plus d’un an (Jack Guy Lafontant, succédé par Jean Henry Céant, puis Jean Michel Lapin et aujourd’hui Fritz William Michel).
Jack Guy Lafontant c’était le confident et complice ; Jean Henry Céant, notaire universellement connu, devait être Zorro puisque nommé (et aussitôt ratifié) pour venir éteindre les flammes des émeutes surprise des 6 et 7 juillet 2018 ; Jean Michel Lapin c’est l’outsider (le fonctionnaire plus soucieux de résultats que de calcul politique) cela lorsque le président commença à réaliser que l’ennemi était dans son sein (‘se rat kay ka p manje pay kay’), par contre qu’est ce qui explique la nomination du nouveau premier ministre, Fritz William Michel ?
Signe particulier : totalement inconnu. Est-ce façon de dire qu’il n’appartient à aucune faction, qu’il n’est pas un politicien. C’est un homme neuf ?
Hélas, un petit tour sur les réseaux sociaux montre que ce monsieur a des dispositions politiques bien arrêtées, qu’il est un adepte convaincu du parti au pouvoir (un PHTK tête calée !), partisan de la ligne dure et, ce qui ne dérange rien, un laudateur du président américain Donald Trump.
Soudain même le président de la Chambre des députés, Mr Gary Bodeau, qui semblait avoir parrainé son choix vu ses déclarations après l’arrêté présidentiel confirmant la nomination, qui ne montre plus le même enthousiasme.
La nomination du ‘petit Michel’ comme l’écrit déjà une certaine presse, pas seulement à cause de son âge (38 ans), appartient-elle déjà au passé ?
PORT-AU-PRINCE, 13 Août – Il reste peu d’institutions qui ne souhaitent le départ du président Jovenel Moïse. Et pourtant !
A l’opposition dite radicale et aux Petrochallengers qui luttent des pieds et des mains depuis une année, aujourd’hui ce sont des institutions considérées traditionnellement comme plus réservées qui demandent aussi à l’actuel président de ‘rache son manioc’ (libérer le fauteuil présidentiel).
La cause est entendue. Participation à la dilapidation des fonds Petrocaribe ; échec à empêcher le pays de disparaître dans la pire crise économique des dernières décennies. Jovenel Moïse = zéro au quotient !
Aussi avant le temps de dire ouf voici des institutions considérées en temps normal comme quasiment apolitiques, qui se lancent aussi dans la mêlée.
Ce sont la conférence des pasteurs protestants ; l’église catholique et même le forum économique sont au bord de monter aussi à bord.
Les organisations de la société civile et celles des droits humains sont depuis longtemps à la tête du combat.
Pour ces dernières (associations de femmes, d’étudiants, de migrants etc) qui ne se comptent plus, ‘Jovenel Moïse a amené le déshonneur sur la nation.’
‘Le seul service qu’il ait rendu c’est d’avoir permis à la population de découvrir à quel point des commis de l’Etat, par leur rapacité, ont contribué à enfoncer le pays dans la misère’, lit-on dans une longue note signée par une dizaine de ces organisations.
‘Nous sommes indignés’ ...
En dernier lieu les écrivains (une bonne vingtaine) ‘prennent position et exigent la démission de Jovenel Moïse du pouvoir.’
PORT-AU-PRINCE, 20 Août – De toutes façons l’opposition n’a jamais travaillé dans l’union. Et cela de toute l’Histoire de notre pays.
Sans remonter jusqu’à la période d’avant l’occupation américaine où le pays avait un nouveau gouvernement tous les six mois (Roger Gaillard, ‘Le temps des baïonnettes’), en passant par la lutte les armes à la main entre les deux seuls partis dont les noms ont mérité d’être retenus : le parti National et le parti Libéral mais qui reflétaient plus sûrement la ligne de partage entre les deux élites noire et mulâtre, le premier exemple le plus proche de nous c’est la longue et brutale campagne électorale de 1957, après la chute du gouvernement militaire du président-général Paul Eugène Magloire.
Ce dernier n’était pas parti de son plein gré – comme d’habitude. S’ensuit une succession interminable de gouvernements provisoires, chacun des grands candidats à la présidence essayant de se saisir lui-même des commandes pour mieux assurer sa victoire. A lui seul.
Le pays manqua de tomber plus d’une fois dans la guerre civile. Finalement Duvalier, plus malin que les autres, un ‘animal politique’ avant la lettre, put jouer tout le monde, les uns contre les autres, y compris l’armée qui devait assurer la balance comme l’avait conçu l’occupant américain de 1915-1934, et ce fut Papa Doc, 29 ans de pouvoir incontestable et quasi incontesté.
Jusqu’au renversement de Baby Doc le 7 février 1986.
Mais que se passa-t-il entre-temps ? Serait-ce qu’il a été réellement impossible de renverser la dictature trentenaire des Duvalier ?
Notre profession de journaliste nous a permis de nous rapprocher plus ou moins de ce perpétuel jeu de massacre qui s’appelle l’opposition politique en Haïti.
Eh bien ce qui se passe aujourd’hui n’a rien d’étonnant. Qu’un président totalement dépourvu comme l’actuel chef de l’Etat Jovenel Moïse arrive à tenir dans son fauteuil malgré les vociférations quotidiennes de son opposition, n’a rien de nouveau. Les présidents d’Haïti se maintiennent au pouvoir non par leurs réalisations à la tête du pays, mais depuis toujours grâce à une opposition qui n’arrive jamais à s’entendre sur le partage du (futur) gâteau.
Ce n’est pas les Etats-Unis où, par exemple, vous avez aujourd’hui une vingtaine de candidats à l’investiture Démocrate, oui plus de vingt qui se battent avec acharnement pour devenir le candidat qui représentera le parti Démocrate lors des présidentielles de Novembre 2020 ... mais le mot ‘qui se battent’ ne doit pas être pris au sens propre, on se bat pour prouver qu’on est le meilleur mais on ne se bat pas pour empêcher qu’aucun ne remporte la victoire. Ni pour empêcher la tenue même des élections ; comme quoi si le vainqueur doit être un autre que moi, eh bien que le pays cesse de fonctionner …
Papa Doc jouait sur cette faiblesse de l’opposition haïtienne en créant lui-même des candidats à la présidence ...
Et pour finir, tant pis si celui qui occupe le fauteuil continue d’y rester, tant que le gagnant ce n’est pas moi.
PORT-AU-PRINCE, 28 Août – En Haïti le linge sale ne se lave plus en famille.
On en veut différentes preuves au même moment.
C’est d’abord le sénateur Joseph Lambert ne cachant pas les raisons de son ‘divorce’ d’avec le président de la république Jovenel Moïse.
Ce dernier après lui avoir promis le poste de premier ministre lui aurait faussé compagnie à deux reprises : d’abord après les émeutes de juillet 2018 en lui préférant le notaire Jean Henry Céant, puis récemment en nommant Fritz William Michel qui attend encore la ratification du Parlement.
Mais trop c’est trop, dit Jo Lambert, tournant publiquement, et officiellement, le dos au chef de l’Etat. Avec les conséquences qui s’ensuivent.
Mais il y a eu un précédent, c’est l’ouvrage publié sur l’administration Céant pendant ses six mois à la Primature par deux de ses collaborateurs, au titre tout de suite évocateur : ‘Toutouni’ (en français : tout nu !).
Les feuilles de vigne désormais envoyées par-dessus les moulins, voici, selon les deux jeunes auteurs Pascal Adrien et Jorchemy Jean-Baptiste, respectivement ex-porte-parole et ex-directeur de cabinet, voici tous les dessous de table mis sur le tapis. Y compris à l’endroit des chefs de gang. L’ex-premier ministre Céant a dû se justifier d’un entretien au téléphone avec le plus fameux de ces derniers, Arnel Joseph.
Mais le pouvoir actuel ne finit pas d’inspirer cette interminable chronique des chiens écrasés. Même des hebdomadaires jusqu’ici sérieux qui s’y mettent. Lisez cette semaine dans Haïti en Marche (plutôt le numéro précédent, celui du 28 Août dernier) : ‘Les vraies raisons de la défection de Joseph Lambert et les (autres) départs annoncés’, (oyez plutôt) : ‘De Rudy Hérivaux, en passant par Guichard Doré et Liné Balthazar, tous estiment que le président Jovenel Moïse a un comportement raciste et ingrat. (…) Un nègre ‘à cheveux poivre’ qui se prend pour un grand bourgeois syrien. Jovenel Moïse n’écoute pas les conseils de ces messieurs mais quand il est en difficulté c’est eux qu’il envoie le défendre dans la presse. Tous ces conseillers n’ont pas le courage de Joseph Lambert pour passer dans l’opposition … Ils souffrent en silence.’
Ajoutant plus loin (après d’autres considérations encore plus personnelles mais dont nous vous faisons grâce) : ‘Jovenel Moïse ne tient pas sa parole et ses promesses quand il s’agit des alliés noirs de la classe moyenne et « tèt grenn ». Il les roule dans la farine sans aucune exception, comme de vulgaires imbéciles …’.