Et Tempête au Parlement !
MEYER, 27 Février – Le Parlement qui devra ratifier la nomination du Premier ministre de consensus investi vendredi (26 février 2016) au palais national par le Président provisoire Jocelerme Privert est de toute évidence divisé en deux camps principaux : l'un aux côtés de l'élu des Nippes et ex-président du Sénat, Jocelerme Privert, en faveur de la ratification du Premier ministre choisi, l'économiste et ex-Gouverneur de la banque centrale d'Haïti (BRH), Mr Fritz Alphonse Jean ; et l'autre camp qui n'est pas tellement contre le processus engagé par le chef de l'Etat provisoire, qu'il faut contraindre ce dernier à respecter littéralement l'accord sous l'égide duquel il a été porté à la première magistrature de l'Etat, dit Accord du 5 Février 2016.
Ce second camp s'est déjà prononcé contre le choix de Mr. Fritz Jean, l'estimant trop de la même origine politique que Mr Privert, ce dernier a été ministre de l'Intérieur sous le gouvernement Aristide 2 (2001-2004).
Voici donc Lavalas qui ressurgit comme adversaire potentiel du régime sortant du président Michel Martelly, ce dernier arrivé en fin de mandat le 7 Février dernier, mais conservant une grande influence dans la sphère politico-gouvernementale où tout avait été mis en place pour garantir la victoire électorale du successeur désigné, Jovenel Moïse placé en tête pour le second tour de la présidentielle qui devait avoir lieu en décembre dernier mais a été renvoyé sine die devant les troubles à l'ordre public mettant quotidiennement plusieurs milliers de manifestants dans les rues.
L'avenir politique au-delà du 24 Avril ...
Après deux semaines de calme (bien mérité !) avec la nomination de Jocelerme Privert, homme de bon commerce, à la tête de l'Etat, la bataille va donc reprendre au Parlement autour du processus de ratification du nouveau chef du gouvernement, un économiste formé aux Etats-Unis, Fritz Alphonse Jean.
On attend peu de celui-ci même pour sa propre défense, étant donné que c'est un outsider qui n'a pas été directement impliqué dans la bataille politique ces derniers mois ; la ligne de démarcation ne concerne pas tant l'individualité, ni du président provisoire, ni du premier ministre de consensus choisi - que l'avenir politique au-delà du 24 Avril prochain.
En effet, l'Accord du 5 Février sous lequel la République est actuellement gouvernée, stipule la conclusion du processus électoral le 24 Avril 2016.
Autrement dit, le second tour de la présidentielle qui n'a pas eu lieu le 27 Décembre écoulé.
Or les pro-Martelly s'estiment prêts pour remporter la présidence si l'Accord est respecté à la lettre.
Ils sont persuadés de la victoire de leur poulain Jovenel Moïse, contre celui dit de l'opposition, Jude Célestin.
G-8 sans une véritable alternative ...
Et techniquement ils ont peut-être raison. Jovenel Moïse n'a jamais arrêté de faire campagne, inlassablement, audacieusement, tandis que Jude Célestin a disparu du radar, englué dans les contradictions dans son propre camp, le Groupe des 8 candidats (ou G-8) qui a pris la tête du camp opposition à la faveur des renvois successifs du second tour, combat qui sera finalement remporté, soit, mais le G-8 va se retrouver (et jusqu'à l'heure qu'il est) sans une véritable alternative à offrir que de continuer à dénoncer tout ce qu'il ne peut pas contrôler.
Et beaucoup moins aujourd'hui Martelly que le Président Privert. Ce dernier se retrouve entre deux feux. D'un côté le G-8. De l'autre il est la cible principale du premier ministre sortant Evans Paul et de son ministre de l'économie Wilson Laleau.
Normal parce que aujourd'hui les milliers de manifestants qui arpentaient quotidiennement les rues ont traversé avec armes et bagages du côté du nouvel occupant du palais national.
Avoir perdu une bataille mais pas la guerre ...
La ligne de front, qui va apparaître cette semaine au Parlement, se situe donc aujourd'hui entre d'un côté les forces pouvant mobiliser la rue (les Lavalas, Pitit Dessalines et la myriade des organisations dites populaires, mais aussi avec en arrière les nouveaux nés comme la plateforme Jistis du jeune avocat André Michel et autres mobilisateurs des masses de la capitale) et de l'autre côté les pro-Martelly qui considèrent avoir perdu une bataille mais pas la guerre.
Le chef de la minorité au Sénat, l'élu de l'Artibonite, Youri Latortue, a été clair : il faut une majorité solide pour la ratification du premier ministre de consensus et son gouvernement actuellement en formation.
Or cette majorité n'existant pas, d'après Youri Latortue, il faudra donc négocier. Le gouvernement Privert-Fritz Jean devra marcher à Canossa. C'est-à-dire donner des gages solides. Et en premier lieu, la garantie du second tour de la présidentielle tel qu'il figure dans l'Accord du 5 Février 2016.
Sur la table des négociations va se retrouver bien entendu aussi la demande de l'opposition pour la création d'une 'commission indépendante d'évaluation' des urnes du 9 Août (législatives) et du 25 octobre 2015 (présidentielles).
Une telle évaluation menace de déboucher sur la mise à l'écart du candidat Jovenel Moïse, censé avoir le plus bénéficié des irrégularités et fraudes qui ont entaché tous ces scrutins, vu le contrôle plus qu'évident qui a été exercé sur l'organisme électoral par le pouvoir Martelly.
D'autres doutent aussi que l'on puisse coiffer un conseil électoral auquel la Constitution en vigueur accorde en cas de contestation tous les recours, d'une commission d'évaluation tout à fait de circonstance.
Tous ces arguments vont faire écho cette semaine au Parlement.
Menace d'éclatement du pouvoir exécutif ...
Mais les pro-Martelly ne s'arrêtent pas là. Alors qu'allait se tenir vendredi la cérémonie d'installation du nouveau Premier ministre Fritz Jean, sortait un communiqué de la Primature, sous la signature du chef du gouvernement sortant mais jusque-là expédiant les affaires courantes, Mr. Evans Paul, annonçant que lui et ses ministres n'assisteront pas à la cérémonie du palais national.
Ce qui fut dit fut fait. Aucun ministre n'a été aperçu au palais lors de la cérémonie.
Mr Evans Paul aurait également sollicité du corps diplomatique qu'il s'abstienne.
Il n'a bien sûr pas été entendu à ce niveau ! Chat échaudé craint l'eau froide, la communauté internationale se garde aujourd'hui de pareille improvisation.
Cependant la note du Premier ministre Evans Paul a été publiée avec en-tête de la République. Sécession ? Allons-nous vers un système (officiellement) à deux gouvernements. L'un avec le Président provisoire, Jocelerme Privert et l'autre maintenant sa fidélité à l'ex-président Martelly ... jusqu'au remplacement éventuel de ce dernier par son successeur désigné, Jovenel Moïse ?
Bref menace d'éclatement du pouvoir exécutif. Eclatement de ce qui pouvait constituer encore un semblant d'institution : la présidence et le gouvernement, toutes les autres : justice, ordre public, sécurité etc, ayant fait fond depuis longtemps.
Rendez-vous au Parlement ...
En tout cas, la manœuvre est désormais claire. Ne dit-on pas aussi que avant de partir le régime Martelly s'est arrangé pour redistribuer, reclasser ses agents dans des postes diplomatiques et aussi dans les organismes dits autonomes !
Et des fonds publics mis également de côté pour assurer les arrières !
D'où les premiers ordres du Président provisoire réclamant la mise en veilleuse de toutes les nouvelles installations (entre autres dans la diplomatie) et nouvelles affectations de fonds de l'Etat.
A-t-il été entendu ? On a vu au contraire le Premier ministre Evans Paul et le ministre de l'Economie Wilson Laleau monter au créneau pour démentir l'affirmation par le président Privert que l'Etat est ruiné.
Donc un match au finish, voici le programme pour cette semaine.
Rendez-vous au Parlement.
Pour un pays pas seulement ruiné, mais qui vole en éclats !
Haïti en Marche, 27 Février 2016