Une histoire de l’adoption des enfants d’Haïti
MIAMI, 30 Octobre – Au moins deux Haïtiens auront été reçus dans le Oval Office, bureau du président des Etats-Unis, sous l’administration Donald Trump.
Ce sont les deux enfants adoptifs du nouveau membre de la Cour Suprême des Etats-Unis, la juge Amy Coney Barret, qui a sept enfants avec son époux, dont deux originaires d’Haïti, Vivian Barret et John Peter Barret.
Les deux ont été adoptés dans le même orphelinat en Haïti (la juge Barret a - note la presse américaine - toujours parlé librement de ses deux adoptifs) : Vivian arrivée aux Etats-Unis cinq ans plus tôt, elle a aujourd’hui 18 ans, tandis que John Peter est un survivant du séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010 faisant plus de 200 mille morts.
De Vivian, la juge dit qu’elle était si petite qu’on ne s’attendait pas à ce qu’elle survive. Tandis que John Peter avait 3 ans lors du séisme. Alors que les démarches étaient déjà en cours pour son adoption, ce qui n’était pas facile, les autorités des deux côtés faisant des difficultés, c’est le séisme qui est venu tout débloquer.
A ce sujet l’administration Obama (dont le vice-président s’appelait lors Joe Biden) s’est montrée plus que coopérative, ouvrant largement les portes des Etats-Unis aussi bien aux adoptions qui étaient en souffrance qu’à leurs accompagnateurs et accompagnatrices ( ! ).
Selon certains ce fut un mouvement à l’égal de la fuite des Sud-Vietnamiens pour les Etats-Unis après l’entrée des Vietcong à Saigon.
La nomination de la nouvelle juge de la Cour Suprême vient soulever un peu le voile sur l’adoption des enfants haïtiens dans le monde, un phénomène qui a peu d’écho en Haïti même.
D’abord les Haïtiens eux-mêmes n’ont pas une histoire réussie dans l’adoption des enfants de leur propre pays. On connait l’expression ‘restavèk’ qui dit bien ce qu’elle dit : c’est la petite ‘boniche’ immortalisée par notre célèbre conteur Maurice Sixto sous le nom de : ‘Ti Saintanise.’
Cependant la présence de deux adoptifs d’Haïti, accompagnant leurs célèbres parents, au bureau du président des Etats-Unis n’est pas passée inaperçue.
Déclaration du président Donald Trump dans son hommage à la juge Amy Coney Barret, dont la nomination par lui n’est pas sans intention – il en espère les voix de la communauté des chrétiens catholiques conservateurs à laquelle elle appartient, pour les présidentielles de ce 3 novembre 2020 : ‘Elle a ouvert sa maison et son cœur et adopté deux beaux enfants d’Haïti.’
Cependant le New York Times n’a pas manqué de relever que c’est un traitement tout à fait contraire que le même président américain donne aux immigrants haïtiens essayant par tous les moyens de fuir la misère chez eux mais que, qui plus est, il multiplie toutes les démarches pour renvoyer en Haïti les mêmes victimes du séisme qui avaient trouvé un refuge temporaire aux Etats-Unis (les fameux TPS ou Temporary Protected Status) en 2010.
‘Je bois de l’eau saine, j’ai de la nourriture sur la table et (surtout) je n’ai pas peur la nuit’ …
Toujours est-il que les événements actuels viennent mettre en lumière le processus d’adoption en Haïti, les bienfaits qui l’accompagnent mais en même temps les échecs ainsi que les critiques.
Pour un autre John Peter – John Peter Schlecht, 23 ans (cité aussi dans le New York Times) : ‘J’ai vu autour de moi le désastre et la mort. Des mamans mortes tenant leurs enfants morts également.
‘J’ai pu partir laissant derrière moi tout ça. Ils n’ont pas eu la même chance que moi.’
Ce Peter-là par contre n’est pas tombé dans une famille riche. Il fait trois boulots pour survivre. Il vit à St. Cloud, dans le Minnesota.
Les enfants venus d’Haïti après le séisme de 2010 sont au nombre de plus de mille (1.100). Officiellement au moins. Et ont été éparpillés dans toutes les directions. Certains étaient attendus par des parents adoptifs, d’autres sont arrivés sans aucune adresse.
Certains ont terminé aujourd’hui leur High School (lycée) et sont au Collège. D’autres n’ont pas eu la vie facile, outre le choc culturel.
