PORT-AU-PRINCE, 20 Mars – C’est toute la presse aussi bien nationale que internationale qui tombe aujourd’hui dans ces généralités.
Les chaines d’informations en continu par la force des choses. France 24, TV 5, CNN World News ou autres. Dans l’obligation de s’alimenter à différentes sources et différentes capitales du monde, l’information est présentée à l’antenne comme une mosaïque aux pièces disjointes.
Par exemple, vous avez trois informations le même jour à la Une. Les réfugiés syriens, la famine au Sahel et comme troisième titre, le nouvel album de David Bowie.
Et devinez lequel des trois intéresse le plus aussi bien le téléspectateur que le présentateur (rien qu’à voir la moue de ce dernier), c’est David Bowie effectuant son come back pour le plus grand bonheur des fans et médias occidentaux.
La famine au Sahel n’aura été qu’un hors d’oeuvre.
Comme des coqs de gaguère …
Chez nous en Haïti la même généralisation de l’information est au goût du jour. La nouvelle conception de l’objectivité journalistique revient pour le journaliste à mettre deux personnes face à face, comme des coqs de gaguère, et à les regarder s’entredéchirer sans aucune autre intervention que des questions spécifiquement destinées à les chauffer à blanc et de plus en plus.
Sous prétexte d’objectivité, l’information sombre dans la facilité, dans le simplisme. Et au final, dans la supercherie car loin d’être objective, l’information se réduit tout au contraire aux opinions totalement personnelles et subjectives de deux personnes triées sur le volet. Ce que résume mieux encore le titre d’une fameuse émission de CNN : ‘Crossfire’. Feux croisés !
Quand encore ces deux invités arrivent à garder le fil de leur pensée tellement l’animateur ne pense qu’à les exciter pour leur arracher les déclarations les plus tapageuses. Sensationnalistes.
Lavage de cerveau ( ?) …
Le sensationnalisme à la place de l’objectivité journalistique, c’est ce qui marche. C’est ce qui fait grimper l’audimat. Seulement que la presse dès lors n’a plus pour objet la recherche de la vérité, voire quand elle se sert des questions les plus sérieuses comme prétexte à ces exercices de pugilat oratoire.
Voire que ce sensationnalisme-là, à la limite, peut être utilisé comme lavage de cerveau. Et facile, dans un pays comme Haïti où il y a beaucoup à faire oublier. A nous faire oublier !
Je suis sûr que vous voyez un peu déjà où nous voulons en venir.
On nous reproche d’être devenu un peuple sans mémoire. Et les plus jeunes d’entre nous semblent reprocher à leurs ainés d’avoir failli à ce devoir de mémoire.
Eh bien, on pourrait répondre que ces derniers ont au moins écrit quelques bouquins ou articles de journaux sur ces trente ans de dictature pour lesquelles la justice semblerait se décider à demander plus ou moins des comptes … Mais plus sournoisement peut-être à fermer plutôt les yeux. Outre que nombre d’adultes en ce temps-là y ont laissé leur peau.
Car c’était le temps où, comme dit le poète, on trempait la plume dans l’encre de son propre sang ou dans celui des camarades.
Cynisme à toute épreuve …
Tandis que s’il y a une génération qui semble encore plus prête à enterrer une fois pour toutes la mémoire, c’est celle symbolisée par cette presse-là.
Des journalistes (puisqu’il faut les appeler par ce nom) qui ne font plus leur devoir de maison. Qui ne se préparent pas avant d’aborder un sujet sinon une ligne de téléphone multiple, une liste de questions bidon et deux personnalités choisies spécialement soit pour leur facilité à s’emporter, soit pour leur rouerie, c’est à dire leur cynisme à toute épreuve. Et le tour est joué. Taux d’écoute garanti !
Les maitres chanteurs ! …
Le résultat c’est une opinion de plus en plus perdue. Voire déstabilisée. Désarmée. Démobilisée.
Ce n’est pas pour rien que certains de ces avocats, dans nos micros, se font volontiers chanteur. Mieux encore que David Bowie. Oui, maitres chanteurs !
Grâce à cette presse qui croit qu’on peut renseigner sans se renseigner soi-même, que l’objectivité c’est tourner le dos à son propre devoir de recherche de l’authenticité des faits avant de les aborder en public, qui dissimule soit son incompétence soit sa paresse derrière des interviews tellement émotionnelles que l’auditeur en ressort encore plus dans la confusion, enfin qui privilégie le sensationnalisme même pour des sujets d’une importance capitale pour notre avenir en termes d’Etat de droit et de protection des libertés civiles et politiques.
Bref qui fait la part belle à ceux qui ont intérêt justement à tuer la mémoire. Car celle-ci s’entretient par la vérité et par le travail consciencieux.
Non par l’esbroufe.
Même quand un clown obtient des applaudissements c’est un clown.
Un bourreau qui profite des acquis démocratiques obtenus après son renversement demeure un bourreau.
Ne pas se contenter de copier CNN car chez eux d’autres font le travail à leur place. Chez nous c’est vous l’avenir. Et l’avenir se détruit !
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince