JACMEL, 22 Juillet – Entre Haïti et les Etats-Unis, chacun tend à accuser l'autre alors qu'il faudrait parler plutôt de torts partagés.
Washington manipule, l'Haïtien tantôt il en profite, tantôt il dénonce mais dans les deux cas il n'a rien pu pour faire évoluer la situation.
Le problème évidemment ne remonte pas aux élections de 2015, où l'on soupçonne les pays amis ou Core Group (en premier lieu USA, Union européenne etc) d'avoir fermé les yeux sur les fraudes organisées par le régime sortant, et totalement à leur dévotion, de Michel Martelly ... Ni à l'arrivée de ce dernier au pouvoir en 2011.
Par contre, depuis le renversement (1994) du régime militaire qui avait commis le sanglant coup d'état de 1991, le pays a vécu sous la direction de ceux-là mêmes censés représenter le progrès politique et social.

Pouvoir et opposition aux mains de la gauche ...
Du moins sous trois présidences : Préval (1995-2001), Aristide (2001-2004) et à nouveau Préval (2006-2011), avant l'accession du premier président officiellement 'de droite', Michel Martelly (2011-2016).
Or l'opposition elle aussi se trouvait tout ce temps-là aux mains de la gauche, notamment l'OPL (Organisation du Peuple en Lutte) créée par un ancien leader communiste, feu Gérard Pierre-Charles, le Parti Fusion des Sociaux Démocrates, le CONACOM, tous de la même mouvance de gauche socialiste. N'oublions pas le FNCD d'un certain Evans Paul, ancien prisonnier politique sous Duvalier.


Voici en gros la situation. Puis qui va s'entortiller dans un jeu d'accords, de désaccords, d'alliances, de mésalliances, de construction, de destructions réciproques, de déconstruction etc.

Deux interventions américaines directes-indirectes ...
Pour arriver à la catastrophe que nous avons aujourd'hui. Et dont chacun essaie de se renvoyer la balle, de se dédouaner.
Selon Washington, c'est le politicien haïtien qui ne peut pas prendre ses responsabilités.
Mais cela dépend de quelles responsabilités car en même temps cette même succession de pouvoirs mentionnés plus haut a vu au moins deux interventions brutales tolérées par le Département d'état américain en vue de maintenir Haïti dans la voie du statu quo, celle où entend le maintenir le 'grand voisin.' Mais une voie qui n'a jamais été clairement définie. C'est une boite à surprises. Pardon, c'est la boite de Pandore. Ou comme dit le proverbe haïtien : 'se kan ou pran, ou konnen.' Jamais sûr de rien. Et la meilleure forme de déstabilisation qui soit.
En 1991, l'Armée d'Haïti, encore existante, renversa le gouvernement démocratiquement élu seulement quelques mois après son investiture.

On s'est fait tous rouler ...
Et en 2004, un autre gouvernement bénéficiant (au moins) de l'appui des masses, mais ni des élites sociales ni des états-majors de la gauche, est renversé toujours avec la complicité de l'administration américaine.
Cependant ces derniers non plus, les soi-disant vainqueurs du moment, ne se retrouvent pas plus avancés dans leur agenda.
Comme quoi on s'est fait tous rouler dans la farine. Une fois de plus. Qu'on soit du pouvoir ou de l'opposition.
Nous parlons de cette gauche rentrée d'exil victorieusement ( !!!) après le renversement de Duvalier (1986).
Mais qui n'a pas eu la possibilité de changer la situation comme elle l'espérait. Malgré qu'elle, en tout ou partie, se soit retrouvée plus d'une fois ou au palais national, ou détenant la majorité parlementaire ou les deux en même temps.
D'où vient le mal ?
On serait tenté de dire la division. Comme un mal atavique.
On est plus fort pour combattre le dictateur. Mais une fois celui-ci dehors, la division l'emporte. Le venin de la division.
C'est la confession de l'homme de théâtre et ex-ministre de la culture Hervé Denis lors des événements de 2003-2004 expliquant à un journal étranger : la seule chose qui unisse cette opposition c'est la haine d'Aristide !

Place à une autre génération ...
Rappelons cependant que en 1990, lors des premières élections démocratiques, toute cette bande se trouvait ensemble.
Pour depuis ne pas cesser de se débander, tout au long de trois décennies déjà (1986-2016).
Aujourd'hui place à une autre génération. Mais qui semble, hélas, conserver peu de l'héritage de leurs prédécesseurs.
Mais qui plus est, ce sont ces derniers qui se sont eux-mêmes retirés de la course. Dépit. Ou démission ?
Mais jusqu'à présent aucune confession, personne qui n'ait osé reconnaitre : c'est ma faute !
Alors que la meilleure façon de mieux reconstruire une maison c'est de reconnaître les faiblesses dans la première construction.

Mettre à profit divisions et luttes intestines ...
Mais entretemps qu'a fait Washington sur lequel on a tendance à mettre aujourd'hui tous les torts ?
Elémentaire ! Il aurait pu se contenter de mettre à profit ces éternelles divisions et luttes intestines.
A chaque fois qu'il estime nécessaire de rectifier la barre (ou comme disait encore récemment le numéro 2 des missions onusiennes de maintien de la paix, Hervé Ladsous, nous rappelant l'obligation de ne pas 'sortir des écrans radar' !), les divisions locales restent toujours l'arme favorite utilisée. Particulièrement au sein et à l'encontre de notre gauche si fière (trop fière) quand elle rentrait d'exil en 1986, et n'avait pas encore la main à la pâte, ou plutôt comme dans 'Les mains sales' de Sartre : les bras enfoncés dans la merde jusqu'au cou ! Cela demande ou beaucoup d'expérience. Ou beaucoup d'abnégation et de sagesse.
Aujourd'hui une situation similaire semble en train de se développer.
Il n'y a qu'à attendre voir.
Ou plutôt c'est dommage de se retrouver à attendre sur le banc de touche plutôt que d'être comme avant au centre de l'action.
Pour s'être retiré avant la fin d'un match dont on avait soi-même donné le coup d'envoi.

Haïti en Marche 22 Juillet 2016