Port-au-Prince, le 1er décembre 2019 
Le Président Jovenel Moïse est passé des menaces aux actes
Répression de la population, crimes d’État et crimes de sang commis dans l’indifférence complice des autorités judiciaires, cela devrait suffire à lever le voile sur un glissement périlleux du gouvernement vers l’autoritarisme. Lorsque s’ajoute maintenant l’arbitraire et l’usage abusif de l’appareil répressif de l’État, assujetti à la volonté du chef suprême en quête de gains politiques. Il y a lieu de s’alarmer!
Dans le cas qui nous interpelle ici, il convient de bien saisir les enjeux de la récente offensive à l’encontre de partenaires privés de l’État, afin de mettre au grand jour les dérives inquiétantes de ce Président aculé par une crise sans précédent.
Sans jugement sur le fond du litige, somme toute commercial, tentons de faire une lecture froide de ce dossier et de rétablir les faits.
Au début du mois de novembre dernier, des cabinets privés d’avocats, contractés de gré à gré par l’État haïtien et chargés des poursuites judiciaires, ont porté plainte par-devant le parquet de Port- au-Prince. Le Commissaire en chef a.i. s’est empressé de convoquer, entre autres, les principaux membres du conseil d’administration de la SOGENER, les ministres du gouvernement Préval/Alexis signataires d’avenants au contrat liant cette firme à l’État (mais pas ceux l’ayant signé originellement sous le gouvernement Alexandre/Latortue) ainsi que le Directeur général de l’Ed’H de l’époque.
Immédiatement, l’un des avocats de l’État, Me. Newton St-Juste, fait étalage dans les médias de supposés crimes reprochés aux accusés, sans retenue, faisant fi du principe du secret de l’instruction. D’un ton triomphaliste, il les condamne avant même qu’ils aient eu la possibilité de répondre par- devant la juridiction compétente. Cela donne l’impression de faire partie d’une vile campagne de dénigrement.
Poussant plus loin son arrogance, Me. St-Juste affirme, bien qu’avouant ensuite l’absence de preuves, que des pots-de-vin faramineux ont été régulièrement versés par la SOGENER au Président Préval et à son épouse; tentative de souiller la mémoire du Président défunt et éclabousser le couple Préval. S’il s’agit là de cabale médiatique orchestrée pour faire diversion, qui sera la prochaine cible?
Mais revenons plutôt au cas flagrant d’abus de pouvoir et d’instrumentalisation de la justice qui révolte notre conscience citoyenne.
Rappelons pour commencer que la SOGENER est une société anonyme qui a débuté ses activités de vente d’électricité à l’État haïtien en 2002. La même année, se joint à l’équipe dirigeante de l’entreprise, Mme Elisabeth Débrosse Delatour, une spécialiste avérée de la finance. Sept ans plus tard, en décembre 2009, elle épousera le Président René Préval.
Quant au contrat dénoncé aujourd’hui par l’État haïtien, il a été signé sous le gouvernement Alexandre/Latortue à la suite d’un appel d’offres international et après approbation par la Cour Supérieure des Comptes, comme le prévoit la Loi. Et sa signature date du 27 mars 2005, soit plus d’un an avant l’entrée en fonction du Président Préval, le 14 mai 2006.
En 2006 et 2008, dans le respect des procédures fixées au contrat, des ministres du gouvernement Préval/Alexis y ont signé des avenants en vue de mieux préserver les intérêts de l’État, notamment par une révision à la baisse des tarifs. Ces avenants ont été élaborés avec une assistance technique de la Banque Mondiale et approuvés par la CSC/CA; ce qu’a publiquement confirmé l’ing. René Jean- Jumeau, ministre chargé de l’énergie du gouvernement Martelly/Lamothe, et témoin privilégié en tant que membre du cabinet d’alors du Ministre Frantz Verella, aujourd’hui sur le banc des accusés.
La SOGENER a ensuite continué à travailler, dans les mêmes conditions reprochées actuellement, durant tout le mandat du Président Martelly et les premières années au pouvoir du président Moïse. Il a fallu que ce dernier se trouve en butte à des difficultés économiques et politiques pour qu’il commence à faire allusion à des secteurs d’affaires, notamment celui de l’énergie, responsables selon lui de tous les maux du pays.
Alors, dans une manœuvre de diversion, il s’en prend publiquement aux IPP, les producteurs indépendants d’électricité (E-Power, HAYTRAC et SOGENER), sous le prétexte d’un rapport vieux de quatre ans, datant de 2015, inconnu officiellement des principaux concernés et mystérieusement resté dans les tiroirs des différentes administrations qui se sont succédées depuis sa rédaction.