Mais pour Jennifer Downard, 21 ans, c’était son rêve, dit-elle : ‘Coming to America’. Elle fait des études de business mais travaille pour le moment comme assistante-infirmière dans le Colorado où elle avait été adoptée dans une famille. Elle dit : ‘Je bois de l’eau saine, j’ai de la nourriture sur la table et (surtout) je n’ai pas peur la nuit.’
Parents haïtiens inconnus qui auraient glissé leurs petits dans le tas espérant ainsi leur donner une meilleure chance de réussite dans la vie …
Parlant de ses deux adoptifs, John Peter et son ainée Vivian, la juge Barret (très chrétienne comme mentionné plus haut) dit qu’elle avait senti un appel : ‘il y a tant d’enfants dans le besoin.’
Mais pourquoi avoir choisi Haïti ?
Certains parents sont moins positifs et aimeraient savoir ce que les enfants eux-mêmes ressentent aujourd’hui.
Pour Clara Leadingham, ‘il y a des réussites mais il y a aussi des cas problématiques.’
La juge Amy Coney Barret dit avoir choisi Haïti parce que le pays était plus proche et qu’il y règne une grande misère … et que nous avons les moyens pour nous rendre utiles.
Elle a choisi une agence d’adoption aux Etats-Unis mêmes, ‘A New Arrival Inc.’, qui est aussi représentée dans douze autres pays.
Au cours d’une visite en Haïti en 2004, ils rencontrèrent leur future fille, Vivian, qui à 14 mois, ne pesait pas plus qu’un bébé de trois mois.
Présentant récemment celle-ci lors de son audition devant le Commission Judiciaire du Sénat, elle a dit : ‘on m’avait dit qu’elle ne pourrait ni parler ni marcher normalement. Voyez vous-mêmes !’
Cependant d’autres adoptés, comme Libien Becker, se rappellent des jours presque sans nourriture à l’orphelinat en Haïti et qu’on les battait pour un oui ou un non.
Mais surtout il y a la bureaucratie, côté haïtien marquée inévitablement par la corruption, et côté Etats-Unis la méfiance.
Ainsi les Barret étaient sur le point d’abandonner tout espoir de recueillir un jour aux Etats-Unis leur fils adoptif John Peter … n’était le séisme du 12 janvier 2010 !
Six jours plus tard, le gouvernement américain levait l’autorisation de visa pour les enfants déjà en voie d’adoption.
Et dans les six mois après le séisme, tous les orphelinats en Haïti étaient vidés.
On se rappelle aussi la mésaventure des jeunes missionnaires américains qui ont essayé de traverser illégalement la frontière avec la République dominicaine avec des bébés haïtiens.
On reprochera même au gouvernement américain d’avoir reçu des enfants qui n’étaient pas réellement abandonnés. Mais cela bien entendu du fait de parents haïtiens dont certains auraient glissé leurs petits dans le tas, espérant ainsi leur donner une meilleure chance de réussite dans la vie.
Il est interdit y compris à la presse de souligner sans raison valable l’origine étrangère d’un adoptif …
Par conséquent c’est une page émouvante de notre histoire encore récente que nous fait revivre la prestation de serment de la nouvelle juge à la Cour suprême des Etats-Unis.
Cependant Amy Coney Barret est un cas rare parce qu’ordinairement les parents ne veulent pas parler de leurs enfants adoptifs …
Pour ne pas empiéter sur leur libre arbitre, à eux plus tard de réclamer leur origine s’ils le veulent mais ils sont citoyens comme tous les autres citoyens du pays.
La limite d’âge pour être adopté aux Etats-Unis c’est 16 ans, mais l’administration Obama l’avait porté jusqu’à 18 ans pour Haïti … au lendemain du séisme.
Cette règle de confidentialité va si loin qu’il est interdit à la presse de souligner sans raison valable l’origine étrangère d’un adoptif … sinon c’est le procès en justice.
Récemment en Floride, un professeur adjoint a été révoqué … pour avoir dit à un élève d’origine haïtienne : ‘Go back to Haiti.’
Par exemple encore, le Grand juge ou président de la Cour suprême, John Edwards, a lui aussi adopté deux enfants mais on ne sait même pas leur nom.
Parmi les adoptés célèbres comme le sont désormais Vivian et John Peter Barrett, on ne peut oublier la chanteuse d’opéra canadienne de renommée internationale, Marie Josée Lord.
C’est elle qui a avoué son origine … sur ses CD les plus célèbres où elle rend hommage à ses parents adoptifs … ainsi qu’à ses origines haïtiennes.
Marcus Garcia, 30 Octobre 2020