PORT-AU-PRINCE, 17 Décembre – Obama dit aux Américains de ne pas continuer dans la voie de la division comme c'est le cas depuis la dernière campagne électorale qui a mené à la nomination plutôt inattendue du milliardaire Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. 'A moins que nous changions, a dit le président sortant Barak Obama, nous allons continuer à être vulnérables aux influences étrangères parce que nous aurons perdu le sens de ce qui est important pour nous et que nous représentons comme nation.'
Le président des Etats-Unis a prononcé ces mots lors d'une conférence de presse, vendredi (16 décembre), après que les services de renseignements américains (CIA) eurent confirmé que la Russie s'est mêlée directement au dernier processus électoral américain en piratant les messages électroniques et cela, du moins on présume, au bénéfice du candidat Républicain aujourd'hui président élu Donald Trump.
Sans dire quelle forme prendront les représailles, Obama a promis que l'administration américaine fera les Russes payer pour ce qu'ils ont fait.
Mais on sait que le président Donald Trump a ridiculisé les informations rapportées par la CIA, créant un sujet de polémique (ainsi que de confusion) supplémentaire depuis son élection.
D'où la mise en garde d'Obama : la division est un blanc seing aux étrangers pour se mêler de nos affaires !
Et surtout, aurait-il pu ajouter, pour continuer à nous diviser à notre insu et contre nos intérêts.


Moscou a démenti et demandé aux autorités américaines d'apporter la preuve de leurs accusations.

'Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures ...' ...
Or ce contre lequel le président Obama met en garde ses concitoyens c'est exactement ce qu'un éminent président des Etats-Unis avait recommandé au contraire de pratiquer à l'endroit d'Haïti.
Qui ne connaît cette déclaration prêtée en tout cas à Franklin Delanoe Roosevelt, qui tout en étant le président américain qui a signé le traité mettant fin à l'occupation américaine, lors d'une visite officielle en Haïti en 1934 :
« Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s'entre-déchirer les uns les autres, c'est la seule façon pour nous d'avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs d'Amérique. »
Evidemment il faut replacer ces phrases dans leur contexte, c'est-à-dire quand la discrimination raciale faisait encore rage aux Etats-Unis, et qu'un autre officiel américain, le secrétaire d'Etat William Jennings Bryan, faisait rire son assistance en lançant à propos de l'élite haïtienne : « Bon Dieu, essayez de vous imaginer cela : des Nègres qui parlent français ! »
Or, et vous nous voyez venir probablement : voici que la recommandation de Franklin D. Roosevelt a fait l'histoire et que c'est exactement ce que nous vivons et pratiquons. Et que l'ex-président des Etats-Unis n'a fait que mettre le doigt sur une plaie depuis toujours existante et la cause première de nos malheurs en tant que nation.

Opposants mettant leurs forces en commun ...
Aujourd'hui encore, en décembre 2016, alors qu'on devrait être en train d'essayer de corriger le tir à la faveur de ces élections correctives du 20 novembre écoulé, qu'est-ce qu'on entend :
D'un côté, des milliers de manifestants qui arpentent quotidiennement les rues, accusant les classes dominantes de commettre un 'coup d'état électoral'.
Le candidat placé en tête des résultats préliminaires, Jovenel Moïse, est un investisseur dans l'agro-industrie et exportateur de bananes, également candidat de l'ex-président Michel Martelly, lui-même un chouchou de la droite conservatrice.
Jovenel Moïse a une avance dans les résultats préliminaires (55.6%) qui le met à l'abri, selon ses propres associés, de toute tentative de contestation valable de la part de ses poursuivants même quand ces derniers additionneraient leurs scores les uns aux autres.
D'où l'accusation de 'coup d'état' électoral lancé en chœur par les opposants, en même temps que ceux-ci décidaient de mettre leurs forces en commun, ce qui est une grande première. Nous parlons de Jude Célestin (LAPEH), placé en seconde position avec 19% des suffrages exprimés, l'ex-sénateur Moïse Jean Charles (Pitit Dessalines) et Maryse Narcisse, de Fanmi Lavalas, le parti de l'ex-président Jean Bertrand Aristide.

Envoyez la troupe ! ...
En face, c'est si l'on peut dire la même raideur doctrinale. Quand le président provisoire rencontre le secteur patronal, les thèmes restent les mêmes que depuis toujours : mettre fin au processus électoral en installant au plus tôt les élus (rappelons que, selon la Constitution, c'est au Conseil électoral qu'il revient de décider des résultats définitifs des élections), ensuite le pays a perdu beaucoup à cause de l'instabilité, remettre en marche la machine etc. Quant aux manifestants, 'qui menacent les vies et les biens', envoyez la troupe, c'est-à-dire la police nationale ! Hier, les forces armées, putschistes par tradition.
Bref le même langage qu'en 1991 puis encore en 2004, à chacune de ces grandes conflagrations historiques mais qui ne sont rien d'autre que la mise en application de la même doctrine de Roosevelt pour Haïti.
Maintenir constamment divisés les va-nu-pieds et les gens à chaussures et « mettre les gens à chaussures en état constant de s'entre-déchirer les uns les autres, c'est la seule façon pour nous d'avoir une prédominance continue sur ce pays. »

Les moins de 5 pour cent qui détiennent 90% de la fortune nationale ...
Et cela marche si bien qu'à chaque fois, aussi bien en 1991 qu'en 2004, la grande puissance doit elle-même intervenir pour mettre le holà.
Avec l'avantage que les responsables sont aujourd'hui les Haïtiens eux-mêmes. Alors que l'occupation de 1915, celle du temps de Roosevelt, avait été une initiative entièrement américaine, selon tous les historiens.
Alors qu'on commémorait l'année dernière (2015) le centenaire de l'Occupation américaine, c'est nous mêmes qui en un mot nous sommes installés dans le système occupation.
Et à la grande satisfaction de certains. Bien sûr les gens à chaussures. Pas tous. Puisque pour que cela marche, ceux-ci doivent rester toujours divisés, montés les uns contre les autres.
Parmi eux, bien entendu les moins de 5 pour cent qui détiennent 90% de la fortune nationale.
Même ce dernier aspect qui est comme nécessaire, oui pour maintenir constamment en éveil l'appétit du reste des porteurs de chaussures !

Haïti en Marche, 17 décembre 2016