COMMENT TOUT CELA EST ARRIVE !
JACMEL, 1er Octobre – C'était il y a 30 ans, 7 février 1986, Duvalier s'enfuit. Le pouvoir est confié officiellement à l'Armée. Et l'Eglise.
Mais en réalité à personne.
Les généraux tentèrent d'empêcher le retour des exilés. Pas moins d'un million. Dont certains avaient laissé le pays bien avant les élections (bien entendu frauduleuses) qui avaient conduit (le 22 septembre 1957) le père de la dynastie, François « Papa Doc » Duvalier, au pouvoir.
En 1971, à la mort de Duvalier père, l'administration américaine avait elle-même bloqué le retour des exilés.
En 1986, elle ne fit rien.
En moins d'un mois, après 29 ans d'anomie politique totale, toutes les dénominations idéologiques possibles et imaginables obtinrent soudainement pignon sur rue à Port-au-Prince, la capitale haïtienne.
Aussi bien celles de droite que de gauche. Cependant après trente ans d'une dictature parmi les plus réac de la planète, et dans une population où 70% n'ont pas plus de 30 ans, la gauche ne manqua pas d'exercer une attraction fort compréhensible.


Si tant est que la répression ne tarda pas à se généraliser. Avec le support pas tellement déguisé de l'administration américaine (Reagan - Bush, puis Bush - Quayle), les généraux noyèrent dans le sang la première tentative d'élections démocratiques (novembre 1987), puis 7 mois seulement après la seconde (décembre 1990), le président élu (Jean Bertrand Aristide) était renversé dans un coup d'état classé parmi les plus sanglants de notre histoire.

Droite et gauche furent comme broyées ensemble dans un même mixer ...
Pendant trois ans (1991-1994), Aristide fut gardé en exil (un exil, si l'on peut dire, doré !) dans l'un des plus beaux quartiers de la capitale fédérale américaine, avant son retour en 1994. Accompagné de plusieurs milliers de Marines.
Dès lors, la face de Cléopâtre avait changé. En effet, pendant ces trois années sous le règne du coup d'état (mais où les généraux accomplissaient davantage un job, car jamais il ne leur fut permis de confisquer définitivement le pouvoir comme ailleurs, au Chili ou en Argentine), le pays fut soumis à une sorte d'opération vidange où droite et gauche furent comme broyées ensemble dans un même mixer, forcées de s'asseoir à la même table, une opération où les haïtiens ne virent que du bleu, et menée d'un bout à l'autre sous la conduite d'experts internationaux qualifiés.
Et quand Aristide débarqua trois ans plus tard, en octobre 1994, d'un avion de la US Air Force (ou presque), le petit peuple eut bien du mal à reconnaître le Titid qu'il avait élu en 1990.

Arrivée du néo-libéralisme ...
Depuis, les pouvoirs se sont succédés. Mais la ligne politique reste la même.
Aristide avait dû signer l'accord de Paris, par lequel Haïti abaisse ses barrières tarifaires au plus bas, livrant le pays aux importations internationales (riz américain etc) qui eurent vite raison de la faible production locale.
Son successeur et son ex-premier ministre René Préval fut celui qui compléta (sans doute lui aussi à son corps défendant) le processus néo-libéral par la privatisation des boites de l'Etat : cimenterie et minoterie et autres qui avaient permis à l'Etat haïtien depuis toujours de garder une certaine autonomie.

Une sorte de logomachie populiste ...
Pendant ce temps la gauche classique de plus en plus disparut dans le décor, cédant la place à ce qu'il est convenu d'appeler la petite gauche, celle-ci s'installant dans une position jusqu'au-boutiste, traitant tout le reste de 'bourgeoisie', mais position pas moins confortable pour elle aussi idéologiquement parlant, puisque n'ayant aucun effort à faire, ni théorique ni doctrinal. Comme si on était éternellement aux premiers jours de la Révolution d'octobre 17 !
Et nous arrivons à ce qui importe le plus aujourd'hui : et le pays réel dans tout ça ?
Après le nettoyage à sec, le rouleau compresseur des années de coup d'état (1991-1994), l'idéologie au niveau de la rue a disparu dans une sorte de logomachie populiste où comme on dit une chatte ne reconnaitrait pas ses petits.
Mais qui pis est, la misère de plus en plus prononcée (le pays important pour des milliards et ne produisant plus rien) finit par ramener tout l'appareil politique à ce même niveau : à ras de terre.
Les politiciens n'ont pour programme que du vent.
Le langage des candidats, et celui des élus parlementaires épouse le même nivellement par le bas.

En des mains très expertes ...
Pour finir, c'est la rue qui fait et défait les pouvoirs.
Bien sûr en apparence car les ficelles restent en des mains très expertes.
C'est par ces entrefaites qu'un comédien et musicien de foire nommé Michel Martelly finit par être hissé à la tête du pays.
On connaît la suite.
Aujourd'hui pauvre et nu, soumis politiquement au bon vouloir d'une populace manipulée parce que sans leadership véritable, si tant est que leadership signifie doctrine, un programme et des idées pour l'accomplir, un Etat incapable de gérer ni la sécurité intérieure, domestique, ni extérieure dont les nationaux sont devenus de nouveaux juifs errants dans un mouvement pendulaire d'entrée et sortie du territoire national, autant il en échappe pour prendre la route de la migration dite globale, autant tous les pays de la région les refoulent vers leur point de départ, notre tiers d'île plus que jamais au bord de l'éclatement.
Eclatement ? Bien sûr que non. Mais une solution dans laquelle nous n'aurons aucun rôle à jouer.
Notre dernière chance, nous la jouerons peut-être ce dimanche.
Peut-être, parce que des élections que nous aurons nous-même voulues. Que nous aurons à notre tour imposées !
9 Octobre, votez pour recommencer à prendre notre (votre) pays en main.
C'est une goutte d'eau devant ce qui reste à faire.
Men pita ka pi tris ankò.

Haïti en Marche, 1er Octobre 2016