Jean Claude Duvalier ou une conception du peuple comme du bétail

 


PETITE RIVIERE DE NIPPES, 2 Mars – Jean Claude Duvalier avait quelques réponses fin prêtes dont le fameux : ‘qu’avez-vous fait de mon pays ?’
Et il précise : ‘pendant mon gouvernement tout n’était pas rose mais il y avait moins d’insécurité et moins de misère.’
Cette déclaration devait probablement constituer l’arme secrète pour le conseil de défense de l’ex-dictateur qui comparaissait le jeudi 28 février écoulé devant la cour d’appel de Port-au-Prince pour répondre d’accusations de crimes contre l’humanité (arrestations et détentions arbitraire, disparitions, exécutions extrajudiciaires, massacres, bref tout ce qui constitue la panoplie des crimes du duvaliérisme) ainsi que de détournement de fonds publics. Au moins 100 millions de dollars emportés dans ses bagages au moment de son renversement par un mouvement populaire le 7 février 1986.
‘Je serai en droit de dire à mon tour : qu’avez vous fait de mon pays ?’ s’écrie l’inculpé avec à proximité son égérie (et probablement souffleuse) Véronique Roy.
Donc c’était le prix à payer avec ces dizaines de milliers de morts, disparitions et tristes départs pour un exil sans retour enregistrés pendant les trente années du régime le plus sanguinaire de l’histoire récente du continent.

 

 

Mépris de la vie de ses compatriotes …
Jean Claude Duvalier dévoile ici son mépris de la vie de ses compatriotes. Il ne pouvait en être autrement puisque c’était là la force du régime. A la moindre alerte, exécuter toute une famille (les Sansaricq, les Benoit, les Bajeux) ou tout un village (Cazale).
Jean Claude Duvalier n’a jamais entendu parler de Fort Dimanche sinon que comme une prison pour délinquants et trafiquants de drogue.

Pourtant c’est lui personnellement qui a été forcé d’ordonner de relâcher la dizaine de militants politiques tirés de Fort Dimanche en haillons en échange de l’ambassadeur américain Clinton Knox kidnappé par un commando venu de l’extérieur.
Il n’a jamais entendu parler non plus des prisonniers dont l’ambassadeur Andrew Young a exigé la remise en liberté au nom de la politique des droits de l’homme du président Jimmy Carter et dont l’un d’entre eux Patrick Lemoine relate les années de souffrances dans les basses fosses de la Bastille haïtienne dans son livre Fort Dimanche-Fort la Mort.

 

28 novembre 1980 …

Monsieur Jean Claude Duvalier est au-dessus de tout ça.
C’est lui qui a consenti le pardon à tout ce monde, ose-t-il dire. Et quand un cas d’abus lui parvenait, il s’empressait d’y mettre fin !
C’est pourtant lui qui appelle le chef de sa police politique, le colonel Jean Valmé, le vendredi 28 novembre 1980, pour lui dire : ‘colonel, je ne veux plus entendre parler de la presse indépendante. Vous pouvez en faire ce que vous voulez !’
C’est le crackdown sur la presse, les syndicats ouvriers et partis politiques naissants dont tous les membres sont jetés en prison puis expulsés manu militari.
Mais il y a mieux : 4 années plus tard, le même Jean Claude Duvalier fait savoir que les mêmes exilés peuvent rentrer.
Ceci paradoxalement démontre encore plus la profondeur de son mépris pour les autres et sa conviction qu’il peut s’en servir comme du bétail.

 

‘Pitit tig, se tig’ …

C’est ce qu’on peut appeler un dictateur né ! Et il ne saurait en être autrement puisque c’est lui-même qui l’a dit un jour : ‘Pitit tig, se tig.’ Ou le tigre (entendez Papa Doc) ne saurait donner naissance à son contraire !
La presse indépendante a été tolérée tant que son gouvernement pouvait s’en féliciter pour faire avancer son agenda auprès des bailleurs de fonds. Mais les journalistes et autres militants des droits civiques n’avaient qu’à disparaître dès que la fameuse ‘révolution économique’ commençait à battre de l’aile.

 

Sylvio Claude, le plus hardi …

Parlons-en de la révolution économique ?
Monsieur Duvalier prétend pour sa défense que sous son règne (1971-1986) ‘tout n’était pas rose mais il y avait moins d’insécurité et moins de misère.’
Concernant la sécurité, on vient de voir dans quelles conditions. Au prix de dizaines de leaders syndicaux et d’ouvriers syndiqués que leurs patrons pouvaient faire enfermer ou liquider à la moindre occasion. De journalistes que les vautours de la police politique (SD) pouvaient liquider en pleine rue (Gasner Raymond, à Brache sur la route de Léogane), Ezéchiel Abellard jeté à Fort-Dimanche qui en mourra de tuberculose (hélas, quelques mois seulement avant la visite historique de l’ambassadeur Andrew Young).
De Sylvio Claude, l’opposant politique le plus hardi de cette époque, et qui de guerre lasse fut enfermé dans un hôpital psychiatrique pour tenter de le détruire plus totalement.

L’individualisme total …

Quant au procès que voudrait faire l’ex-dictateur à ses successeurs en leur retournant ainsi le fer : ‘qu’avez vous fait de mon pays ?’
Là encore que sait Jean Claude Duvalier du pays réel ? Oui, depuis le renversement de la dictature le pays s’est enfoncé dans la misère et l’insécurité. Oui, les turbulences politiques ont eu raison des meilleures intentions. Oui, les intérêts politiciens continuent aujourd’hui encore de primer. Oui, aussi bien en matière de sécurité que de conditions de vie c’est l’individualisme total.
Oui, mais pour quelques dizaines de milliers d’emplois au parc industriel de Port-au-Prince, on a vu quel prix le pays a dû payer.

‘Kanntè dpm’ …

Or ce n’est pas tout. Et Jean Claude Duvalier ne le sait probablement pas car ayant vécu en dehors de la réalité depuis qu’il est entré au palais national à l’âge de 5 ans mais c’est sous son règne qu’a eu lieu la plus grande émigration haïtienne depuis que son père fit partir tous les cadres intellectuels dans les années 1960.
Les années de Baby Doc ne sont-elles pas aussi celles du ‘kanntè dpm’ ou ‘direct pour Miami’ (merci Konpè Filo) ou départs massifs de boat-people pour la Floride.
Les Haïtiens étaient si heureux sous Jean Claude Duvalier qu’ils affrontaient par dizaines de milliers les dents des requins pour fuir leur pays !
Jean Claude Duvalier ignore probablement que c’est sous son règne et même en pleine ‘révolution économique’ que fuyant la sécheresse et la famine dans le ‘Far West’ (Nord Ouest, Jean Rabel, Plaine de l’arbre) des mères venaient vendre leurs bébés sur la Grand Rue à Port-au-Prince.
Et si l’on voyait moins de miséreux dans les rues de la capitale n’est-ce pas parce que les Tontons macoutes avaient aussi pour rôle de les contenir au bord de mer dans les bas fonds de Cité Soleil lors Cité-Simone. Et dont ils ne pouvaient sortir que le jour de l’an quand le dictateur faisait sa tournée en ville jetant des poignées de pièces de monnaie sous les applaudissements des masses.
Evidemment Jean Claude Duvalier, bien à l’abri dans sa tour d’ivoire, n’y voyait que du bleu.
Les années Baby Doc furent en effet un âge d’or, comme il l’a dit jeudi devant le tribunal. Oui, mais pour qui ?

 

Haïti en Marche, 2 Mars 2013