Jacmel capitale mondiale des arts traditionnels
JACMEL, 20 Juillet – Curieusement la République dominicaine est absente. Pourquoi n’avons-nous pas plus de relations culturelles avec le pays qui nous est pourtant le plus proche ? Géographiquement, c’est la même île. Mais aussi économiquement. Nos voisins réalisent un chiffre d’affaires annuel de près de US$2 milliards en exportations vers notre pays. Autant dire que nous mangeons pratiquement les mêmes choses. Or dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Nous y reviendrons.
Mais l’heure samedi soir sur le port touristique de Jacmel n’était pas aux idées noires.
C’était la fête des arts traditionnels avec des troupes nationales des Etats-Unis, de la Pologne, du Mexique et de Cuba.
Et pour Haïti les fabuleux Ballets Bacoulou.
Tous se surpassant. Comme on devine le succès des danseuses cubaines on dirait descendues tout droit du Tropicana de La Havane, ou des mariachis mexicains dans des airs comme La Cucaracha, a été plus immédiat. Cependant la troupe polonaise a su conquérir le cœur du public dans une interprétation inédite de ‘Wangol o Wale, Kilè wa vini wèm ankò Wale.’

Près du quotidien et du petit peuple …
Ce sont des arts populaires, précisons-le, des spectacles se voulant plus près du quotidien et du petit peuple de la campagne, ou ce qu’il en reste quand celle-ci et la ville ne font plus qu’une ; ce qu’on appelle le folklore traditionnel et qui n’est pas le ballet classique.


Evident dans les prestations de la Pologne ainsi que dans celles des Mexicains. Sur des airs de flamenco digne de la Carmen de Bizet, sont glissés aussi des gestes les plus simples de la vie campagnarde. Ce qu’il peut se passer de choses sous le sombrero !
Pareil pour les Ballets Bacoulou. Sauf que la chorégraphe et ex-professionnelle de danse classique, Yvrose Green, qui en a pris la relève, a choisi de sortir la danse folklorique haïtienne, si l’on ose dire, de son folklorisme pour l’élever un peu plus au niveau de l’art véritable.

Sensualité et imagination …
Le résultat est absolument époustouflant. La danse ‘gede’ garde toute sa sensualité mais celle-ci sublimée pour s’adresser moins au bas ventre et plus à notre esprit et notre imagination.
En même temps qu’elle acquiert cette dimension plus universelle, la danse folklorique haïtienne (mais j’ai failli dire la danse haïtienne tout court) s’ouvre aussi aux non Haïtiens et Haïtiennes.
La troupe compte aussi aujourd’hui des danseuses étrangères.
C’est un choix d’une importance probablement sous-estimée jusqu’à présent car comment la samba brésilienne, la salsa cubaine, le tango argentin et le blues du Mississipi sont-ils devenus des modèles internationaux sinon par la même stratégie : sortir de sa gangue natale, native pour embrasser un monde plus vaste. Le reste c’est le talent. Directement du producteur à la planète entière. S’il faut choisir une mondialisation, eh bien vas pour celle-là.

Félicitations à la ville de Jacmel …
A plus forte raison quand le 1er Festival des arts traditionnels du monde en Haïti est placé sous l’égide des deux ministères les plus concernés en la matière : ceux de la Culture et du Tourisme. Bravos à Mesdames Josette Darguste et Stéphanie Balmir Villedrouin.
L’événement est possible aussi grâce aux bons offices du CIOFF - traduisez Conseil International des Organisations de Festivals de Folklore et d’Arts Traditionnels et dont la co-présidente en Haïti n’est autre que Yvrose Green Jean-Pierre.
Mais ces félicitations reviennent d’abord à Jacmel (capitale du Sud-Est) et à son public inégalable.
Comme pour le Festival de jazz, Jacmel est devenu le banc d’essai incontournable. Si Jacmel le dit c’est vrai. Sinon !
Le 1er Festival des arts traditionnels transportera ses tréteaux mercredi soir au Parc Historique de la Canne à Sucre à Tabarre, Port-au-Prince.

Le même café …
Oui, disions-nous tantôt, comment nos voisins dominicains dont la présence est partout dans le pays, plus que jamais auparavant, et particulièrement dans cette région du Sud-Est aujourd’hui un chantier à ciel ouvert et où les compagnies dominicaines détiennent la part du lion, pourquoi cette absence totale de nos voisins dominicains d’une telle fête de la culture populaire ?
Pourtant, comme les Cubains qui ne nous marchandent jamais leur participation, ne buvons-nous pas le même café, mangeons le même riz et les mêmes fèves ?
Oui, mais c’est dans le pays voisin que de temps à autre aussi on organise la chasse aux immigrants haïtiens sous toutes sortes de fallacieux prétextes, dont la pratique du Vodou.
Or celui-ci est la matrice de la culture populaire haïtienne, comme l’ont saisi nos invités polonais.
Le Dominicain le plus noir (de peau) a un passeport marqué ‘Indio’, que voulez-vous, on n’y peut rien.
Et les deux milliards de chiffres d’affaires réalisés dans les exportations avec notre pays, n’y pourront rien changer !
C’est bête, même d’aussi loin, la Pologne se fait plus proche. ‘So far and yet so close’. Occasion de rappeler que déjà lors de notre guerre d’indépendance en 1803, le bataillon polonais avait déserté les rangs de la force d’intervention napoléonienne pour passer avec armes et bagages aux côtés des futurs Haïtiens.

Marcus, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince