Petrocaribe : à quand la vérité réelle ?

JACMEL, 21 Août – On ne peut pas rejeter d'un revers de main le rapport de la commission anti-corruption présidée par le sénateur Youri Latortue.
Primo, ce ne sont pas des faits totalement inventés. Nul n'ignore que les fonds Petrocaribe (plus de 2 milliards de dollars américains) ont été utilisés non pour satisfaire les besoins les plus essentiels du pays (protection de l'environnement, alphabétisation, production agricole). Mais au contraire, et pour une bonne part, à des fins de décoration (d'autres diraient de maillage) urbanistique (places publiques un peu partout). A des fins donc aussi (et surtout) de propagande gouvernementale.
Le rapport publié le 17 Août écoulé sous le titre de 'Commission Ethique et Anti-Corruption – Résumé Exécutif / Rapport Petrocaribe' accuse noir sur blanc des ex-hauts fonctionnaires des gouvernements qui ont géré les fonds Petrocaribe, de la signature du contrat par le président René Préval en 2006 jusqu'à la fin du mandat de son successeur Michel Joseph Martelly en février 2016.
Pour beaucoup d'entre eux, le rapport en arrive à la conclusion qu'ils n'ont pas respecté les règlements dans l'attribution des contrats sur les fonds publics, quand ils n'ont pas tout simplement détourné les lois.

Plus mal qu'avant ...
Népotisme, prévarication, concussion, forfaiture, 'violations avérées de la loi des passations des marchés (...), contrats antidatés', ce sont les termes accusateurs s'il en est que l'on trouve tout au long du rapport.
Et il est difficile de ne pas les prendre en considération, cela vu le gâchis qui a été fait de cette chance inespérée pour Haïti et vu surtout que au bout du compte, on se retrouve définitivement aujourd'hui plus mal qu'avant.
Il y a des responsables, absolument. Et c'est eux que le rapport de la commission entend dénoncer sans mâcher ses mots (voir texte officiel du rapport ci-contre), demandant 'que l'action publique soit mise en mouvement contre ceux dont l'implication s'est avérée confirmée dans cette vaste supercherie d'Etat'.

'Where is the beef ?' ...
Or justement est-ce que les informations fournies dans le rapport suffisent pour mettre l'action publique en mouvement ?
La première réaction de n'importe laquelle des personnalités mentionnées, est d'appeler un avocat.
Ce sont d'ailleurs ces derniers dont une entreprise semblable est plus susceptible de contribuer à augmenter la richesse.
Un avocat relèvera rapidement que tout ça manque de faits précis, de chiffres, en un mot de jus. 'Where is the beef ?' Ce sont des mots forts, mais le dossier est vide.
Le rapport reconnaît lui-même : 'La Commission n'a pas pu investiguer dans le détail chaque contrat et chaque décaissement ...'.
Justement, ce ne sont pas des informations de première main (ce qui est essentiel devant le tribunal) : 'Des informations obtenues d'une journaliste d'investigation de la République Dominicaine font état de sommes importantes qui ont été versées par un entrepreneur dominicain à deux candidats haïtiens à la présidence ...'.
Les avocats ont beau jeu de repousser tout cela et d'exiger des preuves plus irréfutables.

L'Etat haïtien n'a ni les ressources, ni le temps ...
Autre faiblesse du document, c'est le grand nombre de personnalités mises en cause. Imagine-t-on l'Etat mettant en accusation tout ce monde. Une belle charrette en route pour l'échafaud ! Car si ce n'est l'Etat, qui accuse ? Or l'Etat haïtien en a-t-il les moyens ? Ni les ressources, ni le temps nécessaire (on est en pouvoir de transition).
Le sénateur Youri Latortue n'a pu s'empêcher dans son compte-rendu de faire référence au procès de la Consolidation (13 septembre 1904) sous le vieux président Tonton Nord (Nord Alexis).
Et c'est comme si Youri Latortue nous donnait raison puisque le procès de la Consolidation est la preuve que l'Etat haïtien n'est pas à la hauteur de ce genre d'ambitions, puisqu'on rapporte que plusieurs des condamnés sont devenus président de la république à leur tour.
Or justement certains des messieurs et dames épinglés ici, ont probablement des cartes en jeu dans les présidentielles prochaines (9 octobre 2016).

Il manque l'arme du crime ...
Donc Haïti étant ce qu'elle est, on ne s'attend pas que ce dossier aille plus loin que le rapport la semaine dernière rendu public. Et c'est dommage. Parce que les dommages sont là. Les fonds Petrocaribe ont été l'objet du plus grand gaspillage des fonds publics de toute notre Histoire. Et les coupables aussi sont là.
C'est comme un roman d'Agatha Christie où le cadavre git par terre, devant tout le monde, on sait que l'assassin aussi est parmi eux ... mais où est l'arme du crime ?
Ou mieux encore un O.J. Simpson accusé de la mort par étranglement de son épouse mais le gant qui constitue la pièce maitresse de l'accusation, la principale pièce à conviction, au moment où on lui demande de l'enfiler, se révèle trop petit pour sa main.

Quand la Nation demande des comptes ...
Alors que l'Etat haïtien dispose d'un atout infaillible : la loi qui impose à tous les hauts fonctionnaires (chefs de l'Etat, premiers ministres, ministres, directeurs généraux etc) de déposer un bilan de leurs possessions au moment de prendre fonction.
Le pouvoir étant considéré comme le corridor de toutes les tentations.
Or c'est encore le Sénat haïtien lui-même, aujourd'hui auteur de ce rapport, qui est le premier à violer cette disposition quand, pour des raisons politiciennes, il refuse ensuite la 'décharge' (quitus) à des anciens fonctionnaires qui ont été bien sous tout rapport.
Cependant les personnalités citées dans ce rapport, que ce soit à tort ou à raison, ne devraient pas oublier que la Nation continuera à demander des comptes de ce qui a été fait des plus de 2 milliards de fonds Petrocaribe.
Elles ont donc intérêt à aider elles-mêmes à rétablir la vérité !

Haïti en Marche, 21 Août 2016