Haïti laissera-t-elle passer cette nouvelle chance?

JACMEL, 2 Mars – Dans environ quatre ans, la Caraïbe deviendra l'une des principales autoroutes maritimes du monde.

Nous voulons dire la Caraïbe sud, plus précisément celle définie par le triangle Cuba, Haïti et la Jamaïque. C'est par là que le gros du commerce maritime mondial va passer. Direction Brésil - Etats-Unis. Et dans l'autre sens, Chine - Amérique du Sud en traversant du Pacifique à l'Atlantique par le Canal du Panama revu et augmenté. Tout le monde s'y prépare. Cuba en construisant avec le Brésil un méga-port, c'est-à-dire un port dans une baie en eau profonde, à Mariel, sur la côte cubaine juste en face de Key West (Floride), capable d'accommoder les cargos les plus immenses.

1 milliard et demi ...

Puis on vient d'apprendre que la Jamaïque prend aussi ses dispositions pour ne pas être en reste. C'est la Chine qui investit à la Jamaïque, ici également dans un méga-port. Celui-ci s'élèvera dans une localité au sud-est de la Jamaïque nommée Portland Bight. Le coût est estimé pour le moment à 1 milliard et demi de dollars américains.

 

Les autorités jamaïcaines ne perdent pas de temps. Le ministre des travaux publics, Omar Davies, a déposé les projets au Parlement. La compagnie chinoise China Harbour Engineering Co. compte aussi construire une usine électrique au charbon pour générer l'électricité nécessaire au méga-port à un coût moindre que le prix actuel du kilowatt heure à la Jamaïque (42 cents). En même temps, les Chinois ont appliqué pour une licence auprès de l'Agence jamaïcaine de protection de l'environnement pour commencer le travail géotechnique dans la zone de Portland Bight (sud-est de la Jamaïque) où sera construit le nouveau port.

 

Facilités offertes aux investisseurs ...

Le ministre Davies a annoncé que tout un package comprenant les franchises destinées à encourager les investisseurs, une révision des lois de la citoyenneté (ou facilités offertes aux investisseurs pour devenir citoyen du pays et y acquérir des propriétés), ainsi que les formalités pour l'autorisation de construire la centrale au charbon, tout cela se trouve actuellement devant le Parlement.

Et pas une minute à perdre parce que le méga-port financé par la Chine doit être opérationnel dans quatre ans au maximum.

Entretemps des opérations sont menées aussi au port de conteneurs de Kingston en voie d'agrandissement mais qui sera aussi privatisé et confié à un opérateur international en vue de gérer le trafic maritime bientôt en forte hausse en provenance du Canal de Panama.

Il y a des concurrents ...

Selon le ministre jamaïcain des Travaux Publics, les parlementaires ne doivent pas perdre de temps car il y a des concurrents 'déjà embarqués dans des plans similaires'.

Le ministre Omar Davies parle probablement du méga-port cubain de Mariel, avec financement du Brésil.

Mais la même dépêche ajoute que les officiels de Trinidad et Tobago sont actuellement en Chine essayant de conclure un deal pour la construction d'un port similaire pour le transfert des marchandises de cargo à cargo ('transshipment') ainsi que la création de plusieurs zones économiques attenantes.

Quid d'Haïti ? ...

Voici donc Haïti soudain au milieu d'un des carrefours commerciaux number one de la planète. Economiquement dans une position géostratégique sans précédent.

Serait-ce depuis l'arrivée de Christophe Colomb dans ce qui deviendra le Nouveau Monde. On comprend donc que Colomb n'a pas jeté l'ancre dans la baie du Môle Saint Nicolas par hasard. C'est un point central (instrumental) du continent - du Nouveau Monde. On dit que le Môle est l'une des plus importantes baies en eau profonde de la Caraïbe. Et au fond de laquelle les sous-marins allemands venaient se cacher pendant la Première guerre mondiale (1914-1918) pour échapper à la marine américano-britannique.

C'est à la même époque que Haïti sera occupée par les Etats-Unis (1915-1934).

En Haïti pas un seul mot ...

Cependant nous ne voyons aucune disposition en Haïti pour bénéficier de cette aubaine.

On n'a jamais entendu les décideurs (aussi bien pouvoir que opposition ou secteur économique) prononcer un seul mot à ce sujet.

Les politiciens haïtiens continuent de se battre comme des chiffonniers pendant que leurs homologues jamaïcains ou trinidadiens (comme on voit) sont en train de s'activer pour trouver de puissants alliés économiques en vue de se doter des nouvelles facilités portuaires nécessaires pour capter une partie de ce flux commercial qui va s'écouler juste sous notre nez : dans le Canal du Vent, qui se trouve entre le Môle Saint Nicolas et Guantanamo (Cuba).

Esclaves de nos dettes et de nos préjugés ...

Aucune position n'est donc plus stratégique que le Môle Saint Nicolas dans cette nouvelle conjoncture géoéconomique.

Or il nous semble que Haïti cumule au contraire tous les problèmes pour n'être pas dans le coup.

1 . Le Brésil a choisi d'investir à Cuba, Mariel, le point de cette île le plus proche des Etats-Unis. Cela veut dire beaucoup en termes de relations commerciales. D'ailleurs un dernier sondage montre que plus de la moitié des Américains sont aujourd'hui pour la reprise des relations entre Washington et La Havane.

2 . Haïti est un pays en banqueroute qui ne peut emprunter sur le marché extérieur. Aujourd'hui cela veut dire que, alors que nous détenons une telle richesse, nous ne pouvons pas l'exploiter nous-mêmes. Nous sommes esclaves de nos dettes. Dettes contractées par les gouvernements précédents, remontant au gouvernement de Jean Claude Duvalier (1971-1986).

3 . Nous sommes hostiles à toute privatisation, le port de Port-au-Prince doit l'être depuis plus de vingt ans, mais sans succès.

Encore moins pour l'attribution de la citoyenneté haïtienne à des étrangers. Nationalisme oblige !

Etc.

Un immense crime de notre part ...

Nous avons donc (apparemment) tous les blocages de notre côté.

Or en même temps, il faut faire quelque chose car, faut-il le rappeler, nous sommes aussi le pays le plus pauvre de la Caraïbe (le seul PMA du continent) et ce serait un immense crime de notre part de priver les générations futures d'un tel instrument de rattrapage économique.

Cependant y aurait-il un quelconque rapport avec la belle image dont nous semblons soudain bénéficier sur les deux continents, américain et européen ? Visite d'Etat coup sur coup du Président de la République, Joseph Michel Martelly, à Washington et en Europe (Paris, Vatican, Bruxelles). Suivez notre regard.

Affaire donc à suivre. Mais messieurs les décideurs, le temps presse.

Marcus – Haïti en Marche Miami, Mélodie FM, Port-au-Prince