MEYER, 5 Mars – Il reste un mois et demi avant le 24 Avril, date fixée pour la conclusion du processus électoral dans l'Accord signé par Michel Joseph Martelly avant de partir du palais national le 7 Février dernier.
Le deuxième tour de la présidentielle devrait, en vertu de cet Accord, avoir lieu le 24 Avril, pour permettre l'investiture du nouveau président élu le 14 Mai 2016.
C'est le seul point qui lie le processus actuel à l'ex-chef de l'Etat. Passé ce délai, Martelly tombe dans le vide ; ses adversaires diraient : dans les poubelles de l'histoire.
Or le calendrier devant conduire au 24 Avril n'est toujours pas entamé.
L'Accord stipule : la désignation (par élection devant l'Assemblée nationale) d'un Président provisoire de la république ; la nomination d'un Premier ministre de consensus ; la refonte du conseil électoral provisoire (CEP).
De plus, l'application des recommandations de la commission d'évaluation qui avait été mise en place par le pouvoir Martelly.
Or seulement l'élection du Président provisoire qui est une réalité, en la personne de l'ex-président du Sénat, Jocelerme Privert.
Mais pour le reste tout est bloqué.
Or ironiquement ce sont les pro-Martelly du Parlement qui constituent la principale force de blocage du processus.
En effet, c'est la minorité sénatoriale, dirigée par le sénateur de l'Artibonite Youri Latortue, qui a invalidé la semaine dernière le quorum pour l'élection d'un nouveau président du Sénat, en remplacement de Mr Privert.
Le temps passe, le temps presse ...
Tandis qu'à la chambre des Députés, dominée par les pro-Martelly, on s'est moqué des pièces déposées par le Premier ministre nommé, Fritz-Alphonse Jean, sous prétexte que ce sont des copies qui ont été reçues et non des originaux.
Comme si dans cette guerre sans merci, où tous les coups sont permis, quelqu'un commettrait l'imprudence de remettre ses documents originaux que ceux-ci disparaitraient aussitôt sans laisser de traces.
Tout est bon pour bloquer l'installation d'un nouveau Premier ministre et de son gouvernement.
Au Sénat, en même temps qu'on sabote la séance de ratification du Premier ministre sous prétexte qu'il faut d'abord un nouveau président du Sénat, on fait l'école buissonnière pour ne pas qu'il y ait élection de ce dernier.
Or bizarrement, en même temps le temps passe, le temps presse. Tandis que le délai du 24 Avril continue d'approcher inexorablement, sans que rien n'ait été entrepris pour la tenue du second tour de la présidentielle, la dernière chance et la seule des pro-Martelly pour tenter d'imposer leur poulain, Jovenel Moïse, qui avait été classé en tête dans les résultats du premier tour par le conseil électoral provisoire (CEP) aujourd'hui caduc présidé par Pierre-Louis Opont. De non regrettée mémoire, pour utiliser un dicton local.
La signature Martelly n'a plus de valeur officielle ...
Logiquement, et sauf s'ils ont une autre carte mystérieuse, le temps joue contre le clan Tèt Kale (Parti Haïtien Tèt Kale de Martelly).
Pour la bonne raison qu'à partir du 24 Avril 2016, la signature Martelly n'a plus de valeur officielle.
L'entente qu'il a signée avec les présidents des deux chambres ou Accord du 5 Février 2016, et avec les bons offices de la communauté internationale (OEA-Organisation des Etats américains), sera elle aussi caduque.
Or le plus ironique est que ce n'est pas le Président provisoire qui bloque la machine.
Les Tèt Kale lui reprochent d'avoir nommé un Premier ministre sans l'accord des autres secteurs politiques, donc qui n'est pas réellement le produit d'un consensus. Or en dehors des Martellystes, les forces politiques majeures (Fanmi Lavalas, Pitit Dessalines etc) – à l'exception d'un autre secteur de l'opposition mais pas pour les mêmes raisons puisque opposé lui aussi au régime Martelly, ne font pas obstruction au choix de Mr Fritz-Alphonse Jean, qui est plutôt un technicien en finances publiques peu engagé dans l'action politique directe.
La carte Evans Paul ? ...
Mais, attendez, est-ce que l'intention des Tèt Kale ce serait de bloquer la nomination d'un nouveau Premier ministre, et d'un nouveau gouvernement : cela afin de forcer à maintenir en place le gouvernement sortant dirigé par le Premier ministre Evans Paul.
Comme une sorte de stratégie de la dernière chance ...
En effet, on a vu brusquement ce dernier sortir la semaine dernière de son silence, observé depuis la nomination de son successeur, pour demander à 'son' gouvernement de continuer à 'expédier les affaires courantes', comme l'impose la Constitution en vigueur.
Changement de stratégie. C'est le même Premier ministre Evans Paul qui avait ordonné, par communiqué avec en tête de la 'Primature', de ne pas assister à l'investiture de son successeur au palais national le vendredi 26 Février.
Donc d'un côté on bloque la ratification du Premier ministre nommé et de son gouvernement, de l'autre on fait semblant de lâcher du lest pour continuer à garder en main le terrain de l'action gouvernementale.
Quoique la Constitution limite les décisions qui peuvent être prises par un tel gouvernement en instance de départ.
Et on attend tranquillement que le mandat du Président provisoire échoue le 14 Mai prochain, comme fixé dans l'Accord du 5 Février.
Perspective de formation d'une commission indépendante ...
Quoiqu'il en soit cela ne fait pas forcément avancer la perspective du 24 Avril. Pour la bonne raison que la politique n'a pas en main tous les rouages.
Car il ne dépend pas uniquement ni de la Présidence provisoire, ni des parlementaires Tèt Kale que le conseil électoral provisoire revu et corrigé puisse voir le jour.
Or de ce côté, si des secteurs plus conventionnels (patronat, conférence épiscopale, cultes réformés) ont désigné immédiatement leur représentant, tel n'est pas le cas pour les autres : secteur femmes, syndicats, droits humains, et même la presse, etc, où l'on discute encore ferme avant un choix définitif.
Et pour ne rien arranger dans ce sens, mais pour tenter de satisfaire une des plus importantes revendications de l'opposition, y compris celle qui lui apporte son appui, voici le Président provisoire qui ouvre la perspective de formation d'une commission indépendante d'évaluation des scrutins du 9 Août (législatives) et du 25 Octobre 2015 (présidentielles).
C'est un coup fatal pour la bande à Martelly. C'est le cas de dire : tel est pris qui croyait prendre. En effet, beaucoup des parlementaires de l'ex-parti présidentiel sont qualifiés de mal-élus, c'est-à-dire d'avoir bénéficié des nombreuses irrégularités et fraudes qui ont entaché ces deux scrutins.
A luta continua ...
Conclusion : seule perspective pour le moment, c'est donc une bataille rangée qui va se poursuivre les prochains jours. A luta continua.
Avec un seul souhait, c'est que, après avoir cessé d'expédier les affaires courantes pour des raisons personnelles, le premier ministre sortant Evans Paul et 'son' gouvernement finiront peut-être par se rappeler qu'il y a aussi un pays avec 1,5 million en situation de famine, une économie moribonde, un pays ravagé par les inondations et à la capitale des montagnes d'immondices qui défient le mont Himalaya.
Parce que ministres, secrétaires d'Etat et consorts continuent, bien entendu, pendant ce temps-là à percevoir leurs émoluments.
Ils sont peut-être les seuls d'ailleurs dans tout le pays !
Haïti en Marche, 5 Mars 2016