Little-Haïti prise d’assaut par les grands marchands d’art

MIAMI, 27 Avril – Little Haiti ne l’est presque plus que de nom. Le quartier haïtien de Miami, parce que c’est la partie de la ville que l’on avait assignée comme lieu de résidence aux réfugiés haïtiens débarqués dans les années 1980, est en train de devenir une prolongation du centre commercial de la métropole de Floride de plus en plus aussi aujourd’hui un carrefour mondial de l’Art nouveau.
Les grandes chaines de création dans les domaines de l’art et de l’artisanat et les artistes des quatre coins du monde, exposent toute l’année à Miami.
Après avoir conquis une première partie de la ville qui était jusque-là la chasse gardée des paumés et des cocaïnomanes (d’abord Overtown, puis Winwood et pour finir aujourd’hui Design District), le nouveau Miami poursuit son mouvement vers … Little Haiti.
Pourquoi Little Haiti ?
Parce que celui-ci se trouve sur la voie qui conduit tout droit vers les quartiers les plus fréquentés par les amateurs d’art.
Disons pour nous résumer que c’est le Biscayne Boulevard, l’avenue principale de la ville et qui rêve de ressembler aux Champs Elysées (Paris), rien de moins.
Le Biscayne ouvre sur les zones commerciales et touristiques les plus en vogue.
Au nord, c’est Aventura avec les magasins les plus chics (Macy’s, Bloomingdale, Nordstrom, Mayors etc.).
Et le seul casino du sud de la Floride, Gulf Stream.

Art Basel …
C’est aussi sur le Biscayne que débouchent les fameux ‘Causeways’ (ponts aériens) conduisant à Miami Beach, qui en plus d’être la Mecque du tourisme reçoit chaque année le plus important des festivals d’art au monde, Art Basel.
Or pour atteindre le Biscayne, il faut traverser la Petite Haïti (Little Haiti).
En effet le destin a voulu que toutes les rues reliant le Art Center (Design District-Winwood où l’art est dans la rue avec les plus curieux graffiti du monde) au Biscayne, traversent pour y arriver le quartier haïtien.
Ces rues ce sont la 36e, la 54e, la 62e et la 79e Street.


Et voilà pourquoi on assiste à un rush sans précédent des promoteurs immobiliers sur le quartier qui voilà seulement 20 ans, était l’un des plus négligés du compté de Miami Dade.

Propriétés revendues à dix fois plus leur prix …
Cependant il ne s’agit pas de tout Little Haïti que spécialement du bloc le plus proche du Biscayne Boulevard, c’est à dire partant de la 2e Avenue NE, la plus passante.
Les résidents haïtiens sont en train d’être poussés littéralement dehors parce que ne pouvant faire face aux nouveaux loyers exorbitants.


Cependant il ne manque pas d’encouragements (‘incentives’) de toutes sortes pour amener les résidents à ‘move’ d’eux-mêmes vers un autre quartier plus au nord, et pas si mal, c’est North Miami, dont l’actuel maire est d’ailleurs un médecin d’origine haïtienne.
Les plus grands bénéficiaires de cette opération sont ceux qui sont déjà propriétaires et qui se voient offrir au moins dix fois plus le prix qu’ils avaient payé au moment de leur acquisition.
Et c’est un mouvement tambour battant. Des bâtiments de plusieurs étages poussent déjà à vue d’oeil. Probablement devant servir à la fois de salles d’exposition, de dépôts pour les précieuses œuvres artistiques ainsi que pour les ventes aux enchères qui jouent aujourd’hui un rôle vital pour la promotion des œuvres et surtout pour faire connaître de nouveaux créateurs.
Dans la perspective d’un afflux de touristes, de nouveaux restaurants (de diverses nationalités) s’alignent aussi déjà sur la 2e Avenue NE.
Mais aucun d’origine haïtienne.

Little Haiti Cultural Center …
Tandis qu’une lutte sourde se déroule au niveau du Conseil municipal de la ville pour ne pas débaptiser le quartier et lui enlever son nom de Little Haïti.
Cependant il n’y a pas que le nom. Il existe au moins deux importants bâtiments qui portent haut l’identité haïtienne.
C’est l’église catholique Notre Dame d’Haïti, rénovée et agrandie grâce aux bons soins de l’actuel archevêque de Miami, Mgr Thomas Wenski.
Et c’est le Little Haiti Cultural Center, un grand centre culturel et artistique pourvu de toutes les facilités d’une institution de classe (salles de théâtre, de concert, de danse, de lecture, de yoga ainsi que pour les spectacles en plein air etc).
Ce sont là les deux piliers de la résistance, si l’on peut dire, à la poussée des nouveaux maitres des lieux pour lui donner une appellation plus conforme à leurs objectifs. Comme, par exemple, Magic City.
Outre que c’est un ancien slogan publicitaire pour la ville : ‘Miami the Magic city’.

Dessalines et Morisseau-Leroy …
Une fois disparu le nom de Little Haiti, cela signifierait aussi désormais plus d’avenues ni de rues, ni même de places publiques portant le nom de nos héros et personnalités célèbres : de Jean-Jacques Dessalines le libérateur au poète créole Félix Morisseau-Leroy.
Et la menace se précise de plus en plus, car bien entendu, comme il se doit dans un pays comme les Etats-Unis où l’investissement l’emporte sur toutes les autres considérations, les petits stores tapissés d’images Vodou (‘Botanica’) où se débitaient tous les produits pour la médecine dite naturelle, ont depuis longtemps fait place à de nombreux grands projets dits d’embellissement.
La 2e Avenue NE est déjà l’une des plus majestueuses de la métropole floridienne.

Little Haiti Book Store …
Aucune ressemblance avec le Little Haïti d’il y a seulement une dizaine d’années.
Cependant la curiosité nous a poussé à aller voir plus à l’intérieur du quartier, derrière ces grands bâtiments nouvellement construits, eh bien ô surprise !
Little Haiti n’est pas encore morte, hélas.
Nous disons hélas, parce qu’on y retrouve les mêmes réalités de poubelles non ramassées et d’immondices qui trainent dans les cours et même sur la chaussée.
Il y aurait donc aujourd’hui encore deux Little Haïti.
Une en plein jour. Le futur quartier artistique et commercial de classe internationale.
Et l’autre pour les immigrants haïtiens nouvellement débarqués.
Mais que les mesures anti-immigration du président Trump mettent immédiatement en fuite.
Comme si on est en face d’un grand complot entre les agents d’immigration fureteurs, l’absence volontairement des services de voirie municipaux de Miami-Dade dans ces arrière-cours et les capitalistes de l’art nouveau, pour accélérer ce véritable exode.
Aussi sans le Little Haiti Cultural Center, l’église Notre Dame d’Haïti, et surtout le très actif Little Haiti Book Store, la librairie et maison d’édition de notre confrère Jan Mapou (de la Sosyete Koukouy), Little Haiti risque en effet de n’être rapidement plus qu’un nom.
Et encore !

Marcus - Haïti en Marche, 27 Avril 2018