Haïti ou quand une élite se délite !
MIAMI, 12 Juillet – On répète que l’élite haïtienne n’est plus. Mais l’un des aspects de cette disparition qui reste inexploré c’est la diaspora haïtienne.
On se souvient qu’il y a encore quelque 30 ans à New York on divisait les Haïtiens entre ceux de Brooklyn et ceux de Queens.
Ces derniers étaient considérés comme une sorte de refuge ou de survivance de l’ancienne bourgeoisie haïtienne.
Mais aujourd’hui cette dernière a disparu dans la masse. Dans le ‘big melting pot.’ Mais, hélas, où il ne reste déjà rien de l’identité haïtienne.
Cependant contrairement à nos parlementaires qui pensent que détenir une seconde nationalité vous rend automatiquement moins haïtien, le problème est en amont. Si l’élite traditionnelle haïtienne en diaspora a déjà disparu, les causes sont en Haïti même.
On les appelle discriminations de toutes sortes ainsi que le refus de toute identification avec la culture populaire nationale.
Un système de castes basé sur la pigmentation de la peau et l’origine sociale limite considérablement les relations entre compatriotes.
Double blocage …
A Miami, ça n’avait pas tardé à devenir ceux du South-West (chef lieu Kendall Drive) et les autres, les Torturiens (ou boat-people soi-disant partis de l’île de la Tortue), à Little-Haiti.
Mais aujourd’hui le ‘blanc’ a repris possession de la Petite-Haïti devenue une plateforme internationale de l’artisanat et du design, enlevant tout repère aux uns comme aux autres.
Cependant l’élite traditionnelle a (encore) un autre handicap, sociologiquement parlant, qui est une distance adoptée par rapport à la culture populaire nationale considérée comme inférieure aux canons européens imposés historiquement d’en haut. A la fois physiquement et culturellement.
Double blocage pour le natif de la bourgeoisie locale, notablement la bourgeoisie claire, isolé d’abord au milieu de ses compatriotes dont il représente une petite minorité, puis par ses comportements socio-culturels en marge de la majorité ou la masse.
Prison sans barreaux …
C’est l‘héroïne de la romancière Marie Chauvet dont le cœur balance entre le Français beau parleur qu’on reçoit au salon et l’Allemand, ‘balourd’, mais dont on est sûr qu’il fera fructifier l’héritage familial.
Le jeune mâle clair, ‘mulâtre’, ne figure pas dans ce décor (qui n’est pas autre chose) pour la bonne raison qu’il constitue, par la force des choses, une espèce rare.
Mais lui a accès, comme Don Giovanni, à elles toutes : blondes, brunes, blanches ou noires. ‘Mille e tre.’ Plus d’un millier !
Par contre le sort de la fille claire, ‘mûlatresse’, enfermée dans cette prison sans barreaux mais pas tellement dorée (en tout cas qui ne l’est plus aujourd’hui), c’est ou bien un mari qui la trompe énormément …
Ou une carrière de vieille fille.
Cela au pays natal.
Un maelstrom …
Mais à l’extérieur, en diaspora, la rencontre avec l’Occident (ou plutôt la Vieille Europe) tant souhaitée toute la vie (à l’école congréganiste, dans des clubs très fermés etc) ne se fait pas dans les termes les plus favorables. Les arrière-grands-parents doivent se retourner d’indignation dans leur tombe. Dans la majorité des cas, nos ‘doctorantes’ épousent des citoyens étrangers bien au-dessous de leur calibre intellectuel. Nous vous faisons grâce des difficultés rencontrées par les enfants pris dans ce maelstrom linguistico-culturel. Outre de jeunes mères qui sont mal dans leur peau. Et ainsi de suite, notre élite se délite.
L’échec de l’éducation bourgeoise haïtienne ne peut être plus patent qu’en diaspora.
Honneur aux Torturiens …
Ce phénomène est d’autant plus haïtien que les diasporas sud-américaines semblent beaucoup mieux s’en sortir.
Aux Etats-Unis c’est bien l’espagnol qui s’est imposé à l’anglais. Et non le contraire.
Outre cette excellente tradition qui fait que les enfants portent aussi bien le nom de famille de la mère que du père.
La langue, la règle des deux patronymes, le ‘café con leche’, Gabriel Garcia Marques, l’élite survit dans les communautés sud-américaines.
Probablement aussi dans d’autres, comme les Asiatiques.
Qui pis est, aujourd’hui ce ne sont plus nos boat-people qui partent pour la Floride, ce sont les jeunes cadres du pays désespérés sur tous les plans, pour leur avenir comme pour celui de la patrie qui en est à une deuxième occupation militaire par Nations Unies interposées en moins de 20 ans.
Mais cette nouvelle catégorie d’immigration apporte-t-elle un changement ?
Bien au contraire. Les Torturiens ont posé les bases d’une communauté mais les nouveaux arrivants, censés mieux préparés, ne sont point en mesure d’en assurer le relèvement voire ce qu’on appelle la seconde génération, en qualité et fortune (et pouvoir) comme il se doit dans le mythe américain.
D’autres Marie Chauvet …
Pourquoi ? Une élite qui indéfiniment se délite.
Quelle solution ?
Le problème doit d’abord être posé. Et préférablement non en débats médiatiques absurdes, ni en statistiques stériles mais … de chair et de sang.
Il nous faudrait d’autres Marie Chauvet. De la littérature et de l’écran.
Marcus – Haïti en Marche, 12 Juillet 2013