PORT-AU-PRINCE, 18 Février – Lorsqu’un pays a une seule force autorisée à porter des armes c’est un grand risque parce que cela nous ramène 70 ans en arrière et si cette force décide d’entrer en rébellion c’est ou le coup d’état comme en 1950 avec un certain major et futur président de la République nommé Paul Eugène Magloire, ou la formation comme en 1960, d’un corps parallèle mais non constitutionnel comme celui des Tontons macoutes par François Duvalier.
Mine de rien le mouvement de rébellion amorcé par les policiers dits syndiqués de la Police nationale d’Haïti (PNH) nous fait revenir aux moments les plus dramatiques vécus dans notre histoire nationale.
Evidemment si l’on s’enferme dans l’actualité, si on le voit comme un simple chapitre ou épiphénomène de la crise politique qui fait rage depuis plusieurs mois, et qui se caractérise par une succession de coups de théâtre qui révèlent plutôt une crise plus profonde que celle vécue par nos politiciens qui le plus souvent ne voient pas plus loin que le bout de leurs intérêts individuels, la réclamation du droit de se syndiquer par nos policiers paraît normale et presque sympathique.
‘Nous avons des devoirs mais nous avons aussi des droits’ disent les pancartes portées encore ce lundi 17 février dans les rues de la capitale par plusieurs dizaines de policiers et de policières comme on dit aussi aujourd’hui et présence de ces dernières destinée probablement à rendre la cause encore plus sympa.
Oui mais annoncée comme une manifestation ‘pacifique’ (soulignez), la virée se termina devant l’Inspection Générale de la Police Nationale, sise à Pétionville, banlieue de la capitale, dans une pétarade de coups de feu tirés par les policiers eux-mêmes. Comme des feux d’artifice pour fêter on ne sait quoi …
Mais ce n’est pas tout. Quelques minutes plus tard seulement, les estrades dressées au Champ de Mars pour le carnaval national le week-end prochain (du dimanche 23 au mardi 25 février) étaient incendiées jusqu’à ras sol.
Les auteurs de ces actes portaient, parait-il, des masques (cagoules), cependant lors de leur marche les policiers auraient indiqué qu’ils n’accepteront pas l’organisation du carnaval si on ne leur donnait pas d’abord satisfaction.
La Direction Générale de la Police Nationale maintient que les règlements généraux de l’institution interdisent la formation de structure syndicale dans son sein.
On comprend mais si l’on considère la Police nationale comme ce qu’on appelle : un corps sous les drapeaux. C’est-à-dire devant être toujours de service, prêt à accomplir toutes sortes de tâches pour le bien de la Nation.


Comme l’étaient justement les Forces armées d’Haïti (FAD’H), qui ont été remplacées en 1995, pour avoir commis le sanglant coup d’état de 1991, par l’actuelle Police Nationale d’Haïti, décision prise (officiellement du moins) par le président Jean-Bertrand Aristide à peine ramené au palais national de Port-au-Prince par une force armée américaine après 3 années vécues en exil aux Etats-Unis.

Une police ‘nine to five’ ...
Mais si les FAD’H étaient un corps perpétuellement de service, 24 heures sur 24 (outre la formule ‘en condition D’ qui obligeait autrefois tous les militaires, de tous les grades, à dormir dans les casernes), par contre la Police Nationale d’Haïti a plutôt un statut de simple fonctionnaire.
Comme n’importe lequel d’entre nous, le policier a un horaire simple : comme on dit en anglais : ‘nine to five’, il vient au travail à 9h am pour rentrer chez lui comme tout un chacun à 5h de l’après-midi. Ou presque …
Dans ce cas, puisqu’il est un fonctionnaire comme les autres, pourquoi n’aurait-il pas lui aussi droit à se syndiquer ?
Mais ceci c’est le niveau le plus simple de la question, le niveau des manifestations vite applaudies par des secteurs d’opposition qui sont en panne d’idées et d’improvisations, par contre revenons à la question essentielle : voici la seule force institutionnelle d’un pays autorisée à porter des armes qui se place dans une situation ambivalente, que ce soit un petit groupe (comme le pouvoir en place semble vouloir nous faire croire) mais est-ce que le reste de la troupe est autorisée à intervenir contre leurs frères d’armes des fois que le mouvement de ces derniers tournerait mal ? Dans des violences.
Comme par exemple, une tentative de coup d’Etat.
Ah, alors que l’actualité générale déjà s’y prête. Et comment !
Faut-il rappeler que c’est une simple mutinerie par le corps de la Cafeteria, section de la Police de Port-au-Prince située dans le quartier commercial et commandé par un major ambitieux nommé Michel François qui avait donné le coup d’envoi du coup d’état militaire du 30 septembre 1991.
Bilan : plusieurs milliers de morts dans la population civile.
L’Armée d’Haïti était lors la seule institution autorisée à porter des armes (avec la police incorporée dans l’armée). Ce depuis le renversement de la dictature Duvalier (7 février 1986).