Exploitant ainsi la crise chronique du secteur de l’énergie et l’ignorance du grand public des contrats de type PPA (Power Purchase Agreement) de production d’électricité, Jovenel Moïse instrumentalise l’appareil de l’État et la justice haïtienne. Excitant dangereusement au passage nos vieux démons épidermiques et sociaux, il politise des griefs commerciaux pour jeter des investisseurs dans l’arène pénale. Il franchit le Rubicon et passe définitivement des menaces aux actes.
Il ordonne promptement la résiliation unilatérale de ces contrats, ignorant totalement le cadre normatif traçant les voies de résolutions de conflits, ainsi que les conventions internationales signées. Aveuglés par un urgent besoin de calmer la grogne populaire, ses conseillers et lui ne prennent pas la pleine mesure des conséquences de cet acte arbitraire sur les investissements futurs et sur la fourniture d’électricité à la population; signe patent de l’incompétence régnant au timon des affaires.
En fin de compte, enlisé dans une crise engloutissant son mandat, Jovenel Moïse cherche à masquer son inaptitude manifeste. Il attaque ouvertement des personnages de son choix pour leur faire porter la responsabilité ultime du désastre général provoqué par lui et son équipe PHTK au pouvoir depuis huit ans déjà, faut-il le rappeler.
Il fait volontairement silence sur la chute de la gourde, les gabegies, les déficits budgétaires record, la mauvaise gestion de la crise du marché des produits pétroliers, les scandales de corruption et la dilapidation des fonds Petrocaribe par sa famille politique.

A dessein, il tait les difficultés sociales et politiques de l’EdH à commercialiser l’électricité produite; vraie source du problème énergétique. Certes, cet imbroglio qui maintient la société d’État en situation de faillite permanente justifierait une révision des contrats. Et, face aux difficultés et aux incompréhensions, comme les autres compagnies la SOGENER s’est publiquement et officiellement dite prête à s’expliquer et même à renégocier le contrat comme cela a été fait par le passé, dans le cadre légal prévu à cet effet. Mais dans une menée démagogique, M. Moïse préfère invectiver les producteurs qui étaient, par ailleurs, sous pression constante de produire de l’électricité selon leurs obligations contractuelles.
C’est dans ce contexte politiquement chargé et avec un gouvernement illégitime et inconstitutionnel à tous les points de vue, que s’est engagée l’actuelle poursuite contre ces investisseurs et contre d’anciens fonctionnaires du gouvernement Préval/Alexis.
La lecture de l’article de Me. Patrick Laurent paru au Nouvelliste le 25 novembre 2019 renforce bien le point de vue que Jovenel Moïse s’est trouvé en la SOGENER le bouc émissaire idéal pour détourner l’attention du public des vrais problèmes de l’heure et des personnes les ayant réellement créés.
En effet, le Président Moïse se démène en vain pour se tirer d’affaire, avec la « lutte contre la corruption » comme cheval de bataille. Il occulte cependant, soulignons-le à l’encre forte, le fait que son nom soit cité 69 fois dans le rapport Petrocaribe, inculpé dans le scandale AGRITRANS, reconnu fautif avec son épouse d’avoir illégalement engagé la firme DERMALOG malgré l’objection persistante de la CSC/CA, suspecté de détournements de fonds à travers la Caravane du changement, le BMPAD, NOVUM, HELICO S. A., qu’il soit aussi incriminé par des rumeurs récurrentes sur ses intérêts dans deux firmes curieusement en quête de contrats de vente d’électricité, pour ne citer que cela...
Notre président-entrepreneur ne devrait toutefois pas oublier que c’est le même appareil judiciaire qu’il disloque et affaiblit aujourd’hui qui devra lui garantir un procès équitable le moment venu.
Tout compte fait, il serait intéressant de connaître l’opinion de la BINUH sur ces dérives autocratiques et cette prise en otage de l’appareil judiciaire. Après tout, n’est-elle pas mandatée par l’ONU pour conseiller le gouvernement sur les questions politiques et juridiques?
Des principes juridiques et des droits fondamentaux sont en train d’être foulés aux pieds par un gouvernement corrompu, criminel, illégitime et inconstitutionnel.
Les acquis démocratiques de 1986, gagnés au prix de nombreux sacrifices du peuple haïtien, sont menacés. Les libertés individuelles et L’état de droit sont en danger.
Réveillons-nous!
Bernard Fils-Aimé, un citoyen inquiet