PORT-AU-PRINCE, 10 Janvier – Le 1er janvier, le président Michel Martelly préside les cérémonies du 210e anniversaire de l’Indépendance en compagnie de l’ex-président à vie et chef d’un régime sanguinaire, Jean Claude Duvalier surnommé Baby Doc, et de l’ex-général-président Prosper Avril dont le règne, même éphémère, s’est caractérisé par des violations brutales et répétées des droits humains.
Il s’ensuit beaucoup de protestations de la part d’organisations de la société civile.
Puis le 2 janvier, jour des Aïeux, voici le président Martelly flanqué des présidents des deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire), où brillent par leur présence les président et vice-président de l’Assemblée nationale, le sénateur Dieuseul Simon Desras et le député Jean Tolbert Alexis.
Or ces deux derniers avaient refusé d’accompagner le chef de l’Etat seulement le 18 novembre dernier lors de la commémoration de la Bataille de Vertières, la victoire décisive remportée contre la France esclavagiste, le 18 novembre 1803, au Cap-Haïtien, anciennement Cap Français.
Que s’est-il passé entre ces deux dates ? Mais que s’est-il passé surtout entre le 1er et le 2 janvier écoulés ?

Provocation ou Réconciliation ? …
Entre le show provocation avec les chefs des deux régimes les plus brutaux de notre histoire récente …
Et dès le lendemain le spectacle de la réconciliation s’il en est entre le président Martelly et les deux numéros 1 d’un parlement qui avaient juré de mettre le chef de l’Etat en accusation à cette même date ?
Est-ce que ces deux exhibitions du 1er et du 2 janvier sont aussi contradictoires qu’elles paraissent ?
La réconciliation n’est pas une qualité première aux Haïtiens. Faut donc qu’un troisième larron soit passé par là. En latin, un deus ex machina. Un autre intervenant, mais qui reste intelligemment en marge.


Par exemple (au risque de paraître hors sujet), quand les autorités des Turks and Caicos demandent à Haïti de faire plus d’efforts pour décourager les migrants haïtiens de risquer leur vie en mer, c’est l’Ambassade des Etats-Unis qui met une annonce sur les ondes.

Le branle-bas électoral …
Les Etats-Unis qui annoncent au cours de cette même semaine de janvier 2014 qu’ils disposent de US$10 millions pour les élections (législatives et municipales) et offrent de prendre en charge une bonne part de la logistique.
C’est donc cette nouvelle perspective qui a aussitôt changé totalement la donne.
Attention, le train va démarrer, les passagers sont priés de monter à bord. Les autres c’est à leurs risques et périls.
Les présidents des deux chambres ont été priés de donner l’exemple. La réconciliation est en marche.
Mais aussi le ‘back door diplomacy’ (traduisez la diplomatie du porte à porte), car les nôtres sont orgueilleux et n’acceptent pas de recevoir des ordres, ni d’être traités comme des moutons de Panurge, n’est-ce pas !
Aussitôt ce ne sont que roucoulements et larges sourires. Coucou ! Le petit oiseau va sortir de la boite.
Pas encore. Les partisans hier encore du ‘rache manyòk’ (démission à tout prix du pouvoir) promettent de reprendre le béton.
Mais on sent quelque hésitation dans l’air. Normal après ce qu’on vient de dire. Oui, l’heure des élections semble enfin avoir sonné. Envers et contre tous, car tous ont encore la chance de pouvoir se retrouver du bon côté. C’est donc le moment de refaire les rangs plutôt que de se disperser. Comme, par exemple, Evans Paul (K-Plume), le leader du KID, le seul de l’opposition qui ait répondu à l’invitation du président aux Gonaïves, et que certains se plaisent à critiquer. Or K-Plume est un champion toutes catégories de ce genre d’acrobaties de dernière heure. Il sait ce qu’il fait, se disent les vétérans comme lui. Et puis les élections n’ont pas encore vraiment commencé, alors réservons nos ‘coups de langue’ (critiques sournoises) pour la campagne électorale.

Entre Duvalier et Lavalas (?) …
Mais revenons du côté du président Martelly, le 1er janvier, aux Gonaïves. Il confie avoir invité tous les anciens chefs d’Etat vivants. Mais les seuls présents sont Baby Doc et l’ex-général Avril. Est-ce vraiment simple hasard ?
Doit-on prendre Michel Martelly au mot, savoir que son seul objectif est la réconciliation ou au contraire que ce sont là ses principaux alliés qu’il a voulu nous présenter, une nouvelle fois ?
En effet comment peut-on aller aux élections sans une organisation. Or Mr Martelly a semblé snober jusqu’ici toutes celles se réclamant de lui (Repons Peyizan, Tèt Kale etc) …
Et si la surprise c’était la découverte soudaine que Michel Martelly c’est le duvaliérisme ni plus ni moins ?
Et dire qu’on aura été suffisamment prévenus !
Ce qui nous ramènerait (ce qui nous ramène) au même point qu’au moment du retour de l’ex-ministre de l’intérieur du même régime, en 1990, à la veille des présidentielles. Le Dr Roger Lafontant surnommé Dr Mengele. Or faut-il rappeler que c’est le branle-bas devant la crainte du retour au régime sanguinaire qui avait servi de catalyseur à l’élection d’un jeune curé de quartier populaire, Jean-Bertrand Aristide.
Le choix était clair. Entre le duvaliérisme et Lavalas.
Comme jadis les Gaullistes qui ont répété pendant de nombreuses années aux électeurs : entre les communistes et nous, il n’y a rien. Donc votez Général de Gaulle. Obligatoirement.
Et si le même choix de 1990 se présentait à nouveau aujourd’hui.
Et si en dernier lieu, malgré la pléthore de partis et d’organisations d’opposition mais aux troupes éparses, et si l’électeur devait dans les mois qui viennent se retrouver finalement devant le même choix : entre le régime qui a ensanglanté le pays pendant trois décennies et Lavalas, que reste-t-il ?
Alors, à vous de savoir.
Et de savoir s’il y a encore le temps de changer la donne.
Mais il ne suffit pas de beaux discours.
Qui l’eût cru qu’on y serait revenu. 24 ans après !

Haïti en Marche, 10 Janvier 2014