Refaire la production agricole nationale suppose des préalables

MEYER, 15 Avril – La semaine écoulée avait lieu dans la capitale haïtienne un Sommet sur la Finance et l’Agrobusiness avec le concours de spécialistes locaux et étrangers. Et qui a fait les grands titres de la presse haïtienne.
(Alterpresse) – Lors des discussions, un expert canadien en administration publique et finance municipale et rurale, Martin Lefèvre, a souligné l’importance des communes dans le développement du pays.
La faiblesse des communes expliquerait, selon lui, la faiblesse de la capitale Port-au-Prince, et du pays en général.
Pour sa part, le professeur canadien Goze Bertin Bénié a insisté sur la science dite géomatique, qui pourrait aider les élus locaux dans la gestion du cadastre fiscal, juridique, technique ainsi que dans la conservation et la diffusion des données.
(HPN) - Côté technico-scientifique, il fut aussi question de l’utilisation des drones ou vues aériennes.
Selon le professeur Henry Claude Poitevien, il faut faire appel à une agriculture ‘smart’ (intelligente) si l’on veut augmenter la rentabilité et la compétitivité du secteur.
On apprend ainsi qu’il existe un ‘Haïti Drone Services’, avec l’appui de l’Université Sherbrook du Québec, l’analyse des données recueillies par les drones est disponible en l’espace de quelques heures. L’agriculture de précision est d’importance pour s’assurer de la qualité des produits, pour faire des projections sur la qualité de la production, mais aussi pour anticiper sur des difficultés à venir, notamment météorologiques (sécheresse, saison des ouragans).


Pour le professeur Goze Bertin Bénié, sans un encadrement de l’Etat, une assistance technique bien calculée et une agriculture dite ‘smart’ ou de précision, les agriculteurs haïtiens n’ont aucune chance de tenir face aux technologies de pointe utilisées dans les pays du Nord, voire que les producteurs occidentaux, dont le riz américain, sont subventionnés dans leurs pays respectifs.
Cependant cela peut marcher dans un pays comme Haïti, qui possède des atouts dont la non contamination chimique de ses produits, mais seulement si l’Etat décide de faire de la rentabilité de ce secteur un atout principal de sa politique économique.
Et c’est cette assurance-là que le Gouverneur de la banque centrale d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois, avait pour mission d’affirmer lors de sa conférence de presse, le jeudi 13 avril, en parallèle au Sommet sur la finance qui s’est déroulée toute la semaine au Karibe Convention Center, pour s’achever pendant le week-end au Centre de convention de la BRH au centre ville de la capitale.
Selon Mr Dubois, l’agriculture a historiquement constitué la principale force économique de notre pays.
Mais celle-ci a régressé au point qu’aujourd’hui (chiffres de la banque centrale) nous importons pour plus de 5 milliards de dollars et n’exportons même pas pour 1 milliard.
C’est la catastrophe et cela ne peut plus durer.
L’objectif est d’attaquer la question sur deux fronts : l’agriculture d’exportation mais sans négliger celle destinée à la consommation locale car au bout du chemin il s’agit de refaire la richesse économique du pays en faisant rentrer des devises d’un côté par les exportations et de l’autre côté en diminuant les importations en consommant local afin de réduire les importations qui nous font perdre des devises.


Cependant (et désormais c’est nous qui commentons) tout cela, tout ce qui a été dit au cours de ce Sommet international restera des vœux pieux si des conditions préalables ne sont pas réunies.
L’agriculture, qu’on l’appelle agrobusiness ou agriculture familiale, c’est la terre.
A qui appartient la terre en Haïti ?
Nous n’avons jamais eu une réforme agraire qui aurait dû être le premier pas après l’arrachement de l’indépendance nationale il y a plus de 2 siècles.
Des Pères de l’indépendance de 1804 à nos jours, la terre appartient aux alliés du régime en place.
Lorsque les présidents Estimé (1946-1950) et Magloire (1950-1956) lancèrent le projet d’irrigation de la Vallée de l’Artibonite, le plus grand projet agricole jamais réalisé en Haïti, les favoris du jour ont été comme d’habitude les premiers servis en hectares sur les terres appelées à être développées.
Survient la dictature Duvalier qui n’avait pas été le choix de la classe dirigeante traditionnelle. Duvalier s’empara des propriétés des grands dons qui avaient dû gagner l’exil, pour créer une sorte de grande coopérative mais dirigée par le régime lui-même afin d’en faire bénéficier à son tour ses partisans.
C’est l’ODVA ou Organisme de développement de la Vallée de l’Artibonite.
Cependant le petit producteur de riz s’y retrouve avantagé parce qu’il vend sa production directement à l’Etat haïtien, lui garantissant par conséquent un débouché naturel et constant.
Si l’on peut dire, c’est un mal pour un bien.
Expérience que le président René Préval tentera de reprendre, sous une forme bien sûr plus à l’avantage du paysan qui remue lui-même la terre, pendant son premier mandat (1996-2001) mais sans véritable succès.
Il n’y faut pas seulement la bonne foi mais aussi la stabilité politique.
Or on ne peut compter le nombre de coups d’état qu’il y a eu aussi bien avant qu’après cette époque.
Outre la voracité jamais satisfaite des classes possédantes. Ainsi ce projet d’arrosage avec des pompes actionnées à l’énergie électrique que l’Allemagne, sous Baby Doc Duvalier, avait commencé dans la Plaine du Cul de Sac (Bas-Boen) et qui a été abandonné parce que toutes les terres avaient été vite arrachées à leurs propriétaires initiaux.
Cependant aujourd’hui il faut compter aussi, surtout depuis la destruction de la capitale Port-au-Prince par le séisme du 12 janvier 2010, avec la plus forte spéculation immobilière qui s’exerce sur l’intérieur du pays, remplaçant les champs par du béton.
Si l’on veut véritablement refaire la production agricole nationale, il faut donc commencer par le commencement.

Haïti en Marche, 15 Avril 2018