Jacmel prêt pour le tourisme, oui mais !
JACMEL, 14 Février – Vendredi 14 Février, inauguration du Centre de convention de Jacmel et d’autres infrastructures, comme le Stade de Cayes Jacmel, par le président de la République, Michel Joseph Martelly.
Ce ‘Convention Center’, situé sur la nouvelle Promenade Pétion-Bolivar, au bord de mer de Jacmel, chef lieu du département du Sud-Est, est un bâtiment de style mi classique, mi futuriste. Classique dans l’utilisation de l’ancien Bureau du Port, avec son portail d’époque, comme entrée, et le corps de l’édifice transformé en un auditorium polyvalent, tout en tubulures et panneaux interchangeables, pouvant accommoder au moins 1000 places assises.
Le public, trié sur le volet, semble représenter toutes les catégories sociales de la ville.
Y compris des familles aux noms très anciens. La cité arc en ciel du mulâtre Pétion et du général Magloire Ambroise. Ouverte sur le monde de par sa position géographique, on y distingue aussi beaucoup de patronymes d’origine aussi bien nord-européenne (allemande, britannique, hollandaise) que levantine.
Pétion-Bolivar …
Mais c’est surtout de son jumelage historique avec le Venezuela que s’honore Jacmel. C’est de cette ville que partit en effet, en septembre 1816, Simon Bolivar, le Libertador, pour sa dernière opération militaire victorieuse en vue de bouter le colonisateur Espagnol hors de cette partie du continent. Cela grâce à l’aide de l’Haïti nouvellement indépendante (1804).
L’ambassadeur du Venezuela en Haïti a présidé les cérémonies de vendredi avec le président Michel Martelly et le premier ministre Laurent Lamothe.
Aussi le Centre de convention, également une place d’armes new style et l’avenue piétonnière dont la réalisation a été confiée aux artisans et céramistes de Jacmel (taxi motos s’abstenir, ouf !) portent tous le même nom : Pétion-Bolivar.
Dessaix-Baptiste & Ballets Bacoulou …
Une soirée de quelque 500 couverts mais en tenue décontractée. Et dont le plus relax a été le chef de l’Etat. Michel Martelly semblait se remettre des deux semaines de tension politique : la visite officielle à Washington, du 4 au 7 février, et le plus ardu, le Dialogue politique avec les partis d’opposition en Haïti.
En lever de rideau, l’Ecole de musique Dessaix-Baptiste (sise à Jacmel) dans des airs immortels aussi bien de chez nous que de l’Amérique latine.
On prend tout de suite la mesure de la haute qualité artistique que nous réserve la soirée.
De fait c’est l’entrée en scène de la Troupe Bacoulou après les mots de bienvenue de la ministre du Tourisme, Stéphanie Villedrouin.
‘Nou ka genyen lespwa’ …
Le chœur des chanteuses Bacoulou nous met dans l’esprit de la soirée : ‘Nou ka genyen lespwa’ et ‘Larèn solèy leve.’
Il y a quelque chose de neuf, ces mariages de rythmes jazzy tout en étant bien de chez nous, ce quelque chose à la fois d’unique et d’universel, que l’on cherche vainement à identifier mais pour se résoudre à l’évidence : Haïti n‘a rien perdu de sa magie, et vive la différence !
On s’imagine en train d’assister à un grand show de music hall, non pas New York, Las Vegas ou Monaco, mais dans une langue, des danses et une culture inconnues à des invités venus du monde entier. Tout y est : l’étrange beauté des costumes et des décors, l’immensité de la salle, la sonorisation parfaite. Et aussi la météo. Alors que le Nord-Est des Etats Unis, de Philadelphia à Georgia, vit son énième tempête de neige de l’année.
Des failles encore trop visibles …
Oui, Haïti ‘is open for tourism !’ Et Jacmel toujours en fête, toujours en tête.
Oui … mais.
Nous craignons un énorme malentendu et que tant d’efforts ne soient vains. Du moins pour l’instant.
Pour la bonne raison qu’il ne suffit pas qu’on soit soi-même satisfait pour que le monde entier le soit aussi.
Car ce n’est pas nous seulement qui décidons si nous sommes prêts ou pas mais les grands évaluateurs internationaux.
Or ceux-ci ne manqueraient pas de relever immédiatement toutes les failles.
D’abord le lieu où tout le monde risque d’aller pendant tout spectacle comprenant plusieurs numéros : les chiottes !
Attention là, les toilettes, toutes neuves qu’elles soient, sont cependant sales, malodorantes, pas d’eau courante et les murs déjà tachés.
Une heure plus tôt, elles étaient clean et il y avait une surveillante à l’entrée.
Interruption scandaleuse …
Mais il est arrivé que le bâtiment ait été envahi à l’arrière par une meute d’inconnus, probablement entrés sans carte d’invitation, et qui ont fait un tel bordel que le présentateur a dû leur demander une chance.
Qui sont ces trublions ? Le sénateur du Sud-Est, Edwin Zenny, semble savoir. Il a laissé la table présidentielle pour aller parlementer avec eux.
Imaginez un spectacle de cette envergure pour touristes et qui vienne à être perturbé de façon aussi scandaleuse.
On est donc très loin d’être réellement open pour le tourisme.
Et probablement que, en dépit de tous ces efforts, nous n’aurons pas une meilleure note que l’année dernière.
Sécurité environnementale et écologique …
Question de sécurité ? Et même la nouvelle police spécialement créée pour le tourisme ne pourra rien y faire.
Car il s’agit de la sécurité géographique, physique, environnementale. Et aussi écologique.
Si ces intrus ont pu pénétrer par effraction dans l’auditorium, c’est que celui-ci n’est pas assez protégé.
Non pas les agents lourdement armés de l’USGPN (sécurité présidentielle) postés sur les lieux, mais sécurité géographique. On n’imagine pas un centre culturel d’une telle importance à côté d’un bouge ou lieu fréquenté par des individus en quête de plaisirs faciles.
Or tel est le cas.
Le Centre de convention avoisine des boites de nuit, qui ne cherchent pas à cacher leur lanterne rouge. Les autorités n’ont pas eu le courage de faire place nette et d’imposer l’autorité de l’Etat soit par l’expropriation, soit par la récupération de propriétés qui, de par leur position par rapport au rivage seulement à quelques mètres de là, relèvent probablement du domaine privé de l’Etat.
A preuve, la belle promenade du front de mer s’arrête pile avant d’atteindre le joyau de l’ensemble, le ‘Convention center.’
Partout sur terre, un édifice destiné à cette fin est entouré sur une grande distance d’un large espace vide, consacré soit au parking (celui qu’on a vu ne peut recevoir plus d’une vingtaine de voitures) soit à d’autres bâtiments administratifs connexes.
Mais pas avec une rue chaude (et à quel point) comme ici.
Y compris les graffiti politiques …
Il y a ensuite la sécurité environnementale. Quand la mer monte, elle peut aller très loin à l’intérieur des terres, c’est toute la Caraïbe qui se déverse sur notre tête. Est-on bien certain d’avoir tout fait, comme c’était promis, pour y remédier autant que possible ?
C’est tout ça qui sera analysé par les évaluateurs internationaux.
Dont les graffiti politiques qui constituent aussi un affront au bon goût.
Open ? Nos artistes oui. Toutes nos bonnes volontés. Y compris à la tête de l’Etat. Mais cela ne suffit pas. Loin de là.
Marcus – Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince