Derrière le mouvement d'humeur haïtien contre l'aide humanitaire de Santo Domingo
JACMEL, 21 Octobre – Le véritable motif derrière la grogne haïtienne vis à vis de l'aide humanitaire de la République dominicaine voisine pour les victimes de l'ouragan Matthew qui a détruit corps (près de 500 morts) et biens (4 départements géographiques du pays : Sud, Grande Anse, Nippes, Nord Ouest), la crainte c'est que comme ses prédécesseurs l'actuel gouvernement haïtien en profite pour absoudre nos voisins de tous les torts commis envers nous.
Depuis la pendaison publique d'un immigrant haïtien dans un parc de Santiago jusqu'à l'arrêt de la Cour constitutionnelle dominicaine enlevant la nationalité à tous les descendants d'Haïtiens remontant à 1929, quel geste peut être plus inamical !
Or il y a une histoire. Et une selon laquelle les dirigeants haïtiens ont toujours permis à leurs homologues dominicains de s'en tirer à bon compte. Et sans avoir à revenir sur leurs provocations.
Accent sur business ...
Après l'entrée en application de l'arrêt de la Cour constitutionnelle dominicaine (168-13), l'administration Martelly-Lamothe s'empressa de pousser au dehors la Caricom (communauté caraïbe) ainsi que la Commission inter-américaine des droits humains (CIDH) qui avaient prononcé une condamnation sans détour, pour faire business as usual avec Santo Domingo. Avec accent sur business.
En conséquence, les Dominicains ne sont pas revenus sur leur décision. Faisant même tant et si bien que c'est l'Etat haïtien qui est condamné (aux yeux de l'opinion publique) pour incapacité à fournir à ses ressortissants les documents nécessaires pour faire valoir leurs droits en terre étrangère.
Déjà après le voyage du nouveau chancelier dominicain en Haïti, Miguel Vargas Maldonado, le président provisoire Jocelerme Privert accepta la levée des restrictions contre l'importation par voie terrestre de 23 produits dominicains, qui forçait à leur entrée uniquement par les ports et aéroports. A charge par la partie dominicaine de respecter les normes douanières internationales.
Mesure d'interdiction, il est vrai, controversée. Applaudie par le secteur commercial de la capitale, Port-au-Prince, elle est considérée comme néfaste par les petits commerçants des villes frontalières avec la république voisine.
Les dirigeants dominicains n'ont pas tenu compte du passé ...
Pour l'actuel ambassadeur dominicain en Haïti, Ruben Silie, le peuple haïtien ne refuse pas l'aide du pays voisin et le gouvernement haïtien en a remercié le gouvernement et le peuple dominicains. C'est un secteur assez superficiel ('ridicule', selon l'ambassadeur) qui proteste.
Mais pour l'ancien chancelier dominicain Hugo Tolentino Dipp, les actuels dirigeants dominicains n'ont pas tenu compte du passé même récent dans l'accomplissement d'un geste bien sûr méritoire (l'aide humanitaire pour les victimes de l'ouragan), vu la façon extravagante avec laquelle ils ont procédé en faisant traverser le pays par une procession de conteneurs et surtout sous la protection de troupes militaires dominicaines en armes.
Devant une protestation soulevée au Sénat haïtien, donnant à Santo Domingo 24 heures pour retirer ses soldats, les dirigeants dominicains ont en effet retiré ces derniers.
Soulevant en passant la colère du président Privert, ce dernier menacé par certains sénateurs de jugement pour 'haute trahison'.
Le président explique que le même principe vaut aussi pour les troupes américaines, vénézuéliennes et colombiennes etc venues accompagner l'aide humanitaire de leur pays.
Il est vrai de façon moins spectaculaire. Même (cette fois) de la part des forces américaines.
Massacres par le dictateur Rafael Trujillo ...
Mais le fond de la question est ailleurs. Est-ce que le gouvernement haïtien n'est pas en train de suivre la même voie que ses prédécesseurs ? De toujours ...
Depuis le président Sténio Vincent qui accepta de négocier le prix du sang de plusieurs milliers de compatriotes haïtiens massacrés d'ordre du dictateur Rafael Trujillo en 1937 ...
Aux Duvalier qui s'enrichirent par la vente de la main d'œuvre haïtienne pour les champs de canne du pays voisin.
La seule fois qu'un chef de l'Etat haïtien osa élever la voix contre cette pratique ce fut Aristide au début de son premier mandat (1991). Il le paya cher. Renversé et exilé 7 mois plus tard.
Dénationalisation de dizaines de milliers de Dominicains ...
Michel Martelly (2011-2016) laissa carte blanche à son premier ministre Laurent Lamothe pour gérer le scandale soulevé par la dénationalisation de dizaines de milliers de Dominicains uniquement à cause de leur origine haïtienne.
C'est le plus grave affront fait par nos voisins depuis les massacres ordonnés par Trujillo en 1937.
Lamothe joua le jeu dominicain puisque son intervention contribua uniquement à débarrasser Santo Domingo de ses 2 plus dangereux critiques : la Caricom et la Commission interaméricaine des droits de l'homme, cette dernière la seule instance à essayer de défendre véritablement les droits des Haïtiens-Dominicains.
C'est toute cette histoire qui vient heurter comme par un effet de boomerang, à la porte de l'actuel pouvoir intérimaire haïtien.
Ce dernier a lui aussi besoin de manifester plus de compréhension et de profondeur dans son approche de ce dossier.
Haïti en Marche, 21 Octobre 2016