Un Etat ni libéral ni centralisateur


PORT-AU-PRINCE, 17 Mars – Tout le monde sait que pour les Etats-Unis la règle d’or en économie c’est laisser jouer la compétition en intervenant le moins possible.
Tandis que chez nous en Haïti notre premier mouvement c’est de placer des barrières, ce sont les règlements.
D’où le reproche qui nous est fait aujourd’hui (notation annuelle ‘Doing business’) que l’Etat haïtien met jusqu’à deux ans à légaliser la création d’une entreprise.
Alors que dans d’autres pays, y compris chez nos voisins de la République dominicaine, cela prend aisément quelques heures.
Cet aspect est plus que jamais vital aujourd’hui que toutes les économies ont besoin de rebondir pour émerger de la crise économique …
Et paradoxalement aussi avec les nouvelles technologies de la communication en constante évolution et qu’il faut gêner le moins possible dans leur avance inexorable.
Un téléphone cellulaire, nous affirment les experts, et alors que vous chérissez tant le vôtre ! - a une durée de vie d’une année à peine avant qu’une nouvelle génération plus performante ou une autre marque (Black Berry versus I-Phone ou Samsung) ne le descende de son piédestal.

 

Mathusalem ! …

 

Peut-on vouloir continuer à légiférer à tort et à travers (comme on en voit chez nous qui s’agitent aujourd’hui pour créer une nouvelle loi sur la presse comme si c’était ce qu’il y avait de plus urgent) ou bien maintenir des lois datant du ‘temps benmbo’ (autrement dit de Mathusalem) et espérer prendre le train des innovations, principal facteur du redécollage à notre époque ?


Notons toutefois qu’en Haïti où nous avons la plume si légère en matière de régulations, on nous affirme de tout temps que c’est en faveur du bien commun, de la majorité des sans défense contre les groupes d’intérêts organisés.
Alors qu’aux Etats-Unis ce langage semble tout bonnement inconnu (sauf chez quelques radicaux de la droite ou T-Party) pour la bonne raison que c’est le plus important de ces groupes d’intérêts, le même secteur privé, qui est appelé à jouer le rôle de premier plan lorsque le même intérêt commun est menacé.

 

Sandy …

C’est du moins ce qu’on apprend lors d’un séminaire avec les responsables des opérations pré et post désastres, le 13 mars écoulé, au siège de la FCC (Federal Communications Commission) - l’organisme qui gère les licences de communications aux Etats-Unis, oui, comment c’est le ‘private sector’ qui fournit principalement et automatiquement (pour ne pas dire spontanément) les moyens de lutte contre les catastrophes naturelles et leurs conséquences.
Rappelons que New York a été récemment victime d’un ouragan (Sandy) qui a laissé plus de 30 milliards de dollars de dégâts.
Et marqué toutes les mémoires. Oui, un ouragan tropical à New York, c’est tout à fait une grande première.
En Haïti lorsque le temps se gâte, le secteur privé se calfeutre comme tout un chacun.
Et comme vous et moi il attend aussi que vole à son secours l’assistance internationale.

 

Le Code Noir …

Vous avez évidemment déjà saisi qu’il y a secteur privé et secteur privé !
Comment Washington pourrait-il penser à serrer exagérément la vis à un des éléments clés de son système de défense civile - et partant de sa sécurité nationale (tiens, déjà un terme ignoré chez nous) – attendu que le même secteur privé comprend aussi la création industrielle et technologique, moteur de la compétition économique en même temps que inventeur des armements (dont les fameux drones) et autres instruments de défense nationale ?
Or si Haïti ne possède pas un secteur privé de cette envergure et doté d’une telle mission (un Etat à l’américaine), nous n’avons pas non plus son opposé. Oui, comme Etat régulateur ou centralisateur, eh bien nous ne le sommes plus aujourd’hui que de nom …
En Haïti nous avons hérité d’un Etat qui veut en tout et partout apposé sa marque. Et que, historiquement parlant, on appellerait l’Etat colbertiste.
Du nom de Jean-Baptiste Colbert, bras droit du roi Louis XIV, l’équivalent d’un premier ministre d’aujourd’hui.
Et dont le premier ‘corpus’ (ensemble de règlements) qu’il créa spécialement pour nous (puisque nous les Haïtiens sommes les descendants des esclaves de la colonie de Saint-Domingue) s’appelle le Code Noir.
Faut-il vous en dire plus !

 

L’Etat colbertiste haïtien …

Or on semble n’être jamais sorti d’un tel corset. Aussi tatillon que centralisateur. Puisque pour créer une entreprise, quelle qu’elle soit, jusqu’à assez récemment l’autorisation devait émaner, oui, du président de la République.
Voici qui ne saurait présager d’un secteur privé très entreprenant !
Nous en voyons les conséquences.
Or en même temps l’Etat colbertiste haïtien, véritable toile d’araignée dont un tout petit nombre avait le secret (d’où aussi les discriminations sans nombre et à tous les niveaux), n’a pas résisté longtemps aux monstres autocratiques et monstrueux autocrates (culte de la personnalité et pouvoir sans partage qui feraient rougir Louis XIV lui-même) qui se succéderont à sa tête en faisant totalement le vide autour d’eux.
En fin de compte nous avons abouti à cette double infirmité d’un pays au secteur privé toujours jouant au chat et à la souris avec un Etat voulant s’imposer partout mais qui n’a depuis longtemps plus de griffes !

Haïti en Marche, 17 Mars 2013