JACMEL, 5 Janvier – L’International prend position en faveur des Dominicains-Haïtiens à la veille de l’ouverture officielle des conversations (mardi 7 janvier) entre Santo Domingo et Port-au-Prince autour de la menace de perte de leur nationalité par plus de deux cent mille Dominicains d’ascendance étrangère, en majorité haïtienne, brandie par une ordonnance de la Cour constitutionnelle dominicaine, la plus haute juridiction du pays voisin et une décision sans appel.
Or les médias gouvernementaux haïtiens accordent une large publicité à cet aspect, ignorant qu’il ne vaut pas seulement pour nos voisins dominicains mais également pour le gouvernement haïtien.
Savoir que si Haïti a accepté le dialogue avec les autorités dominicaines mais pas question d’oublier, voire de sacrifier le sujet principal qui est la nationalité des 210.000 Dominicains d’ascendance étrangère. Et quels que soient les intérêts impliqués des deux côtés, dominicain ou haïtien, cette question est incontournable. En un mot, elle n’est pas négociable. Point.


Le fait est que les autorités dominicaines semblent trop contentes de circonscrire le problème (‘leur’ problème) dans le cadre des relations entre les deux nations de l’île, attendu qu’elles bénéficient d’une solide préséance aussi bien au plan économique que dans les relations politiques sur leurs homologues haïtiennes, que cela ne peut ne pas éveiller les soupçons.
Oui, une solide tradition de pratiques corruptives et aujourd’hui des liens économiques extrêmement étroits entre les élites économico-politiques des deux côtés de l’île (US$1 milliard 134 millions d’exportations vers Haïti en 2012) font que les pouvoirs et décideurs haïtiens ne méritent pas eux non plus le bon Dieu sans confession.
Ceci étant dit, le principal pays médiateur, le Venezuela, est clair là-dessus. En un mot, le président Nicolas Maduro a déclaré : les Haïtiens sont nos frères ainés et quiconque se met en face d’Haïti se met également en face du peuple vénézuélien (déclaration confiée à un journal en ligne du Parti socialiste uni du Venezuela / PSUV et reprise largement par les agences de presse haïtiennes).
Ensuite, c’est l’un des plus proches conseillers du Département d’Etat américain, l’ex-Assistant Secrétaire d’Etat pour l’Amérique Latine, Roger Noriega, qui cloue au pilori les ‘racistes’ de Santo Domingo.


Dans un article publié dans le Miami Herald (26 décembre 2013), Noriega écrit : ‘La communauté internationale a condamné avec raison une décision de la Cour suprême de la République dominicaine qui révoque la nationalité d’environ 350.000 Dominicains d’ascendance haïtienne. Malheureusement cette décision est la dernière de toute une série d’actes cyniques et partisans qui menacent l’Etat de droit dans ce pays ainsi que sa croissance économique.
‘Les Dominicains de bonne volonté doivent agir pour restaurer la probité et l’indépendance de leurs institutions et assurer un meilleur avenir pour tous les citoyens du pays.’
Roger Noriega va plus loin et pointe un doigt accusateur sur l’ex-président Leonel Fernandez, président aux trois mandats et qui aspire encore à revenir au pouvoir.
Leonel Fernandez fait partie, avec le chef de l’ultra-droite Vinicio Castillo et aussi le cardinal archevêque de Santo Domingo, Mgr Nicolas de Jesus Lopez Rodriguez, des officiels qui résistent le plus à toute tentative de la part de l’administration du président Danilo Medina de renoncer à l’application de la décision de la Cour constitutionnelle.
Selon Roger Noriega, l’ex-président Leonel Fernandez, le vrai patron du parti au pouvoir, le PLD (Parti de la libération dominicaine), est celui qui a nommé ‘ses partisans à la cour suprême et au tribunal électoral (Junte électorale) et ces importantes institutions servent aujourd’hui les intérêts politiques’ de l’ex-président.
Sans hésiter l’ex-Assistant Secrétaire d’Etat américain (Roger Noriega) place la sentence de la Cour constitutionnelle dominicaine dans le cadre de manœuvres accomplies par le clan Fernandez pour ‘disqualifier les électeurs qui tendent à voter massivement en faveur du parti adverse, le Parti de la Révolution Dominicaine (PRD)’ - dont ceux d’ascendance haïtienne.
Toujours selon Noriega, Fernandez, qui (rappelons-le) s’est toujours prétendu le plus grand ami du peuple haïtien, l’ami ‘intime’ aussi bien du président René Préval que de Michel Martelly, aurait utilisé son contrôle absolu de la Cour constitutionnelle dominicaine pour détourner les résultats des élections et enlever au parti d’opposition une représentation parlementaire proportionnelle au pourcentage de votes obtenu. Alors que le PRD a gagné 42% des voix au niveau national en 2010, il eut droit à seulement un siège sur 32.
Le rêve de Leonel Fernandez, selon Roger Noriega, c’est de bâtir un système à ‘parti unique’. Un seul parti politique (le PLD).
Ainsi le titre de l’article c’est : ‘La démocratie en danger pour tous les Dominicains.’
Paru dans le Miami Herald, édition du 26 Décembre 2013.
Et si l’ex-Assistant Secrétaire d’Etat pour l’Amérique latine le dit, ce n’est pas loin d’être aussi le point de vue du Département d’Etat et de l’administration américaine.
Inutile de rappeler que c’est également la position, et plus ferme encore, de la Caricom (communauté Caraïbe), qui vient à nouveau de rappeler, dans une lettre au président Medina, qu’il doit révoquer la décision des grands juges.
Tout comme sont sans appel les conclusions de la commission d’enquête de la Cour interaméricaine des droits humains (OEA), dépêchée aussitôt dans le pays voisin.
La CIDH insiste pour que soient prises des mesures ‘simples, claires, justes et rapides pour garantir le droit à la nationalité de ces personnes qui ont déjà ce droit.’ (Miami Herald, 26 Décembre 2013)
Ainsi à l’heure où s’ouvrent des conversations (7 janvier, à Ouanaminthe) entre les deux capitales de l’île que nous appelons Kiskeya et nos voisins Hispaniola, l’International (entendez les pays du continent) affiche une position sans équivoque.
C’est un avertissement à nos voisins dominicains, qu’à force de tirer sur la corde, celle-ci menace de se casser …
Mais aussi pour la partie haïtienne, savoir qu’elle ne doit pas confondre même ses intérêts légitimes - qui ne manquent pas, on en convient - avec la question primordiale de l’apparition d’un pouvoir proprement raciste sur le continent, ce qui est totalement inacceptable.
La droite anti-haïtienne et ultra-droite dominicaine (en même temps identifiée avec le clan des Leonel Fernandez et sénateur Felix Bautista, celui-là même qui a arraché les juteux contrats de la Reconstruction en Haïti après le séisme du 12 janvier 2010) est désormais le dos au mur.
Malgré tout, elle détient des leviers parmi les plus importants du pouvoir de Santo Domingo.
La composition même de la commission dominicaine qui rencontrera le 7 janvier à Ouanaminthe (ville frontière, Nord-Est) celle désignée par les autorités haïtiennes, sera une importante indication à cet égard.
Tout comme la composition de la commission haïtienne constitue elle aussi une sorte d’avant-goût.
Présidée par le Premier ministre Laurent Lamothe lui-même, la commission de 5 membres ne comprend qu’un seul représentant de la société civile.

 

Haïti en Marche, 5 Janvier 2014