‘Rayi chen di dan l blan’ ...
Mais ne faut-il pas rappeler que c’est pour le prévenir, pour ne pas laisser à une seule force le monopole des armes de guerre, que Papa Doc créa son corps des Tontons Macoutes, eh oui.
Les VSN avaient pour mission de tenir en respect les Forces Armées d’Haïti. Voilà.
Comme dit le créole ‘rayi chen di dan l blan’, François Duvalier avait fait ses classes en politique.
Tout comme après la chute du Tsar en Russie (1917), les Soviets avec Lénine et Trotski n’ont pas aboli les forces armées, ils ont créé le KGB (police politique) pour tenir les militaires en respect.
Fidel Castro fit de même après la victoire de la Sierra Maestra. Malgré que l’armée du dictateur Batista leur fit voir de toutes les couleurs dans la Sierra, elle ne fut pas abolie, mais ils entreprirent de la réformer.
C’est ce que peut-être nous aurions dû faire également en Haïti après le retour en 1995 à l’ordre dit constitutionnel, quand fut prise la décision de mettre fin aux services des Forces Armées d’Haïti.
Soit faire subir à cette armée une profonde réforme, pour lui enlever ses instincts criminels envers le petit peuple, soit créer en face un autre corps pour faire une contrebalance.
Pas obligatoirement un nouveau corps du style Tontons Macoutes, mais pourquoi pas, toujours un corps de police, mais pas ‘nine to five’, un corps parallèle, mais avec le pouvoir et les moyens de faire aussi la police de l’armée bref de contrebalancer cette dernière si nécessaire.
Or en 1995, on a fait exactement le contraire, on a mis fin au service des Forces armées, en créant une Police Nationale d’Haïti avec le monopole de la puissance publique puisque seule autorisée à porter des armes, sans aucune institution pour la contrebalancer (ne me parlez pas des convocations par la commission de sécurité du Sénat … on se souvient d’un certain chef de la police qui y avait débarqué avec son chien renifleur de cocaïne, jetant la panique chez des sénateurs dont certains n’avaient peut-être pas la conscience tranquille).

Désarmée, nulle et impuissante à l’occasion du séisme du 12 janvier 2010 ...
Et qui pis est, une police qui n’est de service que comme vous et moi (5 à 9 !). Et même moins que vous et moi dans beaucoup de cas !
On a vu justement comment cette institution policière s’est retrouvée désarmée, nulle et impuissante à l’occasion du séisme du 12 janvier 2010.
Mais le plus grave, et c’est ce que nous risquons de vivre aujourd’hui : voici cette Police qui menace d’échapper à son propre contrôle, comme une machine qui déraille, révélant toutes ses faiblesses : pas de discipline de corps et manque de leadership, et qui risque de mettre notre souveraineté nationale en danger, puisque n’ayant aucune contrepartie sur le plan local, rien pour lui faire face, sinon le risque d’anarchie menaçant de nous ramener comme, par exemple, en 1915 quand les Marines américains débarquèrent pour une occupation militaire de deux décennies (1915-1934).
Ou encore en 1994 quand ils ramèneront le président renversé trois ans plus tôt, J.B. Aristide qui va prononcer la dissolution des forces armées.

La seule alternative c’est l’intervention étrangère ...
On n’a pas d’alternative quand c’est une seule institution comme aujourd’hui qui détient la force des armes, la seule alternative c’est l’intervention étrangère pour mettre fin à l’anarchie qui vous pend au nez dans ces cas-là.
Et c’est ce qui nous pend à nouveau au nez.
Le reste : liberté syndicale, élections démocratiques, manifestations ‘manches longues’ tout ce qu’on veut oui tout cela dès lors, dès que ce genre de situation se présente, tout cela c’est … c’est du carnaval !
C’est une interrogation essentielle qui vient d’être soulevée par ce petit mouvement de rébellion au sein de la Police Nationale, serait-il passager et simplement alimentaire, ou alimenté par une opposition à court de stratégie …
Mais à bien réfléchir, il nous montre que nous sommes un peuple (‘bat kò nou jan nou vle’) plus que jamais … en liberté surveillée.
Définitivement nous parlons beaucoup, nous sommes un peuple de discours, de discoureurs et comment, mais nos décisions politiques, aujourd’hui comme hier, c’est le mot de l’écrivain Graham Green qui prévaut : Les Comédiens !

Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince