PORT-AU-PRINCE, 26 Mai – Le président haïtien Jovenel Moïse s’est envolé le samedi 26 mai pour Taiwan en visite officielle.
Cette visite a été décidée (et de manière précipitée) après la reconnaissance de la Chine (Pékin) par notre voisine la République dominicaine le 30 avril écoulé, mettant fin aux liens diplomatiques datant de 70 ans entre cette dernière et Taiwan.
Or on sait que la Chine réclame Taiwan comme n’étant autre qu’une province rebelle et une partie intégrante de son territoire.
Dans un long article, la journaliste du Miami Herald, Jacqueline Charles, qui a accès aux multiples sources concernées par cette question, cite cette importante déclaration du Chef de cabinet du président haïtien, l’académicien et ex-ministre de l’Economie, Wilson Laleau.
‘Taiwan est un ami de longue date ... Mais Haïti recherche ce qui est meilleur pour ses intérêts.’
Pour le moment, Haïti est alignée avec Taiwan, d’où la visite accomplie actuellement par son président à Taipei, accompagné par une palette de parlementaires, d’hommes d’affaires et de membres de son Administration.
Malgré cela, le Chef de cabinet et principal conseiller politique du président, Wilson Laleau, note que Haïti ne ferme pas la porte à d’autres partenaires potentiels.
Y compris la Chine.
‘Nous parlons à tous ceux qui peuvent nous aider dans cette situation’, poursuit Laleau.
‘Nous recherchons des alliances, des partenaires qui veulent venir investir chez nous. Nous ne recherchons pas l’aide traditionnelle, ni la charité publique. C’est cette dernière qui a mis Haïti dans la situation où elle se trouve aujourd’hui’ dit Laleau.
La fidélité récemment renouvelée par le président Jovenel Moïse à Taiwan n’est donc pas une fin en soi, à un moment où la Chine continue de marquer des points au niveau diplomatique sur sa rivale ; jeudi dernier c’est le Burkina Faso, nation d’Afrique de l’Ouest, qui est passé également dans le camp de Pékin, réduisant désormais à 18 le nombre d’alliés de Taipei dans le monde.
Washington paraît avoir été pris par surprise ou fait semblant ...
L’administration américaine ne reste pas insensible à cette percée extraordinaire de la diplomatie chinoise, y compris dans notre continent.
Et cela à coups de milliards promis en investissements et prêts pour le développement.
La décision de la République Dominicaine semble avoir pris Washington par surprise, tout comme l’année dernière le Panama : ‘nous avons averti nos ambassades dans des pays comme Haïti pour dire aux gouvernements de ne pas commettre la même erreur parce que cela remettrait aussi en question leurs relations avec les Etats-Unis’, dit le sénateur républicain Marco Rubio, président de la Sous-commission sénatoriale des Affaires étrangères pour l’Hémisphère occidental.
Cependant le sénateur Rubio semble avoir compris la nécessité de mieux préciser sa pensée.
Selon le Miami Herald, Marco Rubio dit qu’il comprend la nécessité pour Haïti d’attirer des investissements et il ‘n’est pas nécessairement contre les investissements chinois en soi’ mais selon lui, ‘rien n’empêche la Chine d’utiliser ses investissements privés dans des pays, comme un levier pour aligner la politique de ces pays-là avec les intérêts de Pékin.’
Compétition géopolitique ? ...
‘La Chine nous voit (entendez les Etats-Unis) comme engagés avec elle dans une compétition géopolitique et elle essaie de diminuer notre influence ...’.
‘Ce genre d’accords n’est jamais aussi innocent que cela paraît’ dit Rubio.
Bien entendu on pourrait répondre au sénateur Rubio, plus connu comme un anti-castriste notoire au Congrès américain : est-ce le même jugement qu’il porte sur les milliards ou plutôt trillions investis également par la Chine aux Etats-Unis, y compris dans le propre Etat de Floride qu’il représente au Sénat américain, ainsi que dans les pays de l’Union européenne ?
Chantage à l’aide étrangère ? ...
Il n’empêche que faute de prendre directement ses responsabilités comme le gouvernement dominicain du président Danilo Medina, le gouvernement haïtien du président Jovenel Moïse semble en train de jouer le même jeu qu’autrefois la dictature Duvalier : le chantage à l’aide étrangère ! L’acquisition au plus offrant.
