Quand le marché remplace l’idéologie !
PORT-AU-PRINCE, 24 Février – On ne peut ne pas ressentir une certaine gêne quand des élus se réfèrent aux pères de la patrie (Haïti est indépendante depuis 1804, la première nation noire qui ait acquis sa liberté par les armes et issue directement de l’esclavage) pour des considérations économiques très actuelles.
Idem dans les conversations en ville, principalement dans les milieux intellectuels. C’est touchez pas à mon patelin ! Touchez pas à nos trésors (minerais d’or, cuivre et même uranium - car il n‘est pas interdit de rêver) dont notre sous-sol soudain abonde.
Pourtant le président équatorien, Rafael Correa, économiste, âgé de 49 ans, vient d’être réélu massivement pour un troisième mandat de 4 ans.
Principal titre de gloire : il a sorti l’Equateur du marasme économique en utilisant à bon escient les ressources minières du pays – qui a aussi un peu de pétrole.
Son homologue bolivien, Evo Morales, tente de faire de même.
Le Cubain Raul Castro, idem.
Ne parlons pas du Chili dont l’exportation du minerai de cuivre est la principale source de revenus.
Le Chili a passé un contrat avec la Chine d’un montant de plus de 1,3 milliard de dollars l’an garantissant à cette dernière une livraison stable de cuivre chilien.
Haïti exportait aussi du minerai de cuivre (SEDREN - Gonaïves) ainsi que de la bauxite (minerai d’aluminium) à Paillant, dans les hauteurs de Miragoane (Nippes).
Mais la SEDREN ainsi que la Reynolds Mining ont fermé après épuisement des sites dans les années 1970.
Vint ensuite une longue période où l’on entendit que les ressources minières ne font pas de prix.
A quoi sert 1804 ? …
Mais depuis quelques années, rebondissement sur ce marché où règne une forte compétition. Les pays dits émergents (Chine, Inde …) n’en ont jamais suffisamment pour alimenter leurs factories monstrueuses desservant les grands marchés occidentaux.
Sauf en Haïti que rien n’a changé. Nous vivons hors du temps. Depuis toujours. Comme nous interpellait ce fonctionnaire de l’ex-Fonds d’aide et de coopération en France : oui Haïti, le pays où l’on trouve encore les pavés du roi ! En effet à quoi sert 1804 ? A de beaux discours.
La question vient de rebondir avec la décision d’un gouvernement canadien plus néo-libéral que nature de geler son aide à Haïti.
Renseignements pris : Ottawa a décidé de coupler son aide avec ses intérêts économiques et commerciaux.
Haïti a des mines d’or et de cuivre. A la bonne heure. Des sociétés nord-américaines s’y intéressent. C’est du donnant-donnant.
Alors notre sang ‘dessalinien’ (de Dessalines, le fondateur de la patrie) ne fait qu’un tour.
Cela exprimé dans une sorte de logomachie pseudo-marxiste mais qu’on peut résumer en un mot : touchez pas à mon pays !
Le soleil se lève à l’Est ! …
Bravo mais voilà, aujourd’hui ce discours n’émeut plus personne. L’idéologie ne fait plus recette. Le marché a remplacé l’idéologie ou si vous voulez c’est le marché la nouvelle idéologie.
L’Equateur ne sort pas son drapeau rouge (bien que son jeune président soit qualifié de socialiste) mais en économiste de formation le président Rafael Correa sait que la seule réponse valable c’est avoir d’abord une bonne alternative dans sa manche.
Le Chili a longtemps eu pour partenaire principal le Canada. Mais aujourd’hui le soleil se lève à l’Est !
La semaine dernière, une commission sénatoriale à Port-au-Prince a décidé d’interdire toute opération minière. Annulation de tout permis, même pour des recherches. Même pour des photographies aériennes. Surtout pas. On oublie l’avion drone. Parce que les permis et contrats concédés par le gouvernement l’ont été sans l’approbation du Parlement.
Où est votre alternative ? …
Très bien. On applaudit. Mais après ? Où est votre alternative ? Haïti a un per capita de moins de 1 dollar américain par jour et plus de 60% de sa main d’œuvre ignore ce qu’on appelle un emploi.
C’est aussi le pays avec l’espérance de vie la moins élevée du continent et où un plus grand nombre de bébés meurent avant l’âge de cinq mois. Etc.
Par conséquent où est votre alternative ? Eh bien, on a le temps d’y penser. Le pays où on est encore aux pavés du roi ! N’est-ce pas.
Touchez pas à mon patelin ! Okay, pas de problèmes. Mais quand on reviendra (car c’est forcé tôt ou tard) notre situation sera encore et toujours pire.
Au fond nos élus n’ont pas tort, nos richesses ont toujours été dilapidées : les Etats-Unis nous ont certes utilisé comme leur poubelle avec les scandales successifs du sisal et de l’arbre à caoutchouc puis pour nous laisser tomber comme une vielle chaussette dès qu’une alternative (mais toujours l’alternative des autres !) était trouvée.
Ou bien ce sont des fouilles entreprises sans autorisation (en effet) et les résultats jamais communiqués aux nationaux.
Le mystère reste entier …
Aussi que contient exactement le sous-sol haïtien ? Pétrole, uranium, lithium, harmonium ( !). Le mystère reste entier.
Jusqu’au président de la commission parlementaire qu’on entend demander – ‘en direct’ sur les ondes - au directeur du bureau des mines de lui faire parvenir les copies non seulement des contrats signés mais aussi des zones à prospecter.
Et pourquoi pas aussi de la législation sur laquelle la commission parlementaire est appelée à prendre ses décisions !
Donc c’est plutôt rigolo tout ça. Attention ce n’est pas la bonne foi qui pêche mais c’est ce qu’on appelle la foi du charbonnier.
Nos élus ne sont pas suffisamment up to date. Invoquer Bakounine ou même le Che n’a plus d’effet. Papa Doc ne pourrait plus faire son ‘discours de Jacmel’ pour la simple raison qu’il n’y a plus de bloc de l’Est pour faire peur au bloc capitaliste car tout le monde s’est jeté à corps perdu dans le capitalisme.
Réveillez vous messieurs les élus !
Et nous avons intérêt à trouver une alternative avant qu’il soit trop tard. Avant le grand marché commun intercontinental Etats-Unis – Europe et le reste à la queue leu leu. Dès lors nous serons obligés d’aller quémander qu’on vienne un peu voir notre or et notre cuivre. Au risque de se faire dire : ils sont trop verts et bons seulement pour des goujats !
Mélodie 103. 3 FM, Port-au-Prince