Qui dit mieux ?
Alors que, comme le souligne le Miami Herald, Haïti se trouve dans une rare position de force de toute son Histoire.
Que veut Haïti au fait ? ...
‘Haïti se trouve dans une position unique aujourd’hui, du fait que l’île soit devenue soudainement un « ground zero » ou plaque tournante dans la bataille Chine-Taiwan pour la reconnaissance diplomatique’ explique Daniel Erikson, un ancien conseiller de l’administration Obama pour l’Amérique latine.
‘La question est que veut Haïti ? Utiliser ce nouvel avantage pour renforcer ses relations avec Taiwan, et en cela espérer cultiver par la même occasion les faveurs de l’administration Trump, ou Haïti est-elle prête au contraire à changer de vitesse et à embrasser la Chine, coupant donc ses liens avec Taiwan ?’
C’est la responsabilité qui repose aujourd’hui sur la présidence d’Haïti.
En un mot, précise Daniel Erikson : ‘Est-ce que Haïti est intéressée à augmenter dramatiquement les investissements étrangers pour relancer son développement économique ... et cela devrait peser lourdement sur les conversations à Taiwan que visite en ce moment le président haïtien.’
Cependant pour un ancien haut cadre du gouvernement haïtien (qui a requis l’anonymat), l’actuel pouvoir haïtien n’a probablement pas le talent nécessaire pour négocier à un tel niveau.
‘Pour commencer, dit-il, vous devez avoir une vision claire, or tout le monde dans le pays se plaint de ne pas voir où nous conduit le gouvernement.’
En Haïti aucun réel débat ! ...
Ensuite, ‘en République dominicaine il y a eu un débat autour de la décision de reconnaître la Chine. En Haïti, il n’y a aucun réel débat au sujet des bénéfices pour le pays à s’aligner avec Taiwan ou avec la Chine.’
Outre que le président Jovenel Moïse est sous pression aussi bien localement que internationalement.
Le pays fait face à un déficit budgétaire massif, des mesures de réforme imposées par le Fonds monétaire international dont l’augmentation des prix du carburant à la pompe qui enflamme déjà les catégories sociales concernées, or sans l’accomplissement de ces réformes c’est le risque de perdre 96 millions de dollars en support budgétaire de la part de la Banque Interaméricaine de développement, de l’Union européenne et de la Banque mondiale.
Avec toutes ces pressions, conclut cet ex-haut cadre haïtien non identifié, le gouvernement haïtien va probablement essayer de manœuvrer pour conserver les deux possibilités, c’est-à-dire Taiwan aujourd’hui pour une aide immédiate et dès que le moment sera propice, passer dans le camp de la Chine.
Proximité avec le marché américain ...
Un dernier chapitre de l’article du Miami Herald se penche sur les intérêts que représenterait Haïti pour l’investisseur chinois.
Il y a bien sûr l’exploitation des minerais (or, cuivre, argent etc), mais mieux encore, contrairement à la République dominicaine, la Chine ne rencontrerait aucun autre important investisseur en Haïti. Ensuite Haïti est un pays où tout est à construire ou à reconstruire.
Pour finir, la proximité avec le marché américain où les articles de l’industrie haïtienne de la sous-traitance entrent sans payer de droits de douane.
Pour Robert Fatton, un expert d’Haïti à Washington, ‘la Chine n’est pas dans le business de charité publique et impose d’être reconnue diplomatiquement avant toute chose.’
‘Après tout, poursuit Fatton, la Chine fait comme toute autre grande puissance, elle défend son économie et ses intérêts stratégiques. Cependant elle peut offrir des prêts à un taux préférentiel ou même très bas qui pourraient être d’un grand bénéfice pour Haïti.’
Ensuite, poursuit Robert Fatton, ‘la Chine n’a pas pour habitude de dicter au pays quel régime adopter ... comme les Etats-Unis.’
Parmi les autres personnalités accompagnant le président haïtien à Taiwan se trouvent aussi le Président du Sénat ainsi que le Gouverneur de la banque centrale.
(Adapté du Miami Herald, ‘Le Président d’Haïti en route pour Taiwan pour négocier’, 25 Mai 2018)
Haïti en Marche, 26 Mai 